Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée 21 novembre 2016, M. E... représenté par Me F... demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 20 septembre 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 novembre 2015 ;
3°) de mettre à la charge du ministre de l'intérieur une somme de 2 000 euros " au titre de l'article 700 du CPC ".
Il soutient que :
- la notification de l'arrêté ne comportait pas d'indication suffisante des voies de recours ;
- il a été assigné à résidence à une adresse où il n'était pas domicilié ...sur la base d'une information erronée des services de police;
- la mesure prise n'était pas justifiée au regard des conditions prévues par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 ;
- l'assignation se fonde sur une note blanche ne caractérisant pas sa dangerosité ;
- la seconde note blanche établie après la mesure en litige, qui ne décrit pas précisément les faits reprochés, est dépourvue de toute valeur probante ;
- le ministre de l'intérieur ne peut utilement justifier le bien-fondé de l'assignation par des éléments postérieurs à celle-ci et au demeurant non produits ;
- la lourdeur et l'inadaptation des obligations imposées à sa personnalité fragile ont provoqué sa situation de défaut par rapport à l'arrêté ;
- le seul fait d'avoir grandi dans la commune et d'y avoir des amis ne prouve pas son appartenance à la filière djihadiste de Lunel ;
- sa fragilité psychologique ne peut justifier son assignation à résidence, mesure qui a abouti à une dégradation de son état de santé ;
- le ministre a d'ailleurs abrogé l'arrêté en litige dès qu'il a formé un recours contentieux ;
- l'obligation de pointer quatre fois par jour, contraire à la loi et à la jurisprudence, a porté une atteinte disproportionnée à sa liberté d'aller et venir.
Par un mémoire enregistré le 7 février 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête de M. E....sur la base d'une information erronée des services de police
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués à l'encontre du jugement et de l'arrêté contestés n'est fondé.
Par ordonnance du juge des tutelles du Tribunal d'instance de Montpellier du 24 août 2016, M. E... a été placé sous sauvegarde de justice en application de l'article 433 du code civil.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 16 janvier 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le code civil ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hameline,
- et les conclusions de M. Revert, rapporteur public.
1. Considérant que, par un arrêté du 15 novembre 2015, le ministre de l'intérieur a astreint M. C... E...à résider dans la commune de Lunel, lui a fait obligation de se présenter quatre fois par jour à 8 heures, 11 heures, 15 heures et 19 heures à la brigade territoriale de gendarmerie de Lunel, tous les jours de la semaine y compris les jours fériés ou chômés, et lui a imposé de demeurer tous les jours de 20 heures à 6 heures dans les locaux où il réside 82 rue Mario Roustan à Lunel, en application des dispositions de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ; que M. E... relève appel du jugement en date du 20 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur la légalité de l'arrêté du 15 novembre 2015 :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige : " L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d'outre-mer, des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique " ; que l'article 6 de la même loi, dans sa rédaction en vigueur à cette date, permet au ministre de l'intérieur, dans les zones territoriales où l'état d'urgence reçoit application déterminées par un décret mentionné à l'article 2 de la loi, de prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe et selon les modalités qu'il retient parmi les sujétions susceptibles d'être prescrites en vertu de l'article 6, de " toute personne résidant dans la zone fixée par le décret visé à l'article 2 dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics des circonscriptions territoriales visées audit article " ;
3. Considérant qu'après les attentats commis à Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré sur le territoire métropolitain y compris en Corse par décret délibéré en conseil des ministres n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ; que par décrets n° 2015-1476 et n° 2015-1478 du même jour, il a été décidé que les mesures d'assignation à résidence prévues à l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 pouvaient être mises en oeuvre sur l'ensemble des communes d'Île-de-France, puis dans un périmètre étendu, à compter du 15 novembre à zéro heure, à l'ensemble du territoire métropolitain ; que ces dispositions permettent au ministre de l'intérieur, sous l'entier contrôle du juge, de décider l'assignation à résidence de toute personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence, dès lors que l'activité de cette personne s'avère, compte tenu du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics ;
4. Considérant que tant la mesure d'assignation que sa durée, ses conditions d'application et les obligations complémentaires dont elle peut être assortie doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; que le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit ;
5. Considérant que l'arrêté du 15 novembre 2015 relève, pour estimer que l'activité de M. E... s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics, que l'intéressé " est lié à la filière lunelloise d'acheminement de volontaires pour le jihad en Syrie " et " a cherché à entrer en contact avec des jihadistes partis combattre en Syrie " ; que le ministre de l'intérieur s'est fondé, pour prendre cette décision, sur les éléments figurant dans une note blanche des services de renseignement versée au débat contradictoire ; que cette note indique qu'en 2014 M. E... " a été ciblé " lors de l'instruction du volet judiciaire de la filière lunelloise d'acheminements de volontaires pour le jihad en Syrie et que l'intéressé aurait pris contact auprès de D...Hamza pour obtenir les coordonnées " skype " de son frère D...Houssemedine basé à Deir Ez-Zor en Syrie et décédé depuis ; qu'une seconde note blanche, établie après la décision en litige et également versée aux débats par le ministre de l'intérieur, ajoute que M. E... a été refoulé de Grande-Bretagne en 2005 par les services de l'immigration en raison de la possession d'un couteau, d'une cartouche percutée et de dépliants d'une association pro-palestinienne ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. E... est originaire de la commune de Lunel où il a résidé de manière habituelle, même si les troubles psychiques dont il est atteint l'ont amené à effectuer plusieurs séjours de longue durée au service de psychiatrie du centre hospitalier universitaire de Montpellier ; que l'intéressé fait valoir qu'habitant Lunel, il a été le voisin ou l'ami d'enfance de certains individus qui ont rejoint la zone de combats irako-syrienne, mais conteste toute appartenance personnelle à une filière d'acheminement de volontaires vers la Syrie, et plus généralement à la mouvance islamiste lunelloise ; que les deux notes des services de renseignements versées au dossier ne fournissent aucune information sur l'ancienneté, la nature et la fréquence des relations supposées qu'aurait entretenues le requérant avec les personnes qui y sont mentionnées et notamment M. B... D...qui a fait l'objet de poursuites judiciaires pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et a été incarcéré en janvier 2015 ; que, de même, le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément circonstancié au soutien de l'affirmation selon laquelle le requérant aurait cherché le moyen d'entrer en contact par l'application de vidéo-conversation " Skype " avec le frère de M. B... D..., Houssemedine, après le départ de ce dernier en Syrie ; qu'il n'allègue au demeurant pas qu'un tel contact ait eu lieu ; que les propos que M. E... aurait tenus lors d'un entretien à la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone en janvier 2016 lors de sa détention provisoire pour non respect des modalités de présentation quotidienne de son assignation à résidence, propos contestés par l'intéressé et non démontrés, ne permettent pas en tout état de cause, par leur teneur, de constater l'existence d'un projet antérieur de celui-ci de partir combattre en zone irako-syrienne ; que la circonstance que M. E... se soit vu refuser l'accès au territoire britannique dix ans avant la décision en litige dans les conditions indiquées au point 5 ne saurait davantage établir la dangerosité de son activité pour l'ordre public au sens de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 à la date à laquelle il a été assigné à résidence ; qu'enfin, le ministre de l'intérieur invoque, dans ses écritures en défense au soutien de la mesure prise, la fragilité et l'instabilité psychologiques manifestes de M. E... ; que toutefois, si les différents éléments figurant au dossier dont une expertise psychiatrique réalisée le 7 janvier 2016 établissent que l'intéressé est atteint d'une pathologie sévère, assortie d'épisodes de confusion mentale, qui a justifié plusieurs hospitalisations en service de psychiatrie dont l'une d'ailleurs dans les jours suivant son assignation à résidence, il n'en résulte pas que M. E... avait de ce seul fait une activité dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics rendant la mesure en litige nécessaire, adaptée et proportionnée, compte tenu du péril imminent ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence à la suite des attentats terroristes du 13 novembre 2015 ; que, par suite, l'arrêté du 15 novembre 2015 portant assignation à résidence de l'intéressé est entaché d'erreur d'appréciation au regard des dispositions alors applicables de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de sa requête, M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté les conclusions de sa demande dirigée contre l'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 novembre 2015 ; que le jugement et l'arrêté contestés doivent, dès lors, être annulés ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens :
8. Considérant que M. E... est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale ; que les conclusions par lesquelles il demande à ce qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent être regardées comme tendant au versement à son conseil d'une somme correspondant aux frais qu'il aurait exposés s'il n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du ministre de l'intérieur une somme de 1 500 euros à verser au conseil du requérant Me F... moyennant la renonciation de cette dernière à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 160223 du 20 septembre 2016 et l'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 novembre 2015 assignant M. C... E...à résidence sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me F..., conseil de M. E..., une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à Me A... F...et au ministre de l'intérieur.
Copie pour information en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montpellier
Délibéré après l'audience du 3 avril 2017 où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme Hameline, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 avril 2017.
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N° 16MA04320