Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 28 février 2020, le préfet de l'Ain, demande à la cour d'annuler ce jugement du 14 février 2020 et de rejeter les demandes de Mme A... épouse C....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'arrêté en litige portait atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens développés en première instance n'étaient pas fondés.
Par mémoire enregistré le 11 mai 2020, Mme D... A... épouse C..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, faute de contestation du fondement juridique du dispositif du jugement réservant le sort de la demande dirigée contre le titre de séjour ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne ; le préfet aurait dû la convoquer à tout le moins sur l'absence de départ volontaire et sur l'interdiction de retour ;
- l'obligation de quitter le territoire est fondée sur un refus de titre de séjour, lui-même entaché de méconnaissance des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle, et de méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention sur les droits de l'enfant ;
- le refus de délai de départ volontaire méconnaît les stipulations du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la fixation du pays de renvoi méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'interdiction de retour d'un an méconnaît le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est disproportionnée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Par le jugement attaqué lu le 14 février 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon, a renvoyé les conclusions de Mme A... épouse C... présentées contre l'arrêté du 22 janvier 2020 du préfet de l'Ain portant refus de titre de séjour devant une formation collégiale du tribunal administratif (article 2) puis a annulé les décisions du 22 janvier 2020 du même préfet faisant obligation à Mme A... épouse C... de quitter le territoire français, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination, lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'assignant à résidence (article 3). En demandant à la cour administrative d'appel d'annuler l'article 3 du dispositif du jugement, le préfet de l'Ain, qui ne conteste pas le renvoi en collégiale du surplus de la demande - et n'aurait pas été recevable à le faire - est en revanche recevable à contester l'annulation les décisions qu'il a prises pour l'éloignement de Mme A... épouse C....
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Mme A... épouse C..., née le 12 novembre 1990 de nationalité Albanaise, est entrée en France en décembre 2013 accompagnée de sa fille mineure puis a été rejointe par son époux en janvier 2015. Elle a fait l'objet, le 11 août 2016, d'un premier refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français suite au rejet définitif de sa demande d'asile. Elle a de nouveau sollicité son admission au séjour en 2014 et en 2018, ses demandes ayant été rejetées. Si l'intéressée, qui a fait l'objet par la décision en litige du 22 janvier 2020 d'un autre refus de séjour assorti d'une mesure d'éloignement sans délai de départ volontaire avec interdiction de retour d'une durée d'un an, d'une décision fixant le pays de destination et l'assignant à résidence, se prévaut de sa durée de séjour sur le territoire français et de son insertion professionnelle, il ressort des pièces du dossier que cette durée de séjour résulte d'un maintien irrégulier en dépit de plusieurs mesures d'éloignement, que son insertion professionnelle est récente et irrégulière, faute d'autorisation de travail alors que Mme A... épouse C... n'est pas dépourvue d'attaches privées et familiales dans son pays d'origine, qui est également celui de son époux et où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-trois ans et peut faire valoir ses compétences en langues étrangères. Compte tenu de ces circonstances et notamment de la reconstitution possible du foyer en Albanie, le préfet de l'Ain est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'obligation de quitter le territoire français en litige, le magistrat désigné s'est fondé sur le motif tiré de ce que ces décisions méconnaîtraient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de la demande présentée par Mme A... épouse C... tant en première instance qu'en appel.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
S'agissant de l'exception d'illégalité du refus de séjour :
4. En premier lieu, le refus de séjour en litige comporte les motifs de droit et de fait qui le fonde et est dès lors suffisamment motivé.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 31311 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée (...) à l'étranger (...) dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir (...) ". Le maintien de Mme A... épouse C... en situation irrégulière sur le territoire français ainsi que le souhait de poursuivre son activité professionnelle et de s'établir régulièrement sur le territoire français ne constituent pas des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifiant la délivrance d'une carte de séjour temporaire au sens des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Dès lors que Mme A... épouse C... et son époux sont de la même nationalité et compte tenu du jeune âge de leur fille, le refus de séjour en litige n'a pas emporté une méconnaissance des stipulations précitées alors que la circonstance que cette enfant poursuive sa scolarité dans un pays qu'elle ne connaît pas, ne méconnaît pas les stipulations précitées. Enfin, les risques allégués quant aux menaces proférées contre ses parents ne sont pas établis.
7. En quatrième lieu, eu égard à ce qu'il vient d'être dit au point 2, Mme A... épouse C... n'est pas fondée à soutenir que le refus de séjour en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En dernier lieu, le refus de séjour en litige n'ayant ni pour objet ni pour effet de déterminer le pays vers lequel Mme A... épouse C... devra s'installer, le moyen tiré de ce que cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant.
9. Il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité du refus de titre de séjour, pris en toutes ses branches, doit être écarté.
S'agissant des autres moyens :
10. En premier lieu, le législateur a entendu déterminer, par les dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger une décision d'obligation de quitter le territoire et les mesures dont elle est éventuellement assortie, y compris l'absence de délai de départ volontaire et l'interdiction de retour sur le territoire français. Dès lors, Mme A... épouse C... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de de l'Union européenne, qui ne s'applique pas aux États membres, mais aux institutions et organes de l'Union.
11. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que précédemment exposés, Mme A... épouse C... n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant. En l'absence d'autres éléments, cette décision n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Sur le refus de délai de départ volontaire :
12. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. - L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. / (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) ". Il ressort des pièces du dossier que Mme A... épouse C... s'est soustraite à l'exécution d'une première mesure d'éloignement. Elle entre donc dans le champ d'application des étrangers qui peuvent se voir opposer une absence de délai de départ volontaire en vue de l'exécution de la mesure d'éloignement qui leur a été opposée. Par ailleurs, l'absence de délai de départ volontaire n'emporte aucune incidence sur la légalité de la mesure d'assignation à résidence prononcée dès lors qu'une telle mesure ne constitue qu'une modalité d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.
Sur la fixation du pays de destination :
13. En premier lieu et pour les motifs précédemment exposés, la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. En second lieu, en se bornant, en première instance comme en appel, à évoquer l'importance des risques encourus en Albanie, Mme A... épouse C..., qui n'apporte pas de précisions à l'appui de son moyen, n'est pas fondée à soutenir que la fixation du pays de destination méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français d'un an :
15. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".
16. Il ressort des pièces du dossier que pour prononcer une interdiction de retour sur le territoire français à l'encontre de Mme A... épouse C..., le préfet de l'Ain s'est fondé sur le dispositions du 4ème alinéa de l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles prévoient que l'autorité administrative peut assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans lorsque l'étranger a bénéficié d'un délai de départ volontaire qui n'est pas expiré, alors que Mme A... épouse C..., dans le même arrêté, s'est vu refuser un délai de départ volontaire. Par suite, l'arrêté en litige ne pouvait être fondé sur les dispositions du 4ème alinéa de l'article L. 511-1 III du code précité.
17. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
18. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que lorsqu'il n'accorde aucun délai de départ volontaire à l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet est tenu de prononcer à son encontre une interdiction de séjour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. Seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés au III de l'article L. 511-1, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire. En l'espèce, Mme A... épouse C... s'est vu refuser, par la décision en litige du 22 janvier 2020, un délai de départ volontaire pour l'exécution de la mesure d'éloignement qui lui a été opposée et le préfet était ainsi tenu, en l'absence de circonstances humanitaires, de prononcer à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français. Compte de ce qui vient d'être dit, le préfet de l'Ain aurait pris la même décision d'interdiction de retour s'il s'était fondé sur les dispositions du 1er alinéa de l'article L. 511-1 III du code précité. Mme A... épouse C... n'étant privée d'aucune garantie, il y a lieu de faire droit à la substitution demandée alors que la seule présence de l'intéressée, en méconnaissance de précédents refus de séjour et d'une mesure d'éloignement, sur le territoire français avec sa fille et son époux, également en séjour irrégulier, ne constitue pas une circonstance humanitaire de nature à faire obstacle à l'édiction de l'interdiction de retour en litige dont la durée d'une année, compte tenu des circonstances de l'espèce, n'est pas disproportionnée.
19. Enfin, Mme A... épouse C... n'articulant aucun moyen contre l'assignation à résidence, la demande qu'elle dirige contre cette décision doit être rejetée par voie de conséquence du rejet de la demande dirigée contre l'obligation de quitter le territoire.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Ain est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 22 janvier 2020 par lequel il a obligé sans délai Mme A... épouse C... à quitter le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour pour une durée d'une année avec assignation à résidence. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé dans cette mesure et la demande d'annulation présentée par Mme A... doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, les demandes d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'État n'étant pas partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000980 lu le 12 février 2020 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il a annulé les décisions du 22 janvier 2020 du préfet de l'Ain faisant obligation à Mme A... épouse C... de quitter sans délai de départ volontaire le territoire français, fixant le pays de destination, lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'assignant à résidence.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme A... épouse C..., sur lesquelles il a été statué par le jugement annulé ci-dessus, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D... A... épouse C....
Copie en sera adressée au préfet de l'Ain. En application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative, il en sera adressé copie au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse.
Délibéré après l'audience du 8 avril 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
Mme Djebiri, premier conseiller ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2021.
N° 20LY00883 2