Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 février 2019, Mme E..., représentée par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 janvier 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 17 octobre 2016 par laquelle l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) a prononcé son exclusion définitive de l'institut en formation en soins infirmiers de l'Hôpital Nord ;
3°) de l'autoriser à effectuer un triplement de sa troisième année de formation ;
4°) d'enjoindre au défendeur de lui délivrer une autorisation de réinscription ;
5°) de mettre à la charge du défendeur le versement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'incompétence en ce que sa signataire n'a pas été régulièrement désignée ;
- cette décision n'est pas motivée en droit ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État d'infirmier ;
- en lui refusant une nouvelle inscription, la décision contestée viole les stipulations de l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2019, l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme E... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision d'exclusion a été signée par le directeur de l'IFSI, seule autorité compétente ;
- cette décision, qui ne constitue pas une sanction, n'avait pas à faire l'objet d'une motivation ;
- elle n'est entachée d'aucune erreur de droit ;
- elle ne restreint pas le droit de la requérante à l'instruction et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;
- les conclusions à fin d'injonction sont irrecevables.
Par ordonnance du 19 mai 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 2 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux ;
- l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État d'infirmier modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G... H..., rapporteure,
- et les conclusions de M. D... Thielé, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., titulaire du diplôme d'État d'aide-soignante depuis le 24 juillet 2007, a été admise à l'institut de formation de soins infirmiers (IFSI) de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) en 2012 après avoir réussi le concours interne d'infirmière. A la suite du doublement de sa troisième année d'études, elle a sollicité le 31 août 2016, l'autorisation de tripler cette année de formation. Mme E... relève appel du jugement du 8 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 17 octobre 2016 de l'AP-HM prononçant son exclusion définitive de l'IFSI ainsi que celle tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de la réinscrire en troisième année d'étude de soins infirmiers.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 38 de l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'Etat d'infirmier dans sa rédaction applicable au litige : " (...) Le nombre d'inscriptions est limité à six fois sur l'ensemble du parcours de formation, soit deux fois par année. Le directeur de l'institut peut octroyer une ou plusieurs inscriptions supplémentaires après avis du conseil pédagogique (...) " et selon l'article 42 du même arrêté, dans sa rédaction également applicable au litige : " Le diplôme d'État d'infirmier s'obtient par l'obtention des 180 crédits européens correspondant à l'acquisition des dix compétences du référentiel défini à l'annexe II : / 1° 120 crédits européens pour les unités d'enseignement, dont les unités d'intégration ; / 2° 60 crédits européens pour la formation clinique en stage. ". Aux termes de l'article 45 de cet arrêté, dont les dispositions étaient lors en vigueur : " (...) La validation de chaque semestre s'obtient par l'acquisition de 30 crédits européens " et selon son article 60, dans sa version alors applicable au litige : " Les étudiants ayant validé les cinq premiers semestres de formation soit 150 crédits et ayant effectué la totalité des épreuves et des stages prévus pour la validation du semestre 6 sont autorisés à se présenter devant le jury régional d'attribution du diplôme d'Etat d'infirmier. / Les étudiants ne remplissant pas les conditions pour être autorisés à se présenter devant le jury régional du diplôme d'Etat et ayant obtenu au moins 120 crédits sont autorisés à redoubler par le directeur de l'institut de formation. Les étudiants ne remplissant pas les conditions pour être autorisés à se présenter devant le jury régional du diplôme d'Etat et ayant obtenu moins de 120 crédits peuvent être autorisés à redoubler par le directeur de l'institut de formation, après avis du conseil pédagogique. (...).".
3. D'autre part, aux termes de l'article 10 de l'arrêté du 21 avril 2007, dans sa rédaction applicable au litige : " Le conseil pédagogique est notamment consulté pour avis sur : / (...) / 6. Les situations individuelles : / a) Étudiants en difficulté pédagogique : le conseil peut alors proposer un soutien particulier, susceptible de lever les difficultés, sans allongement de la formation ; / b) Etudiants en difficulté pédagogique en lien avec des absences répétées à plusieurs unités d'enseignement ; / c) Demandes de redoublement formulées par les étudiants, dans le cas où l'avis du conseil est requis pour l'examen de celles-ci par les textes relatifs à la formation concernée ; / d) Etudiants ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge ; / e) Modalités de reprise de la formation après une interruption de formation inférieure à trois ans, dans les conditions prévues aux articles 38 et 39 ; / f) Demandes d'admission en cours de formation, à l'occasion ou non d'un redoublement, formulées par les étudiants pour un motif exceptionnel ; / g) Le cas échéant, les demandes des candidats titulaires d'un diplôme extracommunautaire. / (...) / Pour les situations d'étudiants visées au 6, les membres du conseil reçoivent communication du dossier de l'étudiant, accompagné d'un rapport motivé du directeur (...) / La décision prise par le directeur de l'institut de formation est notifiée par écrit à l'étudiant (...). ".
4. Il résulte des dispositions précitées que l'étudiant ayant obtenu plus de 120 crédits lors de sa formation est nécessairement autorisé à redoubler sa troisième année par le directeur de l'IFSI mais, qu'en revanche, ce dernier décide discrétionnairement de la possibilité de tripler cette année par l'octroi d'une ou plusieurs inscriptions supplémentaires. La décision du 17 octobre 2016 refusant d'accorder à Mme E..., qui a obtenu 140 crédits à la fin du semestre 5, l'autorisation de tripler sa troisième année en litige a été signée par Mme A..., en sa qualité de directrice de l'IFSI de l'AP-HM. En outre, en vertu d'un arrêté n° 259/2015 en date du 30 avril 2015, versé aux débats, la directrice générale de l'AP-HM a donné délégation à Mme A..., en sa qualité de directrice des soins à l'IFSI Nord, à l'effet, notamment, de signer tous les actes administratifs, documents et correspondances concernant les affaires de l'IFSI à l'exception de certaines matières au nombre desquelles ne figure pas la décision attaquée. Il s'ensuit que, contrairement à ce que persiste à soutenir Mme E... en appel, la décision attaquée a, conformément aux dispositions précitées de l'article 10 de l'arrêté du 21 avril 2007, été compétemment prise par Mme A... en sa qualité de directrice de l'IFSI Nord. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision d'exclusion doit, dès lors, être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Et, selon l'article L. 211-2 de ce code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / 2° Infligent une sanction ; / 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / 5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ".
6. Considérant d'une part, que la décision contestée par Mme E... fait état, notamment, d'un dossier qui mentionne de grandes difficultés dans l'assimilation des connaissances après quatre années de formation, d'une non acquisition de compétences requises, d'un manque de prise de conscience de ses difficultés et d'une absence de positionnement face aux responsabilités de future infirmière. D'autre part, la décision contestée vise la demande de poursuite de formation présentée par Mme E... ainsi que l'avis rendu par les membres du collège pédagogique et l'article 10 du chapitre 1 du titre 1er de l'arrêté du 21 avril 2007 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux modifié qui s'applique aux étudiants en difficulté ainsi qu'à ceux qui formulent des demandes. Par suite, la décision contestée est suffisamment motivée en fait et en droit.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 49 de l'arrêté du 31 juillet 2009 dans sa rédaction alors en vigueur : " Les enseignements semestriels donnent lieu à deux sessions d'examen. La deuxième session concerne les rattrapages des deux semestres précédents, elle se déroule, en fonction de la date de rentrée, au plus tard en septembre ou en février de l'année considérée. / (...). ". Aux termes du 3ème alinéa de l'article 38 du même arrêté, dans sa version applicable au litige : " Le nombre d'inscriptions est limité à six fois sur l'ensemble du parcours de formation, soit deux fois par année. Le directeur de l'institut peut octroyer une ou plusieurs inscriptions supplémentaires après avis du conseil pédagogique. ".
8. Mme E... persiste à invoquer devant la Cour la méconnaissance par la décision attaquée des dispositions du 3ème alinéa de l'article 38 et celles de l'article 49 de l'arrêté du 31 juillet 2009 citées au point 7. Toutefois, contrairement à ce qui est allégué, la décision d'exclusion en litige n'a pas été prise au motif que l'intéressée a obtenu la validation de 140 crédits européens seulement à l'issue de plusieurs sessions de rattrapage mais aux motifs que son dossier révélait de grandes difficultés dans l'assimilation des connaissances, le raisonnement et la gestion des émotions après quatre années de formation, qu'elle n'avait pas validé une unité d'enseignement intégrative au terme de quatre inscriptions, qu'un stage de semestre 6 était resté non validé malgré un rattrapage en raison de la non acquisition des compétences requises, qu'elle
ne prenait pas conscience de ses difficultés et qu'elle ne se positionnait jamais face à ses responsabilités de future infirmière. D'autre part, et ainsi que l'a relevé à bon droit le tribunal, ce moyen est en tout état de cause sans incidence sur la légalité de la décision que Mme E... conteste, dès lors que la décision d'autoriser une élève infirmière à tripler sa troisième année d'études constitue une simple faculté pour l'administration en application des dispositions précitées du troisième alinéa de l'article 38 de l'arrêté du 31 juillet 2009.
9. En quatrième lieu, d'une part, les cinq attestations dont se prévaut Mme E..., rédigées par trois collègues infirmières et deux cadres de santé exerçant à l'AP-HM, témoignant de son investissement dans sa formation d'infirmière et de ses qualités professionnelles, ne suffisent pas à remettre en cause les difficultés constatées au cours de ses stages et relevées dans le rapport détaillé du 13 septembre 2009 de la directrice de l'IFSI. D'autre part, les difficultés d'ordre familial et privé invoquées par Mme E... ne sont pas de nature, à elles seules, à expliquer les difficultés rencontrées au cours de sa formation. Enfin, la circonstance qu'elle a fait l'objet d'une évaluation professionnelle satisfaisante en 2016, la note de 18,25 sur 25 lui ayant été attribuée, en qualité d'aide-soignante est sans incidence sur l'appréciation portée sur ses qualités professionnelles en tant qu'élève infirmière. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 2 du protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction (...). ".
11. Si la privation pour un enfant de toute possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou pour une personne d'une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d'assurer le respect de l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, est susceptible de constituer une atteinte à une liberté fondamentale, en l'espèce, la décision attaquée n'a pas pour objet de restreindre le droit à l'instruction de Mme E... qui, au demeurant et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, a suivi l'ensemble du cursus en IFSI. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations précitées doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision d'exclusion prononcée à son encontre le 17 octobre 2016.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. La présente décision n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme E... sont rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'AP-HM, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme E... la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... une somme à verser à l'AP-HM sur ce même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2020, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- Mme G... H..., présidente assesseure,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2020.
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N° 19MA00863
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