Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2021, Mme A..., représentée par Me Passet, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 2 décembre 2021 ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Aude la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'utilité de la mesure qu'elle demande ne fait aucun doute, eu égard aux préjudices extrapatrimoniaux dont elle peut obtenir l'indemnisation, compte tenu de la reconnaissance de ses deux maladies professionnelles par deux jugements du tribunal administratif de Montpellier ainsi que par arrêté du département de l'Aude du 1er septembre 2021 ; que, contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés, les recours en appel interjetés par le département n'ont aucune incidence dès lors qu'ils n'ont pas d'effet suspensif ; que le département de l'Aude a, au surplus, reconnu l'imputabilité au service de la pathologie de l'épaule droite ; qu'en tout état de cause, la saisine du juge du fond ne retire pas automatiquement son caractère d'utilité à une demande d'expertise au juge des référés ; qu'en l'espèce, le juge du fond n'a pas encore été saisi des demandes indemnitaires qu'elle souhaiterait former ; que l'utilité de la mesure ne fait aucun doute au regard du caractère incomplet du rapport du docteur B..., expert désigné par une précédente ordonnance du 25 septembre 2018, qui a été déposé antérieurement aux jugements du tribunal administratif de Montpellier et alors que son état n'était pas encore consolidé ; que l'utilité de la mesure ne fait également aucun doute, eu égard aux préjudices patrimoniaux dont elle peut obtenir l'indemnisation, compte tenu des fautes commises par l'administration pour avoir tardé à procéder à son reclassement conformément à l'avis du comité médical départemental ; qu'il ne peut être demandé au docteur B... de réaliser un complément d'expertise dès lors que sa mission a pris fin ; qu'il ne peut être, à nouveau, désigné eu égard aux irrégularités qui ont entaché la mission qu'il a réalisée.
Par un mémoire, enregistré le 21 décembre 2021, le département de l'Aude, représenté par la Selarl Jean-Pierre et Walgenwitz Avocats Associés, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la désignation du docteur B... pour un simple complément d'expertise et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le juge des référés a, à bon droit, considéré que la mesure d'expertise sollicitée ne présentait pas un caractère d'utilité différent de celle que le juge du fond pourrait ordonner, s'il l'estime nécessaire, dans ses pouvoirs de direction de l'instruction ; qu'en l'espèce, la situation de Mme A... a été suffisamment établie par le rapport d'expertise du docteur B..., aussi défavorable qu'il soit pour elle ; qu'elle ne fait nullement état de circonstances particulières de nature à conférer à la mesure demandée un caractère d'utilité différent de celle que le juge du fond peut ordonner ; qu'elle ne démontre ni même n'allègue la moindre faute de son employeur dans la survenance de ses pathologies des épaules ; que, par suite, les chefs de mission portant sur le chiffrage de ses préjudices patrimoniaux sont dépourvus d'utilité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête (...) prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". En vertu de l'article L. 555-1 du même code, le président de la cour administrative d'appel est compétent pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par le juge des référés.
2. Mme A..., agent de maîtrise employée par le département de l'Aude, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier de prescrire une expertise aux fins d'évaluer les préjudices tant extrapatrimoniaux que patrimoniaux qu'elle subit du fait des maladies professionnelles affectant ses deux épaules. Par l'ordonnance attaquée du 2 décembre 2021, le juge des référés a refusé de faire droit à sa demande, au motif qu'il " appartiendra (...) au juge administratif saisi du fond de l'affaire de déterminer s'il est suffisamment éclairé pour apprécier l'existence d'un lien de causalité entre les pathologies affectant Mme A... et l'exercice de ses fonctions, et d'apprécier, le cas échéant, si une expertise supplémentaire serait utile tant sur ce point que sur l'évaluation des préjudices personnels subis par la requérante ".
3. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher.
4. Tout agent public, victime d'un accident ou d'une maladie imputable au service, est en droit d'obtenir de la personne publique qui l'emploie soit, en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire à la rente viagère d'invalidité ou à l'allocation temporaire d'invalidité à laquelle il peut prétendre, destinée à réparer ses préjudices personnels ainsi que, le cas échéant, ses préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux indemnisés par cette rente ou cette allocation, soit, dans le cas où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité, la réparation intégrale de l'ensemble de ses préjudices.
5. Il résulte de l'instruction que, par deux jugements n° 1800362 et n° 1906605 des 6 décembre 2019 et 2 juillet 2021, le tribunal administratif de Montpellier, saisi de demandes tendant à l'annulation des décisions refusant de reconnaître l'imputabilité au service de " la rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM " dont souffre Mme A... respectivement à l'épaule gauche et à l'épaule droite, a enjoint au président du conseil départemental de l'Aude de reconnaître cette imputabilité. Si le département de l'Aude a relevé appel de ces deux jugements respectivement sous les n° 20MA00529 et 21MA03793, aucune action indemnitaire formée par Mme A... n'est actuellement pendante ni devant le juge de première instance, ni devant la présente Cour. Par ailleurs, et alors que ces deux jugements sont exécutoires, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du premier ayant été rejetée par une ordonnance n° 20MA00530 de la présidente par intérim de la 9ème chambre de la Cour du 27 avril 2020, la seule circonstance que le département de l'Aude en ait relevé appel ne saurait être de nature à établir que la mesure d'expertise demandée par Mme A... est manifestement insusceptible de se rattacher à une action indemnitaire qu'elle pourrait exercer à l'encontre de son employeur, dans les conditions rappelées au point 4. Par conséquent, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés lui a opposé la faculté dont dispose le juge du fond pour ordonner une mesure d'expertise, dans l'exercice de ses pouvoirs de direction de l'instruction, pour rejeter sa demande.
6. Il appartient au président de la Cour, saisie de la demande de Mme A... par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble de l'argumentation des parties sur l'utilité de cette mesure.
7. S'il résulte de l'instruction que, par ordonnance n° 1800743 du 25 septembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier avait confié au docteur C... B... le soin de réaliser une expertise qui avait notamment déjà pour objet d'apprécier, en tous ses éléments, le préjudice subi par Mme A..., le rapport d'expertise ainsi déposé le 6 février 2019 ne prive pas d'utilité le prononcé d'une nouvelle mesure d'expertise dès lors, d'une part, que le docteur B... avait, pour sa part, conclu à la non imputabilité au service des pathologies dont souffre Mme A..., conclusions qui, ainsi qu'il a été dit au point 5, n'ont pas été suivies par le juge du fond, et, d'autre part, que l'état de Mme A... n'était pas, à la date à laquelle ces premières opérations d'expertise ont été diligentées, consolidé.
8. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le département de l'Aude, la requérante allègue l'existence de fautes de nature à avoir si ce n'est provoqué du moins aggravé les conséquences de ses pathologies, et tenant au retard avec lequel il aurait été procédé à son reclassement conformément à l'avis du comité médical départemental. En tout état de cause, il n'appartient pas au requérant d'établir devant le juge des référés l'existence d'une faute commise par l'administration pour justifier l'utilité d'une mesure d'expertise portant sur l'évaluation de son préjudice.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Pour les motifs exposés au point 7, il ne peut être fait droit à la demande formée, à titre subsidiaire, par le département de l'Aude tendant à ce qu'il soit confié au docteur B... le soin de réaliser un " complément d'expertise ". Il y a donc lieu d'ordonner une mesure d'expertise dans les conditions définies ci-après.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de l'Aude la somme de 1 000 euros à verser à Mme A..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de cette dernière qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
O R D O N N E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2104646 du 2 décembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est annulée.
Article 2 : M. F... D..., demeurant au 124, avenue Georges Clémenceau - " Les Conviviales " - Béziers (34500), est désigné avec pour mission de :
- se faire communiquer tous les documents médicaux utiles à sa mission, examiner Mme E... A... et décrire son état actuel ;
- préciser dans quelle mesure l'état actuel de Mme A... est imputable à la rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM affectant chacune de ses épaules, qui a été reconnue comme imputable au service ;
- fixer la date de consolidation de son état ; préciser si son état est susceptible d'une amélioration ou d'une aggravation et, dans l'affirmative, fournir toute précision sur cette évolution, son degré de probabilité ainsi que les traitements qui seront nécessaires ;
- déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire total, le déficit fonctionnel permanent partiel, les souffrances psychiques, le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel, imputables aux conséquences de ces pathologies ;
- indiquer si le déficit fonctionnel temporaire ou permanent dont Mme A... est atteinte justifie ou a justifié l'assistance par une tierce personne, et, si oui, préciser pour quelles périodes et quel volume horaire ;
- indiquer si, en dépit de sa prise en charge au titre d'une maladie imputable au service, Mme A... a subi une perte de revenus ou à dû engager des frais non pris en charge par son administration.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-1 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour administrative d'appel.
Article 4 : L'expertise aura lieu en présence de Mme E... A... et du département de l'Aude.
Article 5 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 7 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 8 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.
Article 9 : Le département de l'Aude versera à Mme A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 10 : Les conclusions du département de l'Aude présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 11 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E... A..., au département de l'Aude et à M. F... D..., expert.
Fait à Marseille, le 2 février 2022
N° 21MA046412
LH