Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2018, et des mémoires, enregistrés les 28 novembre 2018, 15 janvier 2019, 19 janvier 2019 et 20 mars 2019, M. B...demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier du 23 avril 2018 en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 mars 2018 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a assorti cette décision d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, ainsi que la décision de mise à exécution révélée par la décision de placement en rétention du 20 avril 2018 ;
3°) de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur version en vigueur, en tant qu'elles sont applicables aux étrangers détenus faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai et de surseoir à statuer jusqu'à l'intervention de sa décision ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au profit de MeA..., une somme de 1 500 euros en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, ce règlement emportant renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le premier juge a omis de répondre au moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte ;
- les conditions de notification de l'obligation de quitter le territoire français en garde à vue ont été irrégulières et le délai de recours n'a pas couru, dès lors que cette notification n'indique pas qu'il pouvait faire son recours auprès du greffe de la maison d'arrêt, qu'elle exige un exposé des faits et arguments précis et qu'elle n'a pas été faite en présence de son représentant légal, alors qu'il était mineur ;
- il a produit devant le tribunal un mémoire QPC distinct, recevable dès lors qu'il n'est pas établi qu'il aurait été reçu après l'audience ;
- il est recevable à contester la mise à exécution de la décision d'éloignement du 20 mars 2018 ;
- l'obligation de quitter le territoire français contrevient aux dispositions de l'article L. 511-4, 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la compétence du signataire de l'acte n'est pas établie ;
- la décision de placement en rétention administrative révélant la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 41 paragraphe 2 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2018, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.
Par deux mémoires, enregistrés le 15 janvier 2019 et le 19 janvier 2019, M. B...demande à la Cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur version en vigueur, en tant qu'elles sont applicables aux étrangers détenus faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai.
Il soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jorda-Lecroq,
- et les observations de MeA..., représentant M.B....
Une note en délibéré présentée pour M. B...a été enregistrée le 2 mai 2019.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., ressortissant ivoirien, a fait l'objet d'un arrêté du 20 mars 2018, qui lui a été notifié le même jour à 19 heures 10 alors qu'il était en garde à vue et avant son placement en détention, par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Il fait appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier en tant que ce jugement a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté, ainsi que de la décision de mise à exécution révélée par la décision de placement en rétention du 20 avril 2018.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le juge administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) ".
3. Le Conseil constitutionnel, par une décision n° 2018-741-QPC du 19 octobre 2018 a, dans les motifs et le dispositif de cette décision, déclaré les dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en tant qu'elles limitent à quarante-huit heures le délai de recours contentieux contre une décision portant obligation de quitter le territoire français non assortie d'un délai de départ volontaire, conformes à la Constitution, y compris en tant que ces dispositions s'appliquent aux étrangers détenus. Dès lors, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction postérieure mais qui sont similaires dans leur substance à celles ainsi déclarées conformes, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) ". Le premier alinéa de l'article L. 111-6 de ce code prévoit que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Enfin, aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. (...) ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles ou y fait procéder auprès de l'autorité étrangère compétente. L'article 47 du code civil précité posant une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. Il ressort des pièces du dossier que l'extrait d'acte de naissance qui était en possession de M. B...lors de son interpellation a fait l'objet d'une authentification auprès de la direction de la coopération internationale et de l'officier de liaison français en Côte d'Ivoire et qu'il s'est avéré que l'identité de l'intéressé n'était pas inscrite sur les registres des actes de naissance de Daola (Côte d'Ivoire). La consultation du fichier AFIS (Automates Fingerprint Identification System), permettant une identification par empreintes digitales, a révélé que le requérant était connu des autorités italiennes sous deux identités auxquelles correspondaient deux dates de naissance différentes, le 25 octobre 2001 et le 5 avril 2001. Le préfet a retenu, pour estimer que M. B...était majeur, un examen osseux faisant état d'un âge de 18 ans avec une marge d'erreur de deux ans, et un examen dentaire concluant à un âge de 21,4 ans avec une marge d'erreur de 2,34 ans.
7. Toutefois, M. B... produit en appel le passeport biométrique, dont l'original a été consulté par la Cour lors de l'audience, qui lui a été délivré le 18 juillet 2018 par les autorités ivoiriennes. Ce document, dont le préfet de l'Hérault ne conteste au demeurant pas l'authenticité, n'apparaît ni irrégulier ni falsifié. S'il est postérieur à l'arrêté contesté, les faits qui y sont déclarés, en l'occurrence la date de naissance de M. B..., sont antérieurs à cet arrêté. Il ressort des mentions de ce document que le requérant est né le 25 octobre 2000 et était donc mineur à la date de l'arrêté. M. B...est, dès lors, fondé à soutenir que celui-ci méconnaît l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 20 mars 2018. En revanche, cet arrêté n'a pas été mis à exécution. Ainsi, en tout état de cause, les conclusions dirigées contre la décision de mise à exécution qui aurait été révélée par la décision de placement en rétention du 20 avril 2018 doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat au profit de MeA..., sous réserve de renonciation de celui-ci au bénéfice de l'aide juridictionnelle, une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 23 avril 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier, en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B...contre l'arrêté du 20 mars 2018 du préfet de l'Hérault, et cet arrêté sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à MeA..., sous réserve de renonciation de celui-ci au bénéfice de l'aide juridictionnelle, une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente assesseure,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 mai 2019.
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N° 18MA04219