Procédure devant la Cour :
Par, I°, une requête et un mémoire enregistrés le 14 mars et le 21 avril 2017 sous le n° 17MA01054, le préfet du Gard demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 2 février 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant ce tribunal ;
3°) d'opérer une substitution de base légale en faisant application des dispositions du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Il soutient que :
- la décision fixant le pays de destination ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée et familiale de Mme D... ;
- aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit qu'en cas d'annulation de la décision fixant le pays de destination, l'intéressé doit être mis en possession d'un titre de séjour à la différence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire n'a pas été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que Mme D... a perdu le droit de se maintenir sur le territoire français ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors notamment que le père de l'intéressée qui déclare souffrir de troubles psychiatriques ne démontre pas l'exceptionnelle gravité de sa pathologie et peut bénéficier de soins appropriés dans son pays d'origine ;
- la décision fixant le pays de destination n'est pas dépourvue de base légale ;
- cette décision n'est entachée ni d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation, ni d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision ne méconnaît ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que Mme D... n'a pas apporté les justificatifs prouvant les menaces invoquées à l'appui de sa demande.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 avril 2017, Mme D... conclut au rejet de la requête, à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 900 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 2 février 2017 en tant qu'il rejette la demande d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire a été prise en méconnaissance de son droit au maintien sur le territoire au titre de l'asile dès lors que la procédure de réexamen de sa demande d'asile était encore pendante ;
- sa situation n'entre dans aucun des cas prévus à l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour lesquels le droit au maintien sur le territoire peut être refusé à un demandeur d'asile ;
- la décision contestée viole l'article L. 511-1 6° de ce même code ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie d'exception de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que son père ne peut bénéficier d'un traitement approprié à sa pathologie en Albanie et que la décision contestée entraînerait sa séparation d'avec l'un de ses parents ;
- elle méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'un retour en Albanie l'exposerait à des risques sérieux d'atteintes à sa vie et à son intégrité corporelle.
Par, II°, une requête et un mémoire enregistrés les 14 mars et 21 avril 2017 sous le n° 17MA01053, le préfet du Gard, demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 1603748 du 2 février 2017 du tribunal administratif de Nîmes ;
Il soutient, que les moyens exposés sous le n° 17MA01054, sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Nîmes, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 avril 2017, Mme D... conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 600 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens exposés dans la requête n° 17MA01054 et la requête n° 17MA01053 ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Féménia.
1. Considérant que, par jugement en date du 2 février 2017, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 28 octobre 2016 du préfet du Gard en tant qu'il a fixé le pays de renvoi en cas d'exécution d'office de l'obligation pour Mme D... de quitter le territoire français ; que par les deux requêtes susvisées, le préfet du Gard, d'une part, relève appel de ce jugement sous le n° 17MA01054, et d'autre part, demande à la Cour, sous le n° 17MA021053, de surseoir à l'exécution dudit jugement ; que, par la voie de l'appel incident, Mme D... demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 2 février 2017 en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
2. Considérant que les requêtes susvisées concernent le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre et de statuer par un même arrêt ;
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...° l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) " ;
4. Considérant qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de Mme D...au bénéfice de l'aide juridictionnelle pour les deux requêtes susvisées ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
6. Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du préfet du Gard du 28 octobre 2016 en litige en tant qu'il fixe le pays de destination au motif que par deux jugements rendus le même jour sous les numéros 1603747 et 1603749, le tribunal avait annulé, d'une part, la décision de refus de titre de séjour opposée le 28 octobre 2016 par le préfet du Gard à M. A... D..., père de Mme D... et, d'autre part, la décision du préfet du Gard du même jour faisant obligation à Mme B...D..., mère de l'intéressée, de quitter le territoire français ; que toutefois, par un arrêt n° 17MA01053-17MA01054 du 8 juin 2017, la Cour de céans a annulé le jugement n° 1603747 rendu par le tribunal administratif de Nîmes et a rejeté la demande de M. D..., et par un jugement n° 1701096, le même tribunal a rejeté la demande d'annulation de l'arrêté en date du 27 mars 2017 pris par le préfet du Gard, refusant à nouveau le séjour à Mme B... D...et lui faisant obligation de quitter le territoire français ; que, par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme D... est entrée irrégulièrement en France le 11 février 2015 selon ses déclarations, à l'âge de vingt-deux ans, accompagnée de ses parents ; que, sa demande d'asile déposée le 16 février 2015 auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a été rejetée par une décision du 28 mai 2015, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 23 février 2016 ; qu'en outre, par décision en date du 23 mai 2016, l'OFPRA a déclaré irrecevable la demande de réexamen présentée le 10 mai 2016 par Mme D... ; que si cette dernière soutient que la décision en litige a été prise en violation de son droit au respect de la vie privée et familiale, eu égard à la pathologie de son père qui ne lui permet pas, faute de soins, de retourner en Albanie, elle ne justifie toutefois ni que le traitement suivi par son père l'empêche de quitter le territoire français ni de l'exceptionnelle gravité de sa pathologie ; que le préfet du Gard justifie quant à lui que l'intéressé peut bénéficier effectivement en Albanie de soins appropriés à sa maladie, notamment d'un accès à un traitement médicamenteux ; que, par suite, le préfet de Gard est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a retenu le moyen tiré de la violation de l'article 8 précité pour annuler la décision portant désignation du pays de destination de la mesure d'éloignement ;
7. Considérant qu'il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... tant devant le tribunal administratif que devant la Cour ;
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :
8. Considérant que lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité compétente, substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée ; que le préfet du Gard fait valoir que la décision attaquée trouve son fondement légal dans les dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui peuvent être substituées à celles du 3° du I du même article ; que, la demande de substitution de base légale du préfet ne privant Mme D... d'aucune garantie procédurale, il y a lieu d'y faire droit ;
9. Considérant, qu'aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1 (...), le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : (...) 4° L'étranger n'a introduit une première demande de réexamen, qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité par l'office en application du 3° de l'article L. 723-11, qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement (...) " ;
10. Considérant, que comme il a été dit au point 4, l'OFPRA a déclaré irrecevable la demande de réexamen présentée le 10 mai 2016 par Mme D... ; que celle-ci se trouvait, à la date de sa demande de réexamen, sous le coup d'une précédente obligation de quitter le territoire national ; que l'intéressée n'ayant pas exécuté cette mesure, le préfet était fondé à estimer que Mme D... n'avait introduit sa demande de réexamen qu'en vue de faire échec à la mesure d'éloignement ; que par suite, il a pu légalement prendre une décision obligeant Mme D... à quitter le territoire français, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 743-1 ;
11. Considérant que, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 4, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que le père de l'intéressée qui déclare souffrir de troubles psychiatriques ne démontre pas l'exceptionnelle gravité de sa pathologie et peut bénéficier de soins appropriés dans son pays d'origine ;
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
12. Considérant qu'eu égard à ce qui a été dit aux points 6 à 9, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays à destination duquel Mme D... pourra être reconduite d'office devrait être annulée en conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français pour l'exécution de laquelle elle est prise doit être écarté ;
13. Considérant que Mme D..., qui serait, selon ses déclarations, entrée en France au cours de l'année 2015, ne fait état d'aucune relation particulière sur le territoire ; que les parents de Mme D... se trouvaient en situation irrégulière sur le territoire français à la date de la décision contestée ; que, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur sa situation personnelle en prenant une décision fixant le pays de renvoi ;
14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de 1'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ;
15. Considérant que si Mme D... soutient qu'elle ne peut retourner en Albanie en raison des persécutions dont son père pourrait faire l'objet par des réseaux mafieux et de l'impossibilité de trouver une protection auprès des autorités albanaises, toutefois en se bornant à produire des courriers du parquet de Tropoje (Albanie), elle n'établit pas qu'elle encourrait des peines ou traitements inhumains ou dégradants ou que sa vie ou sa liberté serait menacée en cas de retour dans son pays d'origine ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté ;
16. Considérant que, dès lors que la Cour se prononce au fond par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet du Gard tendant à l'annulation du jugement attaqué et sur la légalité de l'arrêté du 28 octobre 2016, les conclusions de la requête n° 17MA01053 tendant au sursis à l'exécution de ce même jugement sont désormais dépourvues d'objet ; qu'il n'y a plus lieu d'y statuer ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Gard est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 2 février 2017, le tribunal administratif de Nîmes a annulé son arrêté du 28 octobre 2016 en tant qu'il désigne le pays de renvoi de Mme D... en cas d'exécution d'office de l'obligation qui lui était faite de quitter le territoire français et lui a enjoint de délivrer une carte de séjour temporaire à l'intéressée ; qu'il suit de là que les conclusions incidentes d'appel ainsi que la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Nîmes, et, par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente en appel au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : Mme D...est admise, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle au titre des dossiers n° 17MA010503 et n° 17MA01054.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 17MA01053.
Article 3 : Le jugement n° 1603748 du 2 février 2017 du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu'il a annulé la décision en date du 28 octobre 2016 par laquelle le préfet du Gard a fixé le pays à destination duquel devrait être renvoyée Mme D... et qu'il a enjoint à cette même autorité de délivrer une carte de séjour temporaire à l'intéressée.
Article 4 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Nîmes et ses conclusions incidentes d'appel sont rejetées.
Article 5 : Les conclusions présentées par Mme D... au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C...D....
Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- Mme Josset, présidente assesseure,
- Mme Féménia, première conseillère.
Lu en audience publique, le 8 juin 2017.
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N° 17MA01053, 17MA01054