Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2020, M. B..., représenté par
Me Maillot, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 5 octobre 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 23 avril 2018 par laquelle le préfet de police de Paris lui a notifié le trop-perçu de 3 000 euros au titre du complément d'indemnité de fidélisation et lui a annoncé que cette somme ferait l'objet à partir du mois de mai d'une retenue sur salaire, ainsi que la décision révélée par la retenue opérée sur la paie du mois de mai 2018 à hauteur de la somme de 562 euros ;
3°) à défaut, d'annuler le titre de perception en date du 11 juillet 2018 d'un montant de 2 408, 96 euros ;
4°) d'enjoindre à l'Etat de lui reverser la somme de 3000 euros, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- les premiers juges n'ont pas statué sur ses conclusions, pourtant formellement présentées, tendant à l'annulation du titre de perception du 11 juillet 2018, déjà contesté par voie de recours gracieux et produit au soutien de sa demande ;
- c'est à tort qu'ils ont considéré comme irrecevables ses conclusions contre la lettre du 23 avril 2018, laquelle lui fait grief, ainsi qu'un autre tribunal administratif a pu le juger dans un litige similaire ;
- les décisions en litige sont entachées d'erreur de droit, aucune disposition du décret du 15 décembre 1999 tel que modifié par le décret n° 2009-438 du 20 avril 2009 ou du décret
n° 2004-1439 du 23 décembre 2004 portant statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale, ne prévoyant le retrait du complément de fidélisation au motif que son bénéficiaire a rompu son engagement de servir huit années dans la région Ile-de-France, du fait d'une mutation dérogatoire.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête, en soutenant que les moyens qui y sont développés ne sont pas fondés.
Par une lettre du 16 février 2022, la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que son arrêt était susceptible de se fonder sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre le titre exécutoire du 11 juillet 2018, faute d'avoir été précédées de la réclamation auprès du comptable chargé de son recouvrement, prévue à l'article 118 du décret du 7 novembre 2012.
Par des observations, enregistrées le 18 février 2022, M. B... persiste dans ses précédentes écritures, en indiquant prendre acte du moyen relevé d'office et que cette irrecevabilité n'affecte pas l'ensemble de sa demande, tendant également à l'annulation de la lettre du 23 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 99-1055 du 15 décembre 1999 ;
- le décret n° 2004-1439 du 23 décembre 2004 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., gardien de la paix nommé dans la circonscription de sécurité publique des Hauts-de-Seine à l'issue de sa réussite au concours national à affectation régionale en
Île-de-France, a bénéficié, au terme de sa première année d'affectation, de l'indemnité dite de fidélisation et du complément de cette indemnité, sur le fondement des dispositions de
l'article 1er du décret du 15 décembre 1999 portant attribution d'une indemnité de fidélisation en secteur difficile aux fonctionnaires actifs de la police nationale. Par lettre du 23 avril 2018, le chef du bureau des rémunérations et des pensions de la préfecture de police de Paris l'a informé de ce que, compte tenu de sa mutation à Marseille à compter du 10 avril 2018, il était redevable de la somme de 3 000 euros au titre d'un trop-perçu de complément d'indemnité de fidélisation, et qu'allait être opérée une retenue sur son traitement du mois de mai 2018 selon la quotité saisissable. Par jugement du 5 octobre 2020, dont M. B... relève régulièrement appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande en la regardant comme tendant à l'annulation de cette lettre du 23 avril 2018 et du rejet tacite par le ministre de l'intérieur de son recours gracieux formé le 10 août 2018.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, il résulte des écritures présentées par M. B... devant le tribunal administratif, ainsi que des pièces qui y étaient annexées, que sa demande devait être regardée comme tendant non seulement à l'annulation de la lettre du 23 avril 2018, ensemble le rejet tacite de son recours gracieux, mais encore à l'annulation du titre de perception émis le 11 juillet 2018 et portant sur le reversement du reste à payer de son complément d'indemnité de fidélisation, pour un montant de 2 408, 96 euros, au demeurant produit au soutien de ses prétentions. En ne s'estimant saisi que des premières conclusions et en ne statuant pas sur les secondes, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité.
3. D'autre part, la lettre par laquelle l'administration informe l'un de ses agents qu'il doit rembourser une somme indument payée et qu'en l'absence de paiement spontané de sa part, cette somme sera retenue sur sa rémunération est une décision susceptible de faire l'objet d'un recours de plein contentieux.
4. Par sa lettre du 23 avril 2018, le chef du bureau des rémunérations et des pensions de la préfecture de police de Paris n'a pas seulement annoncé à M. B... son obligation de rembourser la somme de 3 000 euros indûment payée au titre du complément d'indemnité de fidélisation, ainsi que l'intervention d'une retenue sur son traitement du mois de mai 2018, mais a de la sorte également fixé le principe et le montant de cette créance et décidé que cette retenue serait ainsi opérée. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, et alors même que la retenue pratiquée sur la rémunération versée à l'intéressé pour le mois de mai 2018 n'a porté que sur la somme de 562 euros, une telle mesure était donc susceptible de recours direct par l'intéressé. C'est, dès lors, à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté pour irrecevabilité ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision.
5. Il résulte de ce qui précède que le jugement querellé doit être annulé. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer l'affaire et de statuer sur la demande de
M. B....
Sur la demande de M. B... :
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation du titre de perception :
6. Aux termes de l'article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, qui figure dans le titre II relatif à la gestion budgétaire et comptable de l'Etat : " Les titres de perception émis en application de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales peuvent faire l'objet de la part des redevables: / 1° Soit d'une opposition à l'exécution en cas de contestation de l'existence de la créance, de son montant ou de son exigibilité ; / 2° Soit d'une opposition à poursuites en cas de contestation de la régularité de la forme d'un acte de poursuite. / L'opposition à l'exécution et l'opposition à poursuites ont pour effet de suspendre le recouvrement de la créance ". Aux termes de l'article 118 du même décret : " Avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l'ordre de recouvrer ". Enfin, aux termes de l'article 128 : " Les dépenses de personnel sont liquidées et payées sans engagement ni ordonnancement préalable par les comptables publics désignés par arrêté du ministre chargé du budget, dans les conditions suivantes : / 1° L'ordonnateur certifie le service fait en communiquant au comptable assignataire les bases de calcul nécessaires à la liquidation et à la mise en paiement des rémunérations des agents ainsi qu'à la détermination des retenues à opérer sur celles-ci ; / 2° Le comptable assignataire liquide les rémunérations et procède à leur mise en paiement ".
7. Il ne résulte pas de l'instruction qu'avant de saisir le tribunal de ses conclusions tendant à l'annulation du titre de perception émis le 11 juillet 2018, lesquelles constituent une opposition à son exécution au sens des dispositions de l'article 117 du décret du
7 novembre 2012 cité au point précédent, M. B... aurait adressé au comptable chargé du recouvrement de la créance correspondante la réclamation prévue à l'article 118 du même décret. S'il résulte de l'instruction que, par son recours gracieux présenté le 10 août 2018 au ministre de l'intérieur, M. B... a entendu contester le titre exécutoire du 11 juillet 2018, un tel recours, qui n'était pas adressé au comptable en charge du recouvrement de ce titre, et que le ministre de l'intérieur n'avait pas l'obligation de transmettre à ce dernier, faute pour les dispositions de l'article L. 114-1 du code des relations entre le public et l'administration de s'appliquer aux relations entre l'administration et ses agents, ne pouvait tenir lieu de la réclamation préalable prévue à l'article 118 du décret du 7 novembre 2012. Les conclusions de M. B... dirigées contre le titre exécutoire du 11 juillet 2018 sont donc pour ce motif irrecevables et doivent être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de la décision du
23 avril 2018 :
8. Aux termes de l'article 1er du décret du 15 décembre 1999 portant attribution d'une indemnité de fidélisation en secteur difficile aux fonctionnaires actifs de la police nationale : " Après la première, la sixième et la dixième année révolue de service continu en secteur difficile, les fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application nommés à l'issue de la réussite au concours national à affectation régionale en Ile-de-France prévu par le décret
n° 2004-1439 du 23 décembre 2004 portant statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale peuvent bénéficier d'un complément d'indemnité de fidélisation. " Aux termes de l'article 2 du même décret : " Sont considérés comme affectés en secteur difficile au sens du présent décret les fonctionnaires actifs de la police nationale exerçant, de façon permanente, quel que soit leur service d'affectation, leurs attributions dans le ressort territorial des circonscriptions de sécurité publique dont la liste est fixée aux annexes I et II du présent décret. ". Il résulte de l'annexe 1 au décret du 15 décembre 1999 que toute circonscription de sécurité publique des Hauts-de-Seine est classée en secteur difficile ouvrant droit au bénéfice de l'indemnité de fidélisation. Enfin, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 6 janvier 2011 fixant les montants forfaitaires de l'indemnité de fidélisation en secteur difficile attribuée aux fonctionnaires actifs de la police nationale, modifié par l'arrêté du
13 décembre 2011 : " Le montant du complément d'indemnité de fidélisation prévu au dernier alinéa de l'article 1er du décret du 15 décembre 1999 précité est fixé à 9 000 euros versé par tiers comme suit : 3 000 euros à l'issue de la première année révolue de service continu ; 3 000 euros à l'issue de la sixième année révolue de service continu ; 3 000 euros à l'issue de la dixième année révolue de service continu. ".
9. Par ailleurs, l'article 6 du décret du 23 décembre 2004 portant statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale dispose que : " I. Sous réserve des dispositions relatives aux emplois réservés, les gardiens de la paix sont recrutés par deux concours distincts. (...) II. Les concours mentionnés au I peuvent être ouverts pour une affectation régionale en Ile-de-France. Les gardiens de la paix recrutés par un tel concours sont affectés dans cette région pendant une durée minimale de huit ans à compter de leur nomination en qualité de stagiaire. (...) ".
10. Il résulte de l'instruction que M. B... a perçu la somme de 3 000 euros correspondant au complément d'indemnité de fidélisation servi à l'issue de sa première année révolue de service continu en Ile-de-France, dans la circonscription de sécurité publique des Hauts-de-Seine, classée en secteur difficile ouvrant droit au bénéfice de l'indemnité de fidélisation et à son complément. Il est constant qu'à la date à laquelle cette somme lui a été versée, il remplissait toutes les conditions pour bénéficier de ce complément d'indemnité. Il ne résulte d'aucune des dispositions du décret du 15 décembre 1999, ni de celles du décret du
23 décembre 2004, que cet avantage financier puisse être légalement retiré au motif, retenu par l'administration dans la décision en litige, qu'en obtenant une mutation dérogatoire, son bénéficiaire a rompu son engagement de servir huit années dans la région Ile-de-France prévu par le décret du 23 décembre 2004. Une telle circonstance n'est de nature, le cas échéant, qu'à justifier que les deux autres parties du montant total du complément d'indemnité de fidélisation ne soient pas à l'avenir versées à l'agent. Si, pour fonder sa décision, le ministre de l'intérieur invoque en défense sa circulaire du 12 mai 2017 selon laquelle " toute rupture de l'engagement durant cette période de huit ans, qui serait du fait de l'agent et quel qu'en soit le motif, entraînera le remboursement des sommes perçues au titre de ce complément d'indemnité de fidélisation ", une telle circulaire, dont l'objet est de préciser certaines conditions d'attribution et de paiement de ce complément et dont la publication régulière ne ressort pas des pièces du dossier, n'a pu légalement, en tout état de cause, ajouter aux conditions posées par les dispositions réglementaires citées aux points 7. et 8. M. B... est donc fondé à soutenir que la décision en litige, ayant donné lieu à une retenue de 562 euros sur le traitement du mois de mai 2018, est entachée d'erreur de droit et à en obtenir l'annulation, aucun autre de ses moyens de première instance et d'appel n'étant mieux à même de régler le litige.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. La présente annulation implique nécessairement, eu égard à son motif, que les sommes versées par M. B... en exécution de la décision annulée lui soient remboursées. Dans la mesure, néanmoins, où l'intéressé n'établit pas avoir versé la totalité de la somme réclamée par cette décision, mais uniquement la somme de 562 euros retenue sur sa rémunération du mois de mai 2018, il y a seulement lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui rembourser cette dernière somme, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt. Ainsi que M. B... est recevable à le demander pour la première fois en appel, cette somme produira des intérêts au taux légal lesquels courront, à défaut pour l'appelant de justifier de la date de réception de sa demande de remboursement formée le 10 août 2018, à compter du 16 août 2018, date d'enregistrement de sa demande par le greffe du tribunal. Ces intérêts produiront eux-mêmes des intérêts à compter du 16 août 2019, date à laquelle ils sont dus pour une année entière, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte le délai d'exécution de cette mesure d'injonction.
Sur les frais d'instance :
12. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de M. B..., la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1806962 du tribunal administratif de Marseille du 5 octobre 2020 est annulé.
Article 2 : La lettre en date du 23 avril 2018 par laquelle le chef du bureau des rémunérations et des pensions de la préfecture de police de Paris a informé M. B... qu'il était redevable d'une somme de 3 000 euros et qu'une retenue serait opérée sur sa rémunération est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de verser à M. B... la somme de 562 euros dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 16 août 2018. Les intérêts échus le 16 août 2019 seront capitalisés à cette date, puis à chaque échéance annuelle, pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... la somme de 2 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.
Délibéré après l'audience du 22 février 2022, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2022.
N° 20MA044882