Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 juin 2016 et le 15 juin 2018, la SAS Solferino, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 14 avril 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Bastia ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif n'a pas répondu à la fin de non-recevoir qu'elle avait soulevée tirée du défaut d'intérêt à agir de M. B... ;
- elle pouvait aménager le dernier étage en duplex dans les combles sans que l'article UB10 du règlement du plan local d'urbanisme soit méconnu ;
- l'interdiction des murs-pignons aveugles posée par l'article UB11 ne s'applique pas aux bâtiments implantés en limite séparative ;
- l'article UB11 est illégal dès lors qu'il méconnaît les articles 675 et 678 du code civil et l'article R. 111-9 du code de l'urbanisme ;
- à supposer même que les permis soient illégaux, les premiers juges auraient dû faire application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2018, M. et Mme B..., représentés par Me A..., concluent au rejet de la requête et demandent de mettre à la charge de la SAS Solferino la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- ils ont intérêt à agir contre les arrêtés du maire ;
- les moyens développés dans leurs demandes de première instance sont fondés ;
- l'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme n'est qu'une simple faculté pour le juge.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Laurent Marcovici, président assesseur de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duran-Gottschalk,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant la SAS Solferino, et de Me D..., substituant Me A..., représentant M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Le maire de Propriano a délivré à la SAS Solferino, par arrêté du 7 mars 2014, un permis de construire un immeuble de vingt et un logements situé avenue Napoléon sur les parcelles cadastrées n° 1312, 1313 et 1315. Par arrêté du 16 mars 2015, le maire a délivré à cette société un permis de construire consistant notamment à modifier le dernier niveau de l'immeuble projeté. La SAS Solferino relève appel du jugement du 14 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé ces deux arrêtés après avoir joint les deux requêtes de M. et Mme B..., occupant pour l'un et propriétaire pour l'autre d'un immeuble à usage d'habitation situé sur la parcelle immédiatement voisine du projet.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif de Bastia a omis de se prononcer sur l'exception soulevée dans son mémoire en défense par la SAS Solferino, dans l'instance n° 1500432 relative à l'arrêté du 16 mars 2015, tirée du défaut d'intérêt à agir de M. B.... Ainsi, le jugement du 14 avril 2016, entaché d'une insuffisance de motifs, doit être annulé dans cette mesure. Il y a lieu de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 mars 2015 et de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 mars 2014.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 mars 2015 :
En ce qui concerne la nature de l'arrêté :
3. Si les consorts B...soutiennent que le projet modifié aurait dû faire l'objet d'une demande d'un nouveau permis de construire, il ressort des pièces du dossier que le permis délivré le 16 mars 2015 a eu pour objet de transformer le dernier niveau de l'immeuble projeté, composé de combles et de terrasses tropéziennes, en appartements en duplex pourvus de terrasses et d'installer des panneaux photovoltaïques sur la toiture. La hauteur de l'immeuble sous le faîtage ne s'en trouve pas modifiée, tandis que la surface de plancher n'est augmentée que de 27 m². Les modifications ainsi apportées au projet initial ne bouleversent pas son économie générale. Le permis du 16 mars 2015 a donc la nature d'un permis modificatif et non pas d'un nouveau permis.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la SAS Solferino :
4. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".
5. M. B... ayant demandé également l'annulation du permis de construire initial du 7 mars 2014, son intérêt à agir pour contester le permis modificatif doit s'apprécier au regard du projet pris dans son ensemble. La construction projetée d'un immeuble de vingt logements est, eu égard à ses caractéristiques et à la configuration des lieux en cause, de nature à affecter directement les conditions de jouissance du bien appartenant à Mme B... et occupé par M. B.... Ce dernier justifie donc d'un intérêt pour agir contre l'arrêté du 16 mars 2015.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté :
6. L'article UB10 du règlement du plan local d'urbanisme de Propriano relatif à la hauteur des constructions en zone UBb impose une hauteur maximale en R+3, mesurée du sol de la rue à l'égout de la toiture, portée à R+4 en partie sud de l'avenue Napoléon.
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment des plans de l'immeuble joints à la demande de permis de construire modificatif, que si le bâtiment projeté, situé au sud de l'avenue Napoléon, se présente en R+4, le quatrième niveau est situé en dessous de combles initialement prévus par le permis initial, dont l'aménagement en surface habitable permet la réalisation de duplex. Le plancher des combles ainsi réaménagés est situé en dessous de l'égout de la toiture, à 91 centimètres, tandis que la hauteur entre ce plancher et le faîtage est de 3,70 mètres. Le plancher qui sépare les deux niveaux du duplex porte, en outre, sur la majeure partie de la surface habitable du deuxième niveau en duplex et présente une superficie importante par rapport à celle du logement pris dans son ensemble. La construction projetée, qui comporte ainsi en réalité cinq niveaux situés au-dessus du rez-de-chaussée, méconnaît les prescriptions précitées de l'article UB10 du règlement du plan local d'urbanisme.
8. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté du maire de Propriano en date du 16 mars 2015.
9. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'est susceptible d'entraîner l'annulation de l'arrêté en litige.
Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 mars 2014 :
10. Selon l'article UB11 du PLU de Propriano, en ce qui concerne les façades : " entre elles les façades d'un même bâtiment non implanté en limite séparative doivent être réalisées en accord de style ; pour en rendre compte les montages d'insertion paysagère doivent présenter des vues d'angle. On évitera l'échantillonnage de baies de dimensions et de proportions multiples. Les façades doivent être d'un seul aplomb, sauf en UBa et, le cas échéant en UBb. Les murs-pignons aveugles sont interdits ".
11. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, l'interdiction des murs-pignons aveugles ne s'applique pas seulement aux bâtiments non implantés en limite séparative. La construction projetée disposant d'un mur-pignon aveugle situé sur la façade est du projet, elle méconnait les prescriptions précitées du PLU, quant bien même elle est implantée en limite séparative.
12. L'article UB11 n'a, contrairement à ce que soutient la requérante, ni pour objet ni pour effet d'imposer aux constructeurs de porter atteinte à l'article 675 du code civil, qui interdit de pratiquer sans le consentement du voisin une ouverture dans le mur mitoyen, et l'article 678 du code civil, qui prohibe les vues droites, les fenêtres d'aspect et les balcons sur l'héritage clos ou non clos de son voisin sans respecter dix-neuf décimètres de distance entre le mur où ils sont pratiqués et cet héritage. Enfin, la SAS Solferino ne saurait utilement invoquer la méconnaissance de l'article R. 111-19 du code de l'urbanisme, lequel n'est pas applicable à la commune de Propriano dotée d'un plan local d'urbanisme.
13. La SAS Solferino n'est ainsi pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia, qui n'était pas obligé d'user de la faculté de régularisation prévue à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, a annulé l'arrêté du 7 mars 2014.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme à la SAS Solferino, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. et Mme B... présentées sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 14 avril 2016 du tribunal administratif de Bastia est annulé en tant qu'il a statué sur la légalité de l'arrêté du 16 mars 2015.
Article 2 : L'arrêté du 16 mars 2015 du maire de Propriano est annulé.
Article 3 : Le surplus de la requête de la SAS Solferino est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de M. et Mme B... présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Solferino, à M. C... B...et à Mme F... B....
Copie en sera adressée à la commune de Propriano.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2018, où siégeaient :
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Pecchioli, premier conseiller,
- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2018.
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N° 16MA02309