Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 juin 2020 et un mémoire enregistré le 30 novembre 2020, communiqué en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, M. E..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°1804792-1805586 du 31 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée du préfet de l'Isère du 9 août 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère d'accorder le bénéfice du regroupement familial à son épouse, Mme C... B..., et à leur enfant, A... E..., dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée pour rejeter la demande du fait de la présence en France de son épouse et de leur enfant ainsi que de l'insuffisance des ressources, alors qu'il aurait dû procéder à un examen particulier de sa situation ;
- c'est à tort que le préfet a exclu de ses ressources la prime d'activité qui lui a été versée ;
- il justifie de ressources d'un niveau suffisant ;
- ses revenus s'établissent, sur la période entre juillet 2016 et novembre 2017, à la somme globale de 19 243,83 euros, soit une moyenne mensuelle de 1 202,74 euros ;
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;
- les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ont été méconnues.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère qui n'a pas produit de mémoire.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2015-1688 du 17 décembre 2015 ;
- le décret n° 2016-1818 du 22 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant algérien, a sollicité, le 27 juillet 2017, le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse, Mme C... B..., et de leur fille, Alaa E.... Par une décision du 9 août 2018, le préfet de l'Isère a rejeté sa demande de regroupement familial au double motif qu'il ne disposait pas de ressources suffisantes et que son épouse résidait irrégulièrement en France. M. E... relève appel du jugement du 31 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; (...) Peut être exclu de regroupement familial : (...) 2 - Un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français ".
3. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des mentions de la décision attaquée, que le préfet de l'Isère, après avoir constaté que les ressources de M. E... étaient insuffisantes pour lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille et que son épouse s'était maintenue en situation irrégulière, a estimé en conséquence que les conditions de fond exigibles au titre du regroupement familial n'étaient pas réunies, puis a ensuite vérifié que le rejet de la demande de regroupement familial ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de M. E... au respect de sa vie privée et familiale ni une atteinte aux droits de son enfant. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, le préfet de l'Isère s'est livré à un examen particulier de sa situation personnelle et ne s'est pas estimé en situation de compétence liée du fait du séjour irrégulier de son épouse et de l'insuffisance de ses ressources pour rejeter sa demande et n'a ainsi pas méconnu l'étendue de son pouvoir.
4. En deuxième lieu, il résulte de la combinaison des stipulations citées au point 2 et des dispositions des articles R. 411-4 et R. 421-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont également applicables aux ressortissants algériens dès lors qu'elles sont compatibles avec les stipulations de l'accord franco-algérien, que le caractère suffisant du niveau de ressources du demandeur est apprécié sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de cette même période. Toutefois, lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible pour le préfet de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. E..., embauché en qualité d'agent de service par la société MSEI à compter du 1er avril 2016, a perçu, à ce titre, de juillet 2016 à juin 2017, soit durant les douze mois précédant le dépôt, le 27 juillet 2017, de sa demande de regroupement familial, des salaires d'un montant total de 14 538,78 euros bruts, correspondant à une moyenne mensuelle de 1 211,57 euros bruts. En outre, ainsi que le fait valoir M. E..., la prime d'activité, qu'il a perçue sur cette même période et dont le montant est calculé en fonction des revenus du travail, devait, eu égard à sa nature de revenu de remplacement n'ayant pas le caractère d'une prestation familiale ou d'assistance, être prise en considération dans le calcul de ses ressources, contrairement à ce qu'a estimé le préfet. Il ressort des pièces du dossier qu'une prime d'activité d'un montant total de 2 377,56 euros a été versée à M. E... par la caisse d'allocations familiales durant la période de référence, soit une moyenne mensuelle de 198,13 euros. Ainsi, en application des dispositions précitées, les ressources dont disposait M. E... de juillet 2016 à juin 2017, s'élevant à une moyenne mensuelle de 1 409,70 euros bruts sont inférieures à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance, fixée à 1473,45 euros au cours de cette même période, ainsi qu'il résulte des montants fixés par les décrets susvisés des 17 décembre 2015 et 22 décembre 2016 portant relèvement du salaire minimum de croissance. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que les ressources de M. E... auraient sensiblement évolué après le dépôt de sa demande. Par suite, le préfet de l'Isère, alors même qu'il avait exclu à tort les revenus de l'intéressé issus de la prime d'activité, n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation en refusant, du fait de l'insuffisance des ressources du demandeur, la demande de regroupement familial présentée par M. E....
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet dispose d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu de rejeter la demande même dans le cas où l'étranger demandeur du regroupement ne justifierait pas remplir l'une des conditions requises tenant aux ressources, au logement ou à la présence anticipée d'un membre de la famille sur le territoire français, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. M. E..., entré en France en 2001, s'est marié en Algérie le 23 août 2012 à une compatriote, séjournant irrégulièrement sur le territoire français depuis 2015 et le couple a eu deux enfants, nés le 3 août 2013 et le 28 août 2016. Si M. E... se prévaut de l'ancienneté de son mariage contracté en 2012, de ce qu'il réside en France depuis 2001 et de son intégration professionnelle, il ne ressort pas des pièces du dossier que lui et son épouse partageaient une communauté de vie avant 2015 et il n'a sollicité le bénéfice de la procédure de regroupement familial au profit de son épouse qu'en juillet 2017. En outre, M. E... n'allègue pas être dépourvu d'attaches personnelles et familiales dans son pays d'origine, où il a vécu pour l'essentiel. Compte tenu du jeune âge de leurs deux enfants mineurs, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer en Algérie, alors même qu'il réside régulièrement en France. Au demeurant, la décision litigieuse n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants de leurs parents. Enfin, la décision de refus d'autorisation de regroupement sur place n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner l'épouse et l'aîné des enfants du requérant du territoire français et ne porte pas atteinte à l'intégrité de la cellule familiale. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans les circonstances rappelées ci-dessus, il n'est pas davantage établi que le préfet aurait méconnu les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
9. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.
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N° 20LY01663