Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire récapitulatif, enregistrés le 14 mai 2018 et le 22 octobre 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 mars 2018 du tribunal administratif de Nîmes en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre Espace Gard Découverte et la commune de Méjannes-le-Clap ;
2°) de condamner Espace Gard Découverte et la commune de Méjannes-le-Clap à lui verser respectivement les sommes de 366 709,49 euros et 419 096,49 euros, assorties des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à leur charge les dépens, ainsi que la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- ses conclusions indemnitaires sont recevables ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, dès lors qu'il n'a pas pris en compte l'ensemble des éléments produits sur les nuisances sonores, n'a pas examiné la carence du maire de Méjannes-le-Clap dans l'exercice de ses pouvoirs de police, et n'a pas répondu au moyen tiré de l'autorité de la chose jugée par la cour administrative d'appel de Lyon ;
- l'autorité de la chose jugée par l'arrêt n° 13LY20198 du 22 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Lyon impose de tenir la responsabilité des intimées pour établie ;
- le seul dépassement des seuils réglementaires relatifs au bruit suffit pour engager leur responsabilité ;
- l'Espace Gard Découverte a commis une faute en ne prenant pas de mesures suffisantes pour limiter les nuisances sonores émanant de ses activités ;
- l'antériorité de l'installation de l'ouvrage public ne peut lui être opposée ;
- les conditions dans lesquelles la commune est intervenue dans une instance pénale opposant sa maire à M. A... constituent une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- la carence de la maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police est de nature à engager la responsabilité de la commune ;
- la commune a méconnu les clauses des actes par lesquels elle a vendu plusieurs parcelles à M. A....
Par un mémoire en défense récapitulatif, enregistré le 13 octobre 2020, l'établissement public Espace Gard Découverte, représenté par la SCP C... - Bargeton - Dyens - Sergent - Alcade, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête présentée par M. A... ;
2°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'indemnisation demandée ;
3°) par la voie de l'appel incident, de réformer l'article 2 du jugement attaqué sur la charge des dépens ;
4°) de mettre les dépens à la charge de M. A..., ainsi que la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas irrégulier, dès lors que la victime n'avait pas indiqué en première instance l'organisme de sécurité sociale auquel il était affilié ;
- les conclusions sont irrecevables, dès lors que la demande préalable n'avait été adressée qu'au conseil de l'établissement ;
- M. A... s'est exposé en toute connaissance de cause aux préjudices subis, dès lors que le permis de construire pour la construction de gîtes a été demandé postérieurement à l'édification des installations de l'établissement ;
- l'autorité de la chose jugée par l'arrêt n° 13LY20198 du 22 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Lyon fait obstacle à ce que M. A... présente une nouvelle demande sur les mêmes fondements ;
- l'habitation de M. A... n'est pas exposée à des nuisances sonores ;
- ces nuisances ne présentent pas le caractère d'un préjudice anormal et spécial ;
- il n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ;
- les préjudices dont l'indemnisation est demandée ne sont pas établis ;
- le tribunal administratif a mis à tort la moitié des frais d'expertise à sa charge.
Par un mémoire en défense récapitulatif, enregistré le 15 octobre 2020, la commune de Méjannes-le-Clap, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par M. A... ;
2°) de mettre à sa charge les dépens, ainsi que la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'utilisation comme gîtes des bâtiments construits par M. A... est contraire aux prescriptions du plan local d'urbanisme et constitue un changement illégal de destination au regard des permis de construire délivrés ;
- M. A... s'est exposé en toute connaissance de cause aux préjudices subis, dès lors que le permis de construire pour la construction de gîtes a été demandé postérieurement à l'édification des installations de l'établissement ;
- l'autorité de la chose jugée par l'arrêt n° 13LY20198 du 22 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Lyon fait obstacle à ce que M. A... présente une nouvelle demande sur les mêmes fondements ;
- l'habitation de M. A... n'est pas exposée à des nuisances sonores ;
- les bruits mesurés par l'expert ne présentent pas un niveau tel qu'ils seraient de nature à engager sa responsabilité ;
- les préjudices dont l'indemnisation est demandée ne sont pas établis ;
- ils ne présentent pas un lien direct de causalité avec le fait générateur invoqué.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Gard et au régime social des indépendants du Languedoc-Roussillon, qui n'ont pas produit d'observations.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, tirés, d'une part, de l'irrégularité du jugement attaqué faute d'avoir mis en cause les caisses de sécurité sociale auxquelles la victime était affiliée, et d'autre part, de l'incompétence des juridictions administratives pour connaître des conclusions tenant à la responsabilité de la commune du fait de son implication dans une action en diffamation devant le juge judiciaire.
Un mémoire a été enregistré en réponse à la seconde mesure d'information le 17 janvier 2021 pour M. A....
La clôture de l'instruction a été fixée au 25 novembre 2020 par une ordonnance du même jour.
Un mémoire a été enregistré pour M. A... le 25 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant M. A..., de Me C..., représentant Espace Gard Découverte et de Me F..., représentant la commune de Méjannes-le-Clap.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a acquis en 2003 et en 2007 auprès de la commune de Méjannes-le-Clap deux parcelles dans la zone d'activités économiques des Catananches pour y installer un centre de formation en ferronnerie d'art. Ces parcelles sont riveraines d'un espace de loisirs géré par l'établissement public départemental Espace Gard Découverte, dont M. A... se plaint des nuisances sonores. Par un arrêt n° 13LY20198 du 22 mai 2014, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté les conclusions indemnitaires de M. A... dirigé contre le département du Gard et la commune de Méjanne-le-Clap, écarté la responsabilité sans faute d'Espace Gard Découverte et retenu sa responsabilité pour faute pour le condamner à verser la somme de 5 000 euros à M. A... en réparation des troubles dans les conditions d'existence.
2. M. A... fait appel du jugement du 16 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions dirigées tendant à la condamnation d'Espace Gard Découverte et de la commune de Méjannes-le-Clap à l'indemniser du dommage corporel qu'il estime avoir subi notamment du fait de nuisances sonores.
Sur la régularité du jugement :
3. L'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale prévoit que : " L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement " Il résulte de ces dispositions qu'il incombe au juge administratif, saisi d'un recours indemnitaire de la victime contre une personne publique regardée comme responsable de l'accident, de mettre en cause les caisses auxquelles la victime est ou était affiliée.
4. Faute d'avoir communiqué les demandes de M. A... aux caisses de sécurité sociale auxquels celui-ci était affilié, le tribunal administratif de Nîmes, auquel il incombait d'effectuer le cas échéant une mesure d'instruction afin de connaître l'identité de ces organismes, a statué à l'issue d'une procédure irrégulière.
5. Il convient par suite d'annuler le jugement attaqué dans la limite des conclusions de M. A... et de statuer immédiatement sur le litige par la voie de l'évocation.
Sur le fond :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune du fait de procédures pénales engagées à l'encontre de M. A... :
6. Les actes intervenus au cours d'une procédure judiciaire ou se rattachant directement à celle-ci ne peuvent être appréciés soit en eux-mêmes, soit dans leurs conséquences que par l'autorité judiciaire. M. A... soutient que la responsabilité de la commune de Méjannes-le-Clap est engagée du fait de son implication dans plusieurs procédures pénales engagées à l'encontre de M. A... par la voie d'actions en diffamation. Les conclusions présentées sur ce fondement, quand bien même elles seraient présentées sous couvert d'une faute dans l'exercice des pouvoirs de police du maire en matière de nuisances sonores, doivent donc être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
7. M. A... soutient également que suite à l'annulation de sa condamnation par la Cour de cassation, la commune lui aurait directement remboursé les dommages et intérêts qu'il avait antérieurement versés à l'ancienne maire. Cette circonstance, qui serait détachable de la procédure judiciaire, n'est pas établie par les pièces produites par M. A.... En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction - et il ne saurait d'ailleurs être sérieusement soutenu - que le reversement de cette somme d'argent serait à l'origine des troubles psychologiques de l'intéressé.
En ce qui concerne la période antérieure au 22 mai 2014 :
8. M. A... soutient qu'il n'a été que partiellement indemnisé par l'arrêt du 22 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Lyon. Il fait valoir qu'il souffre d'un état dépressif chronique évoluant depuis 2010 selon le sapiteur psychiatre de l'expert nommé par le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, qui déclare son état consolidé au 1er mars 2015. Il impute ce dernier aux nuisances sonores résultant des activités de l'espace de loisirs géré par Espace Gard Découverte et demande à ce titre une indemnité complémentaire en réparation de son dommage corporel. Il n'est pas allégué que celui-ci serait constitué de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation directement liée au fait générateur et postérieure à l'arrêt du 22 mai 2014.
9. La demande de M. A..., en tant qu'elle tend à l'engagement de la responsabilité d'Espace Gard Découverte et de la commune de Méjannes-le-Clap au titre de la carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale pour la période antérieure au 22 mai 2014, présente ainsi une identité de parties, d'objet et de cause avec l'instance tranchée par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon. L'autorité de la chose jugée qui s'attache à cet arrêt s'oppose à ce qu'il puisse être fait droit à une nouvelle demande d'indemnité présentée sur le même fondement.
10. En outre, il résulte de l'instruction que M. A... souffre de troubles graves de la personnalité et présente un état dépressif majeur devenu chronique (dysthymie) que le sapiteur psychiatre décrit comme évoluant depuis 2010 dans le cadre d'un conflit de voisinage complexe avec nuisances sonores, incivilités diverses, actes de vandalisme, menaces de mort et tirs d'armes à feu. Le médecin conseil qui a assisté M. A... conclut, dans son analyse critique du 7 juin 2017, qu'" il semble évident que le patient a développé cette névrose du fait de la répétition des tracas engendrés par cette affaire ", à savoir les procédures pénales mentionnées au point 6. Il ressort ainsi de la lecture de ces deux rapports que l'état de santé de M. A..., s'il trouve son origine dans un conflit de voisinage ayant pour origine des nuisances sonores, qui s'est accompagné de circonstances graves extérieures au litige, telles que le vandalisme de son mobil-home en 2008, une agression en 2010 et des tirs d'armes à feu en 2011, ainsi que de multiples procédures juridictionnelles, n'a pas pour origine les nuisances sonores elles-mêmes, qui ne sont d'ailleurs pas toutes de nature à engager la responsabilité d'Espace Gard Découverte. Le lien de causalité entre ces nuisances et les préjudices invoqués n'est donc en tout état de cause pas établi.
En ce qui concerne la période postérieure au 22 mai 2014 :
11. M. A... impute également le dommage corporel dont il demande réparation aux nuisances sonores postérieures au 22 mai 2014. Cependant, ainsi qu'il a été dit au point 10, celui-ci résulte d'un état dépressif chronique évoluant depuis 2010. Si cet état a été déclaré consolidé au 1er mars 2015, date à laquelle il a été placé en invalidité, il ne résulte pas de l'instruction, notamment du rapport du sapiteur psychiatre, que des circonstances postérieures au 22 mai 2014 auraient concouru à son évolution. Le lien de causalité avec les préjudices invoqués n'est dès lors pas établi.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la commune :
12. M. A... fait enfin valoir que les actes de vente par lesquels la commune lui a cédé les parcelles sur lesquels il a établi son centre de formation lui garantissent une jouissance paisible des lieux. Ces actes de vente, qui astreignent M. A... à certaines obligations en contrepartie d'un prix favorable, ne comportent aucune clause prévoyant une telle garantie. Ils limitent au contraire l'installation d'une habitation sur ces parcelles à des conditions que M. A... n'a pas respectées en établissant son domicile dans l'un des gîtes en bordure de sa propriété. La responsabilité contractuelle de la commune n'est donc pas engagée.
13. Il résulte de ce qui précède que le surplus des conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Nîmes contre Espace Gard Découverte et la commune de Méjannes-le-Clap doit être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
14. Le second alinéa de l'article R. 761-1 du code de justice administrative prévoit que les dépens sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties.
15. L'équité permet de partager les frais d'expertise entre les parties en cas de circonstances particulières. Contrairement à ce que soutient M. A..., un tel partage n'est pas en contradiction avec le rejet de ses conclusions principales comme mal fondées. Compte tenu du montant des frais d'expertise, de la situation de M. A... et de l'articulation de ses troubles psychiatriques avec les procédures juridictionnelles auxquelles il est partie, il y a lieu, en application des dispositions précitées l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, liquidés et taxés à la somme de 17 574,59 euros par une ordonnance du 9 août 2017, pour moitié à la charge de M. A... et pour moitié à la charge d'Espace Gard Découverte.
16. Il y a également lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de M. A... le versement de la somme de 500 euros chacun à l'Espace Gard Découverte et à la commune de Méjannes-le-Clap au titre des frais qu'ils ont exposés et non compris dans les dépens.
17. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. A... sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 16 mars 2018 du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. A... dirigées contre Espace Gard Découverte et la commune de Méjannes-le-Clap.
Article 2 : Les conclusions de M. A... fondées sur la responsabilité de la commune de Méjannes-le-Clap dans le cadre d'une action en diffamation sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel et des conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Nîmes contre Espace Gard Découverte et la commune de Méjannes-le-Clap sont rejetés.
Article 4 : Les frais d'expertise sont mis pour moitié à la charge définitive de M. A... et pour moitié à la charge définitive d'Espace Gard Découverte.
Article 5 : M. A... versera à Espace Gard Découverte et à la commune de Méjannes-le-Clap la somme de 500 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A..., à la commune de Méjannes-le-Clap, à l'établissement public Espace Gard Découverte, à la caisse primaire d'assurance maladie du Gard et au régime social des indépendants du Languedoc-Roussillon.
Copie en sera adressée pour information au département du Gard.
Délibéré après l'audience du 3 février 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2021.
2
No 18MA02215