Par un jugement du 18 septembre 2014, le tribunal administratif de Nîmes a condamné l'ONIAM à lui verser la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité sous déduction de la somme accordée à titre provisionnel.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 novembre 2014 et 3 mars 2016, M. E..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1103225 du 18 septembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a limité à la somme de 5 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'ONIAM en réparation des préjudices qu'il a subis ;
2°) de porter à la somme de 182 000 euros le montant de l'indemnité due à titre de réparation ou, subsidiairement, à la somme de 20 000 euros correspondant à l'indemnisation des seuls préjudices temporaires ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il a droit à la réparation intégrale des préjudices subis dès lors que son état de santé doit être considéré comme stabilisé.
Par un mémoire, enregistré le 15 février 2016, l'ONIAM, représenté par Me C..., demande à la Cour de rejeter la requête de M. E... ;
Il soutient que l'état de santé du requérant ne peut être regardé comme étant consolidé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laso ;
- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique ;
- et les observations de Me B...représentant l'ONIAM.
1. Considérant que M. E..., né le 25 juin 1963, est atteint, depuis sa naissance, d'une hémophilie ; que sa contamination par le virus de l'hépatite C a été découverte en 1991 ; qu'estimant que celle-ci trouvait son origine dans les transfusions de produits sanguins qu'il a reçues dans le cadre de son traitement anti-hémophilique, il a saisi le tribunal administratif de Nîmes aux fins notamment d'obtenir réparation des préjudices subis ; que, par un jugement avant dire droit du 4 juillet 2013, le tribunal a estimé que l'origine transfusionnelle de la contamination de M. E... devait être regardée comme établie et qu'il y avait lieu, en conséquence, de mettre à la charge de l'ONIAM, substitué à l'Etablissement français du sang (EFS), la réparation des préjudices subis par l'intéressé ; que, par ce même jugement, le tribunal a ordonné une expertise médicale aux fins de déterminer les préjudices en lien avec la contamination ; que, par un jugement du 18 septembre 2014, le tribunal administratif de Nîmes a condamné l'ONIAM à verser à M. E... la somme de 5 000 euros, sous déduction de la provision du même montant allouée par le jugement du 4 juillet 2013 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande indemnitaire ; que M. E... relève appel de ce jugement ;
Sur l'obligation de l'ONIAM :
2. Considérant que l'ONIAM ne conteste ni la matérialité des transfusions ni que la probabilité d'une origine transfusionnelle de la contamination de M. E... par le virus de l'hépatite C demeure l'hypothèse la plus vraisemblable compte tenu du nombre de produits sanguins anti-hémophiliques qu'il a reçus depuis son enfance et du nombre de donneurs à l'origine de ces produits, rendant impossible la réalisation d'une enquête transfusionnelle par l'EFS ; que, par suite, la réparation des conséquences dommageables de la contamination de M. E... par le virus de l'hépatite C incombe à l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ; que l'office ne conteste au demeurant pas son obligation ;
Sur les préjudices :
En ce qui concerne l'incidence professionnelle :
3. Considérant que si M. E..., gérant d'une société de réparation automobile, a cessé son activité professionnelle à compter du 1er décembre 2006 et a été mis en invalidité totale et définitive en décembre 2007, il ne produit aucun élément de nature à établir que la contamination transfusionnelle qui a été détectée en 1991 a été à l'origine de son incapacité à exercer une activité professionnelle ; qu'en outre, il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 4 juillet 2013, que l'intéressé n'a fait l'objet d'aucun traitement antiviral et que le score de fibrose dont il est atteint ne justifie pas une mise en invalidité ; que, dans ces conditions, la contamination transfusionnelle en cause ne peut être regardée comme étant à l'origine de la cessation d'activité professionnelle du requérant ; que, par suite, les conclusions tendant à la réparation de l'incidence professionnelle et de la perte de retraite invoquées ne peuvent qu'être rejetées ;
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
4. Considérant que, comme il a été dit au point précédent, M. E... n'a fait l'objet d'aucun traitement antiviral pour sa contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'en outre, il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert que l'intéressé ne présente pas de pathologie associée à cette contamination ; que, toutefois, M. E..., co-infecté par le virus de l'hépatite C et celui de l'immunodéficience humaine, est atteint d'une fibrose modérée ; que les examens pratiqués le 6 janvier 2014 indiquent que le requérant est atteint d'un stade de fibrose avec un score d'activité A1/A2 et de fibrose F1/F2 ; que, dès lors, l'intéressé subit une souffrance morale, au demeurant reconnue par l'expert, liée au fait de se savoir contaminé par le virus de l'hépatite C qui, par l'inquiétude éprouvée quant à l'évolution de la maladie dont il est affecté, a des répercussions sur sa vie personnelle ; que, dans ces conditions, en lui accordant une somme de 5 000 euros au titre de cette souffrance et de l'ensemble des troubles de nature subis dans ses conditions d'existence, incluant l'anxiété, le tribunal administratif n'a pas suffisamment tenu compte des circonstances de l'espèce ; qu'eu égard notamment à son âge et à la co-infection par les virus de l'hépatite C et de l'immunodéficience humaine dont il est atteint, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 12 000 euros ;
5. Considérant qu'eu égard au caractère évolutif de sa pathologie, l'état de santé de M. E..., s'il ne peut être regardé comme consolidé, un traitement pouvant être envisagé, est néanmoins stabilisé ; que, toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que soient réparées l'ensemble des conséquences d'ores et déjà acquises de la détérioration de son état de santé alors, au demeurant, que l'intéressé indique n'avoir pas l'intention de suivre le traitement préconisé en raison des contraintes thérapeutiques auxquelles il a été soumis du fait de sa contamination par le VIH ; que dans ces conditions, le requérant est fondé à demander à être indemnisé du déficit fonctionnel permanent dont il est atteint ; que, compte tenu, d'une part, des résultats des examens réalisés le 6 janvier 2014 faisant état, comme indiqué au point précédent, d'un stade de fibrose avec un score d'activité A1/2 et un score de fibrose F1/F2, et, d'autre part, de ce que l'annexe 11-2 du code de la santé publique relative au barème d'évaluation des taux d'incapacité des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales mentionné à l'article D. 1142-2 de ce code prévoit un taux d'incapacité compris entre 5 et 10 % dans le cas d'un score métavir supérieur à A1F1 mais inférieur à F4, il y a lieu de fixer à 8 % le taux de déficit fonctionnel permanent ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, eu égard à l'âge de l'intéressé, en l'évaluant à la somme de 8 000 euros ; qu'en cas d'aggravation de son état de santé, il sera loisible à M. E... de solliciter, s'il s'y croit fondé, une indemnisation complémentaire ;
6. Considérant que M. E... ne justifie ni de la pratique d'une activité spécifique ni de la cessation de toute activité sportive, culturelle ou de loisir ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé subirait un préjudice sexuel du fait de l'hépatite C, celle-ci ne se transmettant que rarement par voie sexuelle ; que le requérant n'est dès lors pas fondé à demander une indemnité à ce double titre ;
7. Considérant que si M. E... invoque un préjudice d'angoisse et un préjudice qualifié " d'exceptionnel " lié à l'impossibilité de bénéficier à son décès de soins funéraires, ces préjudices ne sont pas distincts de celui déjà indemnisé au titre des troubles dans les conditions d'existence ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. E... est seulement fondé à demander que l'indemnité, que le tribunal administratif a condamné l'ONIAM à lui verser, soit portée à la somme de 20 000 euros, sous déduction de la provision de 5 000 euros accordée par le jugement du 4 juillet 2013 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 5 000 euros que l'ONIAM a été condamné à verser à M. E... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 18 septembre 2014 est portée à 20 000 euros, sous déduction de la provision de 5 000 euros allouée par le jugement du 4 juillet 2013.
Article 2 : Le jugement n° 1103225 du tribunal administratif de Nîmes du 18 septembre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.
Article 4 : L'ONIAM versera à M. E... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et au Régime social des indépendants.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2016, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- M. Laso, président assesseur,
- M. Lafay, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 décembre 2016.
2
14MA04584