Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 31 janvier 2013, 31 octobre suivant et 28 décembre 2015, la SARL Mas de Fréjorgues, agissant par son administrateur provisoire, MeA..., et représentée par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 décembre 2012 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de condamner l'Etat à verser à la SARL Mas de Fréjorgues la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'absence de débat oral et contradictoire concernant les factures saisies par l'autorité judiciaire ;
- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors qu'elle a été privée d'un débat oral et contradictoire, que l'administration fiscale ne lui a pas communiqué les factures saisies par l'autorité judiciaire, que la déposition d'un représentant d'un fournisseur dans le cadre d'une procédure pénale a constitué l'élément unique qui a permis au service de procéder à la reconstitution des recettes et qu'elle n'a pas été mise en mesure d'obtenir communication des documents en cause en l'absence de la moindre indication sur les références de la procédure pénale ;
- la comptabilité a été écartée à tort ;
- la reconstitution des recettes est radicalement viciée dès lors qu'elle s'appuie sur la seule déclaration d'un tiers, non corroborée par ailleurs, et que l'auteur de cette déclaration s'est rétracté ;
- les majorations pour manoeuvres frauduleuses ont été appliquées en violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'amende pour distributions occultes n'est pas fondée dès lors que l'administration ne rapporte pas la preuve de l'existence, du montant et de l'appréhension des revenus distribués.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 août 2013, 24 décembre 2015 et 28 janvier 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Mas de Fréjorgues ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public,
- et les observations de Me B...pour la SARL Mas de Fréjorgues.
1. Considérant que la SARL Mas de Fréjorgues, qui a exploité jusqu'en octobre 2007 une discothèque sous l'enseigne " Palace Café ", a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur l'ensemble des impôts et des taxes dus au titre de la période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005 ; qu'à l'issue de ce contrôle, l'administration lui a notifié une proposition de rectification en date du 15 décembre 2006, selon la procédure contradictoire, l'informant qu'elle entendait procéder à des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés, de contribution sur l'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, correspondant à des insuffisances de chiffre d'affaires, des rappels de la taxe sur la valeur ajoutée déduite à tort, ainsi que des redressements de taxe sur les véhicules des sociétés ; qu'à la suite des observations formulées par la société le 15 janvier 2007 en réponse à cette proposition de rectification, l'administration a partiellement confirmé les rehaussements, ceux relatifs à la taxe sur les véhicules des sociétés n'étant pas maintenus ; que la société a présenté deux réclamations en date du 20 décembre 2010, l'une portant sur les amendes qui lui ont été appliquées et l'autre portant sur l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée, qui ont été rejetées le 18 janvier 2011 ; que la SARL Mas de Fréjorgues a alors saisi le tribunal administratif de Montpellier par trois requêtes relatives aux amendes, à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée ; que par un jugement du 28 décembre 2012, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir joint les trois affaires, a rejeté les demandes de la société requérante ; que cette dernière relève appel de ce jugement ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne la charge de la preuve et le rejet de la comptabilité :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité présente de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. " ;
3. Considérant, en premier lieu, que pour écarter la comptabilité de la SARL Mas de Fréjorgues comme comportant de graves irrégularités, le vérificateur a notamment relevé que le journal de caisse était constitué à partir d'un brouillard de caisse tenu manuellement, enregistrant les recettes ventilées par catégorie de recettes (entrées, bouteilles, bars, vestiaires, cigarettes), sans détail des modes de paiement et que les tickets RAZ ne retraçaient pas non plus les modes de paiement, alors pourtant que les caisses utilisées par l'établissement autorisaient un enregistrement différencié des recettes ; que le vérificateur a également constaté que les inventaires annuels de stock n'étaient pas exhaustifs puisque certaines bouteilles d'alcool découvertes sur place n'y figuraient pas, ni les cigarettes pourtant vendues par l'établissement ;
qu'enfin, le vérificateur a relevé, sur la base des informations recueillies dans le cadre du droit de communication exercée auprès de l'autorité judiciaire, que des achats sans factures, notamment des achats d'alcool, étaient réglés en espèces ; que les deux premiers points ne sont pas sérieusement contestés par la requérante ; que s'agissant du troisième point, la société requérante ne peut se prévaloir de la déposition d'un agent commercial de la société Moet Henessy Diageo MHD devant un juge d'instruction, recueillie dans un procès-verbal d'interrogatoire du 19 octobre 2007, dès lors, d'une part, que s'il est vrai que cet agent est revenu à cette occasion sur certaines des déclarations qu'il avait faites en garde à vue le 22 août 2005, il a cependant confirmé l'existence de livraisons occultes de marchandises faites à l'établissement " Palace Café ", et que d'autre part l'administration s'est fondée également sur des constatations matérielles effectuées sur place pour rejeter la comptabilité de la société Mas de Fréjorgues ; que, dès lors, l'administration fiscale a pu à bon droit regarder cette comptabilité comme non probante pour l'ensemble de la période vérifiée et procéder à la reconstitution des recettes encaissées par l'entreprise ;
4. Considérant qu'il est constant que le montant des recettes reconstituées a été fixé conformément à l'avis émis le 30 novembre 2007 par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; qu'en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, il appartient ainsi à la société contribuable d'apporter la preuve du caractère exagéré des redressements en litige ;
En ce qui concerne la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le vérificateur a procédé à la reconstitution des recettes de la SARL Mas de Fréjorgues correspondant aux achats non comptabilisés en prenant en compte les déclarations de l'agent commercial de la société Moet Henessy Diageo MHD, recueillies dans un procès-verbal d'audition en date du 22 août 2005, selon lesquelles les quantités livrées sans factures correspondaient aux quantités livrées avec factures ; que toutefois, il ressort du procès-verbal d'interrogatoire du 19 octobre 2007, produit en appel, que l'agent commercial de la société Moet Henessy Diageo MHD s'est clairement rétracté en ce qui concerne l'estimation qu'il avait faite en 2005 du volume de livraison réalisé au bénéfice de la société requérante, en qualifiant celui-ci d'invraisemblable ; que ce faisant, la SARL Mas de Fréjorgues produit un élément non sérieusement contesté par l'administration, infirmant la méthode de reconstitution employée par le vérificateur, consistant à multiplier par deux les quantités livrées avec factures ; que, dans ces conditions, la société requérante doit être regardée comme établissant, eu égard à l'importante exagération par le service des quantités livrées sans factures, telle qu'elle se déduit des dernières déclarations de l'agent commercial de la société Moet Henessy Diageo MHD, le caractère radicalement vicié de la méthode mise en oeuvre par l'administration ; qu'elle est fondée, dès lors, à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignées au titre des années 2003 et 2004, ainsi que, par voie de conséquence, des majorations pour manoeuvres frauduleuses appliquées sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts et de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du même code ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin pour la Cour de statuer sur les autres moyens de la requête, que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SARL Mas de Fréjorgues et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 28 décembre 2012 est annulé.
Article 2 : La SARL Mas de Fréjorgues est déchargée, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2003 et 2004, ainsi que de l'amende appliquée sur le fondement de l'article L. 1759 du code général des impôts.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL Mas de Fréjorgues la somme de 2 000 euros (deux mille) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à MeA..., en qualité d'administrateur provisoire de la société Mas de Fréjorgues, et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 2 février 2016, où siégeaient :
- M. Cherrier, président,
- M. Martin, président-assesseur,
- Mme Mastrantuono, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 février 2016.
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N° 13MA00431 2
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