Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 28 février 2020, Mme B... C... épouse A..., représentée par Me Mazas, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 7 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 avril 2019 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour et à défaut de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté litigieux n'est pas motivé pour être stéréotypé, et qu'il n'indique pas que son époux est gravement malade ;
- l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle dès lors qu'il est légitime qu'elle accompagne son époux gravement malade.
Mme C... épouse A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 décembre 2019.
Par un mémoire enregistré le 9 juillet 2021, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Le préfet soutient que les moyens de la requérante sont infondés.
Une ordonnance du 9 juillet 2021 a fixé la clôture de l'instruction au 9 août 2021 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Ury.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... épouse A..., née en 1951, ressortissante marocaine, qui est entrée en Espagne le 4 octobre 2017 munie d'un visa de court de 90 jours valable du 30 septembre 2017 au 29 décembre 2017, a sollicité le 12 mars 2019 auprès du préfet de l'Hérault la délivrance d'un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale. Mme A... relève appel du jugement du 7 octobre 2019, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 avril 2019 du préfet de l'Hérault qui lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour et d'assortir cette décision d'une obligation de quitter le territoire français, d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé. Cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure de refus de délivrance d'un titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire français, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.
4. Mme A... a sollicité un titre de séjour mention " vie privée et familiale " en faisant valoir la nécessité de sa présence aux côtés de son mari, gravement malade, avec lequel elle déclaré être mariée depuis l'année 1967, qui vit en France depuis l'année 1969 et est titulaire d'une carte de résident de dix ans. Certes, il est constant que Mme A... a vécu au Maroc, que son mari réside en France depuis 1969, et qu'il effectuait des séjours annuels dans son pays d'origine pour revenir travailler en France. Le couple a eu 11 enfants dont un fils qui réside en situation régulière en France, et 8 autres qui demeurent au Maroc. Cependant, il ressort des documents médicaux produits au dossier que M. A..., né en 1944, est atteint d'une très grave maladie, un myélome multiple avec atteinte osseuse et fracture pathologique de l'humérus diagnostiqué au stade III en juillet 2015, qui ne peut qu'entraîner une nette dégradation de son état de santé. Mme A... fait valoir que sa présence est indispensable aux côtés de son époux pour lui apporter soins et assistance, même si celui-ci dispose d'une aide quotidienne au moyen de soins infirmiers à domicile, notamment parce que leur fils qui réside dans la même ville que son père ne peut l'assister en raison de ses obligations professionnelles. Dans ces conditions, l'arrêté en litige porte, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Ledit arrêté a ainsi méconnu les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée, d'une part, à demander l'annulation du jugement du 7 octobre 2019 du tribunal administratif de Montpellier, et d'autre part, à demander l'annulation de l'arrêté du 17 avril 2019 du préfet de l'Hérault qui lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. A la suite de l'annulation qui vient d'être prononcée, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de l'admettre provisoirement au séjour durant ces deux mois.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Mazas, avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement no 1903634 du 7 octobre 2019 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 17 avril 2019 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer à Mme A... un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination, est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de l'admettre provisoirement au séjour durant ces deux mois.
Article 4 : L'Etat versera à Me Mazas, avocate de Mme A..., une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Mazas renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A..., au préfet de l'Hérault, à Me Mazas et au ministre de l'intérieur.
Copie pour information en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2021.
N° 20MA01058 4