Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2018, M. B..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance rendue par le magistrat désigné du tribunal administratif de Bastia le 9 août 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés préfectoraux du 2 août 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Corse de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Corse de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la lettre de notification accompagnant chaque arrêté en litige comporte une ambiguïté de nature à induire les destinataires en erreur sur les effets du recours gracieux sur le cours du délai de recours contentieux, et à faire ainsi obstacle à l'exercice de leur droit à un recours contentieux effectif ;
- la décision en litige portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa situation ;
- elle a également été prise en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant refus un délai de départ volontaire est entaché d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée par rapport aux condamnations dont le requérant a fait l'objet ;
- elle devra être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision fixant le pays de renvoi devra être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'incompétence de son auteur, d'un défaut de motivation et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant assignation à résidence a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision devra être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Laurent Marcovici, président assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Bocquet, président de la 5ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pecchioli a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par des arrêtés du 2 août 2018, le préfet de la Haute-Corse a fait obligation à M. B... de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et l'a assigné à résidence dans le département de la Haute-Corse pour une durée de six mois. M. B...relève appel de l'ordonnance du 9 août 2018 par laquelle le magistrat désigné du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté pour tardiveté.
2. Aux termes du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. (...)". Aux termes de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : "(...) II Conformément aux dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour notifiées simultanément.". L'article R. 421-5 du même code dispose que : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ". Il résulte de ces dispositions que l'administration n'est tenue de faire figurer dans la notification de ses décisions que les délais et voies de recours contentieux ainsi que les délais de recours administratifs préalables obligatoires. Il lui est toutefois loisible d'y ajouter la mention des recours gracieux et hiérarchiques facultatifs, à la condition toutefois qu'il n'en résulte pas des ambiguïtés de nature à induire en erreur les intéressés dans des conditions telles qu'ils pourraient se trouver privés du droit à un recours contentieux effectif.
3. Il ressort des pièces du dossier que chaque arrêté litigieux était accompagné d'un document d'une page relative à la notification qui indiquait que " Si vous entendez contester la présente décision administrative, vous avez la possibilité de former un recours administratif dans le délai de deux mois : soit un recours gracieux auprès du préfet (...). Soit un recours hiérarchique auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration (...). Si vous entendez contester la légalité de l'obligation de quitter le territoire français et des décisions notifiées simultanément (...), vous pouvez, dans un délai de 48 heures, former un recours devant la juridiction administrative (...). Y était ajouté sous encadré dans la notification de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai la précision suivante : " Aux termes de l'article L. 512-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de 48 heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n'ai statué s'il a été saisi ".
4. En présentant le recours administratif comme la première possibilité, mais en se bornant à mentionner que l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de 48 heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n'ai statué s'il a été saisi, sans préciser que le recours administratif ne suspend ni ne prolonge le délai du recours contentieux contrairement aux règles générales habituelles en matière de combinaison des recours administratifs et des recours contentieux, la lettre de notification comporte une ambiguïté de nature à induire le destinataire en erreur sur les effets du recours gracieux sur le cours du délai de recours contentieux, et à faire ainsi obstacle à l'exercice de leur droit à un recours contentieux effectif.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B...est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'ordonnance attaquée.
6. Il y a lieu, en outre, dans les circonstances de l'espèce, de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Bastia.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
7. Aux termes de l'article L.911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
8. Le présent arrêt, qui renvoie au tribunal administratif de Bastia la demande de M.B..., n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter ces conclusions.
Sur les frais de l'instance :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
10. Il y a lieu en application des dispositions susmentionnées de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : l'ordonnance n° 1800854 du 9 août 2018 du magistrat désigné du tribunal administratif de Bastia est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Bastia pour qu'il soit statué sur la requête de M.B....
Article 3 : L'Etat versera à M. B...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., au ministre de l'intérieur et au tribunal administratif de Bastia.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2018, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
- MmeC..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2018.
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N° 18MA04265