Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2019, M. B..., représenté par la SCP SVA, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 décembre 2018 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler la décision du 26 juillet 2016 et celle rejetant implicitement son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que l'auteur de la décision du 26 juillet 2016 ne bénéficiait pas d'une délégation de signature régulière ;
- l'auteur de la décision du 26 juillet 2016 ne bénéficiait pas d'une délégation de signature régulière ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article L. 215-21 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2019, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par la SELARL Gil - Cros, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par M. B... ;
2°) de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi, dès lors que le droit de préemption prévu aux articles L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme n'était plus applicable dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation antérieure sur les périmètres sensibles après l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015.
Des mémoires ont été enregistrés en réponse à cette mesure d'information le 24 septembre 2020 pour M. B... et le 1er octobre 2020 pour le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 ;
- la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 ;
- l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me G..., représentant M. B..., et de Me H... représentant le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Considérant ce qui suit :
1. M. I... et Mme D... C..., d'une part, et M. B..., d'autre part, ont conclu un compromis de vente le 8 avril 2016 portant sur les parcelles cadastrées section AD nos 47 et 48 au lieu-dit Gramenet à Lattes. Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a préempté les parcelles en question par une décision du 26 juillet 2016. M. B... a formé un recours gracieux contre cette décision le 16 septembre 2016, qui a été implicitement rejeté. M. B... fait appel du jugement du 6 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur le champ d'application du droit de préemption :
2. En application des articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme, dans leur rédaction antérieure à la loi du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en oeuvre de principes d'aménagement, des périmètres sensibles pouvaient être délimités par le préfet dans les départements inscrits sur une liste établie par décret en Conseil d'Etat. Il appartenait au préfet d'arrêter les mesures nécessaires à la protection des sites et des paysages compris dans ces périmètres sensibles et d'y créer des zones de préemption au profit du département.
3. La loi du 18 juillet 1985 a modifié les articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme en supprimant le régime de protection des périmètres sensibles et en confiant au département la compétence pour élaborer et mettre en oeuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles. L'article L. 142-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de cette loi, prévoyait que, pour la mise en oeuvre de cette politique, le conseil général pouvait créer des zones de préemption. Un nouvel article L. 142-12 disposait que : " (...) Le droit de préemption prévu à l'article L. 142-3 dans sa rédaction issue de la loi (...) s'applique dès l'entrée en vigueur du présent chapitre à l'intérieur des zones de préemption délimitées en application de l'article L. 142-1 dans sa rédaction antérieure (...) ".
4. L'ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme, ratifiée par l'article 156 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, a recodifié les dispositions relatives aux espaces naturels sensibles, d'une part, aux articles L. 113-8 et suivants pour les dispositions relatives à la politique départementale de protection des espaces naturels sensibles, et, d'autre part, aux articles L. 215-1 et suivants pour celles relatives au droit de préemption dans ces espaces. Cette ordonnance a abrogé, à compter du 1er janvier 2016, la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure, sans reprendre les dispositions de l'article L. 142-12. Il en résulte que, depuis cette date, le droit de préemption prévu aux articles L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme n'est plus applicable dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985, sauf à ce que le département les ait incluses dans les zones de préemption qu'il a lui-même créées au titre des espaces naturels sensibles.
5. Il suit de là que le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ne pouvait, après l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 23 septembre 2015, exercer légalement le droit de préemption qu'il tient de l'article L. 215-5 du code de l'urbanisme sur une parcelle située dans un périmètre sensible antérieurement créé par un arrêté du commissaire de la République du département de l'Hérault en date du 16 juin 1983.
Sur l'incompétence du signataire de la décision du 26 juillet 2016 :
6. L'article R. 322-37 du code de l'environnement dispose que le directeur du conservatoire " peut déléguer sa signature à des personnels de l'établissement, dans des limites qu'il détermine. Il peut déléguer une partie de ses pouvoirs aux personnels de l'établissement qu'il désigne pour exercer des fonctions de responsabilité. "
7. L'article 2 de la décision du 2 mai 2016 de la directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres portant délégation de signature autorise M. A... F..., directeur de l'action foncière et des systèmes d'information, à signer " l'ensemble des actes relatifs à l'organisation, au fonctionnement et à la représentation de l'établissement prévus par les articles R. 322-1 et suivants du code de l'environnement ou par les délibérations du conseil d'administration, à l'exception des actes suivants : les réquisitions de payer adressées à l'agent comptable ; les procédures de commande publique dérogatoires aux règles de mise en concurrence pour raison d'urgence impérieuse ; les contrats de travail à durée indéterminée. "
8. Le conseil d'administration avait précédemment délégué sa compétence au directeur et aux directeurs adjoints de l'établissement notamment pour exercer le droit de préemption dans des zones déterminées dans la région Languedoc-Roussillon par une délibération du 29 octobre 2008.
9. L'exercice du droit de préemption ne fait pas partie des actes relevant de l'organisation et du fonctionnement du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, non plus que de sa représentation. Il suit de là que M. F..., qui par ailleurs n'exerçait pas les fonctions de directeur adjoint de l'établissement, ne disposait pas d'une délégation de compétence ou de signature régulière pour signer la décision de préempter un bien au nom du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Cette décision est donc entachée d'incompétence.
10. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'est susceptible de fonder l'annulation des décisions contestées.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 juillet 2016 et de la décision implicite rejetant son recours gracieux.
12. Il n'est dès lors pas nécessaire de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres le versement de la somme de 2 000 euros à M. B... au titre des frais non compris dans les dépens exposés tant en première instance qu'en appel.
14. M. B... n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Les dispositions du même article font en conséquence obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 6 décembre 2018 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La décision du 26 juillet 2016 du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et la décision rejetant implicitement le recours gracieux de M. B... sont annulées.
Article 3 : Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres versera à M. B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2020, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. E..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 2 novembre 2020.
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No 19MA00312