Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2018, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 novembre 2017 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner la commune de Mallemoisson à lui verser la somme de 935 285 euros, ainsi que les intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Mallemoisson la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que c'est à tort que le jugement attaqué a décliné la compétence de la justice administrative pour connaître du litige dès lors que les travaux entrepris n'ont pas entraîné une extinction du droit de propriété.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2018, la commune de Mallemoisson, représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) à titre principal, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Marseille ;
2°) à titre subsidiaire, d'évoquer le litige et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Marseille ;
3°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le jugement attaqué a décliné la compétence de la justice administrative pour connaître du litige dès lors que les travaux entrepris n'ont pas entraîné une extinction du droit de propriété ;
- les moyens soulevés par M. B...en première instance ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code forestier ;
- l'arrêté n° 2007-1697 du 1er août 2007 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence relatif à la prévention des incendies de forêts et des espaces naturels et concernant le débroussaillement ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Merenne,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant M. B..., et de MeD..., représentant la commune de Mallemoisson.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...est propriétaire d'une parcelle boisée classée alors cadastrée section A n° 647 sur le territoire de la commune de Mallemoisson. Par un arrêté du 3 décembre 2011, le maire de la commune a ordonné l'exécution d'office de travaux de débroussaillement sur cette parcelle. Les travaux ont été réalisés par l'association dignoise d'insertion par le travail (ADIT). L'arrêté du 3 décembre 2011 a été annulé par un jugement n° 1200880 du 13 mai 2013 du tribunal administratif de Marseille.
2. Par le jugement attaqué du 30 novembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. B...tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des travaux de débroussaillement comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
3. Il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.
4. Ainsi qu'il a été dit, les travaux de débroussaillement ordonnés par la commune de Mallemoisson sur la parcelle de M.B..., qui ont le caractère de travaux publics, ont été exécutés d'office en vertu d'un arrêté municipal du 3 décembre 2011 pris sur le fondement de l'article L. 322-4-2 du code forestier alors applicable, ultérieurement annulé par le tribunal administratif de Marseille. Ils ne procèdent en conséquence ni d'une décision manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir de l'administration, ni de l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision même régulière. En outre, l'abattage d'arbres lors de l'exécution de ces travaux n'a pas entraîné l'extinction du droit de propriété de M. B...sur cette parcelle. Par ailleurs, aucun ouvrage public n'est en cause. Ces travaux ne peuvent, par suite, être qualifiés de voie de fait. Il suit de là que M. B...et la commune de Mallemoisson sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. B...comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
5. Il y a lieu par suite d'annuler le jugement attaqué et d'évoquer immédiatement le litige pour statuer sur ces conclusions en tant que juge de première instance.
Sur la responsabilité de la commune :
6. D'une part, l'article L. 322-3 du code forestier alors applicable disposait que : " Dans les communes où se trouvent des bois classés en application de l'article L. 321-1 ou inclus dans les massifs forestiers mentionnés à l'article L. 321-6, le débroussaillement et le maintien en état débroussaillé sont obligatoires sur les zones situées à moins de 200 mètres de terrains en nature de bois, forêts, landes, maquis, garrigue, plantations ou reboisements et répondant à l'une des situations suivantes : / a) Abords des constructions, chantiers, travaux et installations de toute nature, sur une profondeur de cinquante mètres, ainsi que des voies privées y donnant accès, sur une profondeur de dix mètres de part et d'autre de la voie (...) ".
7. D'autre part, l'article L. 321-5-3 du même code définissait le débroussaillement comme " les opérations dont l'objectif est de diminuer l'intensité et de limiter la propagation des incendies par la réduction des combustibles végétaux en garantissant une rupture de la continuité du couvert végétal et en procédant à l'élagage des sujets maintenus et à l'élimination des rémanents de coupes. " L'annexe 4 de l'arrêté n° 2007-1697 du 1er août 2007 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence pris sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 321-5-3 ajoute que le débroussaillement comprend notamment " la coupe et l'élimination de la végétation ligneuse basse ", " la coupe et l'élimination des arbres et arbustes, morts, dépérissants ou sans avenir ", et " la coupe et l'élimination des arbres et arbustes en densité excessive de façon à ce que le houppier de chaque arbre ou arbuste conservé soit distant de son voisin immédiat d'au minimum cinq mètres ".
8. L'illégalité entachant l'arrêté du 3 décembre 2011 qu'a retenue le jugement du 13 mai 2013 du tribunal administratif constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
9. Il résulte de l'instruction, notamment des constats d'huissier réalisés le 6 avril 2012 et le 18 octobre 2012, avant et après les travaux de débroussaillement, que ceux-ci ont entraîné la coupe d'arbres sains antérieurement présents sur la parcelle, ultérieurement dénombrés par un nouveau constat d'huissier du 29 avril 2014 à 461 pins d'Alep et pins sylvestres, 165 cades, 26 chênes et acacias et 17 genêts. La commune de Mallemoisson, qui a fait exécuter les travaux d'office sans avoir préalablement procédé à des mesures conservatoires telles qu'un constat contradictoire, un état des lieux avant le début des travaux ou un procès-verbal détaillé, n'apporte aucun élément de nature à contredire utilement la réalisation de ces coupes lors des travaux de débroussaillement.
10. La commune de Mallemoisson, pour contester l'existence d'un lien direct de causalité entre l'illégalité fautive et les préjudices invoqués, fait cependant valoir que l'arrêté du 3 décembre 2011 aurait pu être légalement fondé sur un autre motif, tiré de la présence d'habitations autour de cette parcelle, qu'elle n'avait pas initialement invoqué devant le juge de l'excès de pouvoir. Il résulte cependant de l'instruction que l'arrêté du 3 décembre 2011 a été pris sur un constat du maire réalisé le 5 mai 2011 se bornant à mentionner de façon laconique " la présence de nombreux arbres morts sur la parcelle cadastrée A n° 647 ", sans faire état de la nécessité de faire procéder à la coupe d'arbres sains. Les travaux entrepris excèdent ainsi en tout état de cause ceux nécessaires pour l'exécution par le propriétaire de son obligation de débroussaillement et sont en conséquence à l'origine de préjudices en lien direct et certain avec l'illégalité invoquée.
Sur l'évaluation des préjudices :
11. L'article R. 621-1 du code de justice administrative prévoit que la juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner avant dire droit qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par la juridiction.
12. Pour évaluer le préjudice qu'il a subi à la somme de 935 285 euros, M. B... se fonde sur le rapport d'un expert foncier et agricole ayant estimé le coût de remplacement à l'identique des arbres abattus par la transplantation de sujets adultes. Il ressort des termes mêmes de ce rapport que cette méthode ne correspond pas aux modalités habituelles de replantation d'une parcelle boisée.
13. En outre, il ressort des éléments produits par la commune de Mallemoisson que le prix des forêts dans le département des Alpes-de-Haute-Provence est compris entre 800 et 113 000 euros par hectare, le prix moyen s'élevant à 3 590 euros. Les pièces du dossier ne permettent pas de confirmer que la valeur vénale de la parcelle en question, susceptible de limiter, le cas échéant, le montant des préjudices, correspondrait nécessairement au prix moyen comme le soutient la commune.
14. Il y a lieu en conséquence d'ordonner avant dire droit une expertise en application de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, qui aura lieu dans les conditions précisées ci-après.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 30 novembre 2017 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Il sera procédé à une expertise par un expert désigné par la présidente de la cour administrative d'appel.
L'expert aura pour mission, d'une part, d'évaluer le coût des travaux de replantation sur la parcelle anciennement cadastrée section A n° 647 sur le territoire de la commune de Mallemoisson en vue de rétablir un boisement comparable à celui préexistant aux travaux de débroussaillement réalisés en 2012, et, d'autre part, de déterminer la valeur vénale de cette parcelle.
L'expert se rendra sur les lieux en présence des parties. Il prendra connaissance des documents relatifs à l'état de la parcelle avant les travaux de débroussaillement réalisés et se fera remettre tous autres documents utiles à sa mission.
Article 3 : Avec leur accord, l'expert pourra assurer une mission de médiation afin de permettre aux parties de trouver un accord sur l'indemnisation de M.B....
Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour.
L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires dans le délai fixé par la présidente de la cour. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de leur rapport par les parties.
Dans le cas où l'expert conduirait une mission de médiation, son rapport ne doit pas rendre compte des constatations et déclarations recueillies dans le cadre de cet office que les parties entendent garder confidentielles.
Dans le cas où la médiation a donné lieu à un accord entre les parties, son rapport peut se borner, après avoir indiqué les diligences qu'il a effectuées, à rendre compte de cet accord, en y joignant, si les parties ne s'y opposent pas, la transaction qu'elles auront, le cas échéant, conclue et en précisant si cet accord règle l'attribution de la charge des frais d'expertise.
Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 6 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et à la commune de Mallemoisson.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- MmeE..., première conseillère,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique le 11 avril 2019.
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N° 18MA00474
kp