Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 mai 2018, Me C...A..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 14 mars 2018 rendue par le président du tribunal administratif de Bastia ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, toutes les décisions prises par la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse lors de l'assemblée générale extraordinaire du 19 novembre 2016.
3°) de mettre à la charge de la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la juridiction administrative est compétente dès lors, d'une part, que les huissiers de justice, officiers ministériels, exercent une mission de service public en vertu de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et que, d'autre part, les chambres régionales sont des établissements d'utilité publique, en vertu de l'article 5 de la même ordonnance, qui participent à l'exécution d'un service public ;
- la chambre régionale des huissiers de justice de Corse n'a pas le pouvoir de prononcer la dissolution de son bureau, aucun texte ne le permettant ou ne l'y autorisant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2018, la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'appelant la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable comme portée devant une juridiction incompétente ;
- les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers ;
- le décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du ll2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice ;
- le décret n° 76-935 du 15 octobre 1976 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pecchioli,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., substituant MeB..., représentant MeA....
Considérant ce qui suit :
1. Par ordonnance du 14 mars 2018, le président du tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de Me A...comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Me A...relève appel de ce jugement.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. L'article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers dans sa rédaction applicable à l'espèce dispose que " Les huissiers de justice sont les officiers ministériels (...) ". L'article 5 de cette même ordonnance précise que " Les chambres départementales, les chambres régionales et la chambre nationale sont des établissements d'utilité publique ". L'article 91 du décret n°56-222 du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice prévoit que " Lorsqu'une chambre d'huissier de justice ne peut, par suite de vacances auxquelles il n'a pas été pourvu dans les formes et délais réglementaires, prendre, faute de quorum, des délibérations valables, le premier président, à la requête du procureur général, transfère les attributions de ladite chambre ainsi qu'il est dit à l'article 45 de l'ordonnance du 28 juin 1945. Il est alors fait application des règles posées aux articles 43 (alinéas 2 et suivants) et 44 de ladite ordonnance. Le corps électoral est convoqué à l'époque fixée pour les élections normales subséquentes afin de pourvoir à toutes les vacances existant au jour desdites élections. ". Les dispositions combinées des articles 42 à 45 de l'ordonnance précitée n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels prévoient qu'en cas de dissolution, les attributions de la chambre des huissiers en cause sont transférées à la première chambre de ladite Cour et qu'à l'expiration du délai fixé par l'arrêté de dissolution, délai qui ne peut excéder trois années, le premier président ou suivant les cas le président du tribunal de grande instance convoque le corps électoral afin de procéder à l'élection d'une nouvelle chambre. L'article 92 du décret précité précise que " Les procès-verbaux de l'élection des membres des chambres départementales, régionales et nationale, des membres clercs et employés de ces chambres siégeant en comité mixte et des membres du bureau des chambres susvisées, sont adressés dans un délai de cinq jours au procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'élection a eu lieu. Dans les dix jours de l'élection, tout électeur peut déposer au greffe de ladite cour une réclamation sur la régularité de l'élection. Dans les dix jours de la réception des procès-verbaux, le procureur général a le même droit. Il est statué sur ces réclamations par la cour d'appel siégeant en chambre du Conseil la décision est prononcée en audience publique. ". L'article 93 du décret ajoute que " La nullité partielle ou totale de l'élection ne pourra être prononcée que dans les cas suivants : 1° Si l'élection n'a pas été faite selon les formes prescrites par la loi ; 2° Si le scrutin n'a pas été libre, ou s'il a été vicié par des manoeuvres frauduleuses ; 3° S'il y a incapacité légale dans la personne d'un ou de plusieurs élus. ".
3. En l'espèce, suivant délibération du 14 octobre 2016, l'unanimité des huissiers présents lors de l'assemblée générale ordinaire demandait la dissolution de la Chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse, mandatait au préalable son Président aux fins de convoquer une assemblée générale extraordinaire pour statuer sur cette demande afin d'organiser éventuellement les élections des nouveaux membres de Chambre et d'informer le Procureur général de cette démarche. Lors d'un entretien qui s'est tenu le 25 octobre 2016, le président de la chambre des huissiers a fait part au Procureur général près la cour d'appel de Bastia de la réunion d'une assemblée générale extraordinaire " ayant pour objet d'envisager la dissolution de cette instance au regard des difficultés de fonctionnement qu'elle rencontre ". Par un courrier du 28 octobre 2016, le Procureur général près la cour d'appel de Bastia, qui a reçu communication de la délibération, demandait au président de la chambre des huissiers de continuer à le tenir informé. Le Président de la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de Corse adressa à l'ensemble des huissiers une convocation à venir siéger à une assemblée générale extraordinaire fixée au 19 novembre 2016 afin notamment de débattre puis de voter sur la dissolution de la chambre. La convocation précisait également qu'en cas de dissolution votée de nouvelles élections seraient immédiatement organisées. Le 22 novembre 2016, par courrier, le président de la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse informa le Procureur de la république de la nouvelle composition de la chambre suite à l'assemblée générale extraordinaire qui s'était tenue le 19 novembre 2016.
4. Le litige de Me A...porte sur l'annulation des délibérations des 14 octobre 2016 et 19 novembre 2016 par lesquelles la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse a décidé sa dissolution et l'organisation immédiate d'une élection pour composer une nouvelle chambre. Il résulte des dispositions précitées que le législateur a entendu confier le contrôle des élections et les difficultés de fonctionnement d'une chambre d'huissier à l'autorité judiciaire. Il s'ensuit que le litige de Me A...relève de la compétence de l'ordre judiciaire et, dès lors, c'est à juste titre, que le président du tribunal administratif de Bastia a déclaré la juridiction administrative incompétente pour en connaître ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; Il s'ensuit que les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
7. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'appelant la somme réclamée par la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse au titre des mêmes frais.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Me A...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me C...A...et à la chambre interdépartementale et régionale des huissiers de justice de Corse.
Copie en sera adressée au procureur de la République de Bastia.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président de chambre,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2018.
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N° 18MA02308