Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 21 mars 2019 et le 23 mai 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aude du 8 août 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aude de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir.
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ne saisissant pas la commission du titre de séjour ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'il ne justifiait pas de sa présence en France au cours des années 2010 à 2015 ;
- il a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 avril 2019, le préfet de l'Aude conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés et que l'intéressé représente une menace à l'ordre public.
Par ordonnance du 19 septembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 octobre 2019.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 avril 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme E..., rapporteure.
Considérant ce qui suit :
1. Ayant déclaré être entré pour la première fois en France en 2005, M. B..., ressortissant marocain né le 23 août 1989, après avoir bénéficié de deux autorisations de séjour au titre de sa vie privée et familiale d'une durée d'un an les 18 septembre 2013 et 8 juillet 2016 et s'être vu opposer le 24 janvier 2018 un refus de titre de séjour en qualité d'étranger malade, a de nouveau sollicité, le 3 juillet 2018, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", cette fois sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 8 août 2018, le préfet de l'Aude lui en a refusé la délivrance et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour (...) ". L'article L. 313-14 du même code dispose : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) ".
3. M. B... soutient qu'il résidait habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté contesté et que, en conséquence, le préfet de l'Aude se devait de soumettre sa demande, pour avis, à la commission du titre de séjour. Les premiers juges ont estimé que les pièces produites au soutien de cette argumentation étaient insuffisantes pour justifier du caractère habituel de la présence en France du requérant au cours des années 2010 à 2015. Toutefois, contrairement à ce qu'a ainsi retenu le tribunal, la teneur du certificat de résidence établi par le maire de Daumazan-sur-Arize le 8 novembre 2018, attestant que M. B... a résidé de mars 2010 à décembre 2015 sur le territoire de sa commune et sur ceux des communes environnantes, s'il n'est accompagné d'aucun justificatif de nature à démontrer le caractère effectif de la résidence de l'intéressé, se trouve cependant corroborée par plusieurs bulletins d'hospitalisations attestant de sa prise en charge médicale par des hôpitaux du sud de la France au cours du mois de décembre 2010, de la période du 28 février au 22 avril 2012, du mois d'août 2012, du mois de janvier 2013 et du mois de mai 2015 ainsi que par une attestation de séjour en psychiatrie pour la période du 30 novembre 2015 au 24 août 2016 et par le certificat d'un médecin généraliste du 10 novembre 2018 attestant, d'une part, lui avoir dispensé " des soins médicaux réguliers et continus de 05/2013 à 11/2015 " et, d'autre part, du fait qu'il " vivait de manière continue " dans la commune de Daumazan-sur-Arize et dans les localités environnantes avant et après l'année 2009. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, et notamment du bulletin n° 2 du casier judiciaire de M. B..., que ce dernier a fait l'objet de deux condamnations pour des faits commis en France le 23 août 2012 puis au cours de la période du 22 décembre 2014 au 24 mars 2015. Il est également démontré que l'intéressé a bénéficié d'une autorisation de séjour d'une validité d'un an pour la période du 18 septembre 2013 au 17 septembre 2014. Dans ces conditions, M. B..., qui a vécu sans domicile fixe après son arrivée en 2005 en France à l'âge de quinze ans, avant d'être pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance et placé en famille d'accueil jusqu'à sa majorité, justifie suffisamment, par les pièces versées aux débats, de sa présence continue et habituelle en France au cours de la période de 2010 à 2015. En conséquence, et dès lors que sa présence continue sur le territoire national n'est pas contestée antérieurement à l'année 2010 et postérieurement à l'année 2015, et qu'elle ressort en tout état de cause des nombreuses pièces du dossier, M. B... est fondé à soutenir que le préfet de l'Aude était tenu de soumettre pour avis à la commission du titre de séjour sa demande d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Il est, par suite, également fondé à demander l'annulation de ce jugement et de l'arrêté du préfet de l'Aude du 8 août 2018, en toutes ses dispositions.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Le présent arrêt, par lequel la Cour fait droit aux conclusions à fin d'annulation présentées par M. B..., n'implique pas, eu égard au motif d'annulation ci-dessus énoncé et alors qu'aucun des autres moyens invoqués, notamment au titre de la légalité interne, n'est susceptible d'entraîner la censure des décisions en litige, que l'administration prenne une nouvelle décision dans un sens déterminé. Par suite, les conclusions du requérant tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour doivent être rejetées. Il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de l'Aude de statuer à nouveau sur la situation de l'intéressé, après consultation de la commission du titre de séjour, cela dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de sa décision, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés au litige :
6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1805562 du 21 février 2019 du tribunal administratif de Montpellier et l'arrêté du préfet de l'Aude du 8 août 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Aude de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. B..., après consultation de la commission du titre de séjour, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente d'une nouvelle décision, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me C... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me C....
Copie en sera adressée au préfet de l'Aude et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Carcassonne.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2019, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme D... E..., présidente assesseure,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 novembre 2019.
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N° 19MA01338