Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 21 décembre 2017 et le 29 octobre 2018, la société Armarie Immobilier et la société Allianz Iard, représentées par la SCP Briffod-Puthod-Chappaz, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1507896 du 19 octobre 2017 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner la société Enedis à leur payer des indemnités respectives de 19 773,99 euros et de 85 535,01 euros ;
3°) de mettre à la charge de la société Enedis une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les conclusions indemnitaires de la société Allianz Iard présentées devant le tribunal administratif de Grenoble sont recevables, dès lors qu'elle justifie être subrogée légalement dans les droits de la société Armarie Immobilier à hauteur de la somme de 85 535,01 euros en exécution du contrat d'assurance n° 83088100 souscrit par la société Pellet Immobilier, dénommée Armarie Immobilier à compter du 10 juillet 2007 ; en effet, par la quittance subrogative du 6 janvier 2010, elle justifie être subrogée à hauteur de la somme de 69 891 euros dans les droits de la société Armarie Immobilier ; par la quittance subrogative du 15 décembre 2017, elle justifie être subrogée à hauteur de la somme de 15 644,01 euros dans les droits de la société Armarie Immobilier ;
- la responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics de la société Enedis est engagée à raison de l'incendie survenu le 6 septembre 2008 dans l'immeuble sis 595 route de l'Usine à Saint-Jeoire (Haute-Savoie) et à l'égard de la société Armarie Immobilier, propriétaire de cet immeuble et qui a la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public que constitue le câble électrique aérien sous tension arrimé au bâtiment et à l'origine de cet incendie ;
- les dommages, qui nécessitent d'importants travaux de réparation, ont été évalués à la somme de 105 329 euros hors taxe par l'assureur ;
- la société Allianz Iard a droit au remboursement de la somme totale de 85 535,01 euros qu'elle a versée à son assuré, la société Armarie Immobilier, en exécution du contrat d'assurance n° 83088100 et en réparation d'une partie de ces dommages ;
- la société Armarie Immobilier a droit à une indemnité de 19 773,99 euros correspondant au montant des travaux de réparation restant à sa charge sans application d'un nouveau coefficient de vétusté car l'évaluation des dommages à la somme de 105 329 euros hors taxe tient déjà compte de la vétusté.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 août 2018, la société Enedis, représentée par la SCP Girard-Madoux et Associés, avocat, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la cour ordonne une expertise, confiée à un collège d'experts, sur les causes de l'incendie de l'immeuble de la société Armarie Immobilier survenu le 6 septembre 2008 et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge in solidum de la société Armarie Immobilier et de la société Allianz Iard au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les conclusions indemnitaires de la société Allianz Iard présentées devant le tribunal administratif de Grenoble sont irrecevables, dès lors qu'elle ne justifie pas être subrogée légalement ou conventionnellement dans les droits de la société Armarie Immobilier ;
- ces conclusions ne sont pas fondées car elles sont atteintes par la prescription quadriennale, la société Allianz Iard étant subrogée dans les droits de la société Armarie Immobilier depuis 2010 et n'ayant saisi le tribunal administratif que le 6 juillet 2016 ;
- le lien de causalité entre le câble électrique basse tension et le déclenchement de l'incendie n'est pas établi ; en effet, il est physiquement impossible qu'un incendie ait pu se déclarer sur ce câble qui était hors tension au moment du sinistre, l'électricité ayant été coupée respectivement le 5 septembre 2001, le 29 septembre 2004 et le 30 octobre 2007 aux trois comptages de l'immeuble ; contrairement à ce qu'a estimé l'expert désigné par ordonnance du 17 avril 2009 du juge des référés du tribunal de grande instance de Bonneville, l'incendie n'a pu débuter au droit de la pince d'ancrage qui ne peut comporter deux conducteurs en contact ; il n'est pas rapporté d'éléments matériels et objectifs permettant d'affirmer, comme l'expert, que la pince d'ancrage aurait été cassée ou que la protection des rubans métalliques ou colliers aurait disparu mettant le métal à nu ; l'arc électrique se déplaçant obligatoirement vers la source, le câble de branchement n'aurait pas été détruit en aval de la pince d'ancrage, comme c'est le cas en l'espèce ; un amorçage du câble n'a pu engendrer cet incendie qui a laissé le jardin intact, a peu endommagé l'avancée de toiture et a complètement détruit l'intérieur de l'habitation ; l'hypothèse la plus vraisemblable est que l'incendie a pris naissance dans l'habitation en raison d'un acte de malveillance d'intrus ayant pu pénétrer dans ce bâtiment qui était facilement accessible ;
- la société Armarie Immobilier a commis une faute en ayant manqué à son obligation de surveillance et d'entretien de son bien ;
- la fait du tiers n'est pas à exclure comme cause de l'incendie ;
- l'évaluation du préjudice à hauteur de la somme de 105 329 euros hors taxe, qui n'a pas été réalisée contradictoirement, a été faite sur la valeur de reconstruction à neuf du bâtiment alors qu'elle aurait dû être faite sur la valeur vénale, c'est-à-dire sur le prix auquel ce bien aurait pu être vendu juste avant le sinistre.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet, président assesseur,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me Le Priol, avocat (SCP Briffod - Puthod - Chappaz), pour la société Armarie Immobilier et pour la société Allianz Iard.
Considérant ce qui suit :
1. La société Armarie Immobilier et la société Allianz Iard relèvent appel du jugement n° 1404665 du 22 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la réparation par la société Enedis des conséquences dommageables de l'incendie survenu le 6 septembre 2008 dans l'immeuble sis 595 route de l'Usine à Saint-Jeoire (Haute-Savoie) et appartenant à la société Armarie Immobilier.
Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires de la société Allianz Iard :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur. " Il résulte de ces dispositions que la subrogation légale de l'assureur dans les droits et actions de l'assuré est subordonnée au seul paiement à l'assuré de l'indemnité d'assurance en exécution du contrat d'assurance et ce, dans la limite de la somme versée.
3. Il résulte de l'instruction, et notamment des avenants à contrat d'assurance produits en appel par les requérantes et des deux quittances subrogatives du 6 janvier 2010 et du 15 décembre 2017 signées par la société Armarie Immobilier, que cette société a reçu de la société Allianz Iard, en exécution du contrat d'assurance n° 083.088.100 souscrit depuis au moins 2001 par la société Pellet Immobilier, dénommée ultérieurement Armarie Immobilier, auprès de la société AGF, devenue ultérieurement Allianz Iard, et renouvelable chaque année par tacite reconduction, les sommes respectives de 69 891 euros et de 15 644,01 euros en réparation des conséquences dommageables de l'incendie survenu le 6 septembre 2008 dans l'immeuble sis 595 route de l'Usine à Saint-Jeoire et appartenant à la société Armarie Immobilier. Dans ces conditions, la société Allianz Iard est, en application des dispositions précitées du premier alinéa de l'article L. 121-12 du code des assurances, subrogée dans les droits et actions de la société Armarie Immobilier, son assurée, à hauteur de la somme totale de 85 535,01 euros. Par suite, elle est recevable dans cette mesure à solliciter le remboursement des sommes qu'elle a versées à la société Armarie Immobilier au titre de l'indemnisation du sinistre survenu le 6 septembre 2008.
Sur l'exception de prescription quadriennale opposée par la société Enedis aux conclusions indemnitaires de la société Allianz Iard :
4. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public. " Il résulte de ces dispositions que les règles de prescription qu'elles prévoient visent les créances dont sont débiteurs l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dotés d'un comptable public mais ne sont pas applicables aux créances dont une personne privée est débitrice, quel qu'en soit le créancier. Par suite, doit être écartée l'exception de prescription quadriennale opposée à la créance dont se prévaut la société Allianz Iard à l'encontre la société Enedis, société commerciale créée le 1er janvier 2008 sous le nom A..., à raison du sinistre survenu le survenu le 6 septembre 2008.
Sur la responsabilité :
5. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée le 5 mars 2009 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Bonneville et n'est pas sérieusement contesté par la société Enedis que la dégradation du câble aérien de branchement sous tension arrimé à la panne faitière sous l'avant-toit nord du bâtiment a conduit à un amorçage entre les parties conductrices de deux câbles et a provoqué un arc électrique à l'origine de l'incendie de l'immeuble appartenant à la société Armarie Immobilier, l'expert ayant au préalable exclu l'hypothèse d'un départ de feu causé par un tiers à l'intérieur du bâtiment compte tenu tant de la localisation des zones carbonisées, à l'extrémité nord de la panne faitière, que du témoignage précis d'un voisin recueilli le 2 décembre 2008 par les militaires de la gendarmerie nationale. Dans ces conditions, doit être regardé comme établi le lien de causalité certain et direct entre l'ouvrage public que constitue le câble aérien de branchement et l'incendie survenu le 6 septembre 2008. La société Armarie Immobilier avait, au moment du dommage qui présente un caractère accidentel, la qualité de tiers par rapport à cet ouvrage public de distribution d'électricité, dès lors qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que son immeuble n'était plus alimenté en électricité au moment du dommage, à la suite de la résiliation des abonnements des trois comptages qui desservaient l'immeuble.
7. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas du rapport d'expertise, qu'une faute de la société Armarie Immobilier aurait contribué à la survenance du sinistre.
8. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la société Enedis ne saurait, pour s'exonérer de sa responsabilité, utilement invoquer le fait d'un tiers.
9. Il résulte de tout de qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée par la société Enedis, que celle-ci doit être déclarée, sur le fondement du régime de responsabilité sans faute pour dommages accidentels de travaux publics causés aux tiers, responsable de la totalité des conséquences dommageables de l'incendie de l'immeuble de la société Armarie Immobilier.
Sur la réparation des préjudices :
10. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le montant des travaux de remise en état à effectuer sur l'immeuble de la société Armarie Immobilier s'élève à la somme de 97 807 euros hors taxe et que cet immeuble était, avant la survenue du sinistre, vétuste, ouvert et mal entretenu. Compte tenu de l'utilisation économique que la société Armarie Immobilier, qui exerce les activités de marchand de biens et de rénovation immobilière, est susceptible de faire de ce bien qui sera en grande partie neuf à l'issue des travaux de remis en état, il y a lieu d'appliquer sur la somme de 97 807 euros hors taxe un abattement pour vétusté de 30 %, comme proposé par l'expert. Dans ces conditions, le préjudice indemnisable s'élève à la somme de 68 465 euros hors taxe.
11. En deuxième lieu, cette somme étant inférieure à celle de 85 535,01 euros que la société Allianz Iard a versée à la société Armarie Immobilier en réparation des conséquences dommageables de l'incendie survenu le 6 septembre 2008 dans son immeuble, cette dernière société n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions indemnitaires de sa demande.
12. En dernier lieu, la société Allianz Iard étant subrogée dans les droits et actions de la société Armarie Immobilier, son assurée, à hauteur de la somme totale de 85 535,01 euros, ainsi qu'il a été dit au point 3, il y a lieu de mettre à la charge de la société Enedis au profit de la société Allianz Iard une indemnité de 68 465 euros hors taxe correspondant au montant du préjudice indemnisable. Par suite, la société Allianz Iard est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions indemnitaires de sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société Armarie Immobilier, par la société Allianz Iard et par la société Enedis sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1507896 du 19 octobre 2017 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en ce qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de la demande de la société Allianz Iard.
Article 2 : La société Enedis est condamnée à payer à la société Allianz Iard une indemnité de 68 465 euros hors taxe.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 17LY04329 et les conclusions présentées par la société Enedis devant la cour sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Armarie Immobilier, à la société Allianz Iard et à la société Enedis.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 8 novembre 2019.
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N° 17LY04329