Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 23 février 2018, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 26 janvier 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 septembre 2017 du préfet de l'Hérault ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de deux mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'État, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 2 000 euros.
Elle soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour en litige n'a pas fait l'objet d'un examen particulier ;
- la décision de refus de titre de séjour en litige a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision de refus de titre de séjour en litige a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour qui en constitue le fondement ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2018, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés et renvoie à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Silvy a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...C..., épouseA..., ressortissante turque née le 6 mai 1986, relève appel du jugement du 26 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 13 septembre 2017 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français, en fixant le pays à destination duquel elle pourra être éloignée.
Sur la légalité de l'arrêté du 13 septembre 2017 :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui se prononce sur une demande de titre de séjour présentée par un étranger, d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., a épousé en Turquie le 17 janvier 2014, un compatriote, M. B... A..., résident en France depuis l'année 1999. Celui-ci, après avoir été titulaire d'une première carte de résident valable du 30 septembre 2004 au 29 septembre 2014, réside régulièrement sur le territoire français sous couvert d'une deuxième carte de résident valable jusqu'en 2024 et est le père d'un enfant français issu d'une première union. Il a, dès lors, vocation à résider durablement sur le territoire français. Si Mme A... allègue une entrée irrégulière en France dès le mois de janvier 2014, il ressort des pièces du dossier que l'ancienneté de son séjour sur le territoire français n'est pas établie avant le mois de décembre 2014. Il en résulte qu'à la date de l'arrêté contesté, la vie familiale de la requérante était constituée en France depuis près de trois années. Il ressort également des pièces du dossier que les enfants du couple sont nés le 18 mars 2015 et le 23 octobre 2016 sur le territoire français. Par ailleurs, le maintien de la communauté de vie entre Mme A... et son époux à la date de la décision attaquée n'est pas contesté. Dès lors, le préfet de l'Hérault, en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français, a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels ces décisions ont été prises, et a ainsi méconnu l'article 8 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale. Mme A... est fondée, par suite, à demander l'annulation de cet arrêté.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
7. Le présent arrêt implique nécessairement, eu égard au motif d'annulation qui le fonde, la délivrance du titre de séjour sollicité par Mme A.... Il ne résulte pas de l'instruction, qu'à la date du présent arrêt, des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose à la demande de l'intéressée une nouvelle décision de refus. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de justice :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 26 janvier 2018 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Hérault du 13 septembre 2017 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme C..., épouseA..., une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Mme C..., épouseA..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...C...épouse A...et ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République, près le tribunal de grande instance de Béziers.
Délibéré après l'audience du 11 octobre 2018, où siégeaient :
- M. Poujade, président de chambre,
- M. Portail, président assesseur,
- M. Silvy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 octobre 2018.
N° 18MA00914 5