Par un jugement n° 1700967-1700968 du 31 mars 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté les demandes de M. et Mme C....
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 29 août 2017 sous le n° 17MA03756, Mme E... épouseC..., représentée par Me Oloumi, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 février 2017 du préfet des Alpes-Maritimes décidant sa remise aux autorités allemandes ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de l'admettre provisoirement au séjour en vue du dépôt d'une demande d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros à verser à son conseil, Me Oloumi, laquelle renonce à percevoir l'aide juridictionnelle, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement méconnaît le principe du contradictoire car il repose sur des motifs non invoqués par l'administration ;
- le préfet a méconnu l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 car elle n'a pas bénéficié de l'entretien prévu par cette disposition ;
- les conditions permettant la dispense d'entretien prévues au b du 2 de l'article 5 du règlement n'étaient pas réunies ;
- les autorités allemandes ayant été saisies tardivement, elle ne relevait plus de leur responsabilité ;
- l'arrêté est entaché de vice de procédure car le préfet n'a pas communiqué son dossier médical aux autorités allemandes ;
- il n'est pas établi que l'Allemagne soit responsable de l'examen de sa demande d'asile ;
- le préfet a méconnu l'article 13 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 en considérant que l'Allemagne était responsable de l'examen de sa demande d'asile ;
- l'arrêté a méconnu le paragraphe 2 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'arrêté a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à sa situation personnelle en raison de son état de santé et de l'état de santé de son mari ;
- l'arrêté a méconnu les stipulations de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juillet 2017.
II. Par une requête enregistrée le 29 août 2017, sous le n° 17MA03758, M. C..., représenté par Me Oloumi, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 février 2017 du préfet des Alpes-Maritimes décidant sa remise aux autorités allemandes ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de l'admettre provisoirement au séjour en vue du dépôt d'une demande d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros à son conseil, Me Oloumi, laquelle renonce à percevoir l'aide juridictionnelle, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement méconnaît le principe du contradictoire car il repose sur des motifs non invoqués par l'administration ;
- le préfet a méconnu l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 car il n'a pas bénéficié de l'entretien prévu par cette disposition ;
- les conditions permettant la dispense d'entretien prévues au b du 2 de l'article 5 du règlement n'étaient pas réunies ;
- les autorités allemandes ayant été saisies tardivement, il ne relevait plus de leur responsabilité ;
- l'arrêté est entaché de vice de procédure car le préfet n'a pas communiqué son dossier médical aux autorités allemandes ;
- il n'est pas établi que l'Allemagne soit responsable de l'examen de sa demande d'asile ;
- le préfet a méconnu l'article 13 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 en considérant que l'Allemagne était responsable de l'examen de sa demande d'asile ;
- l'arrêté a méconnu le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'arrêté a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à sa situation personnelle en raison de son état de santé et de l'état de santé de son épouse ;
- l'arrêté a méconnu les stipulations de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juillet 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné, par arrêté du 29 mars 2018, Mme Marie-Pierre Steinmetz-Schies, président assesseur, pour présider par intérim la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille à compter du 1er avril 2018.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... Grimaud, rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que les requêtes de M. et Mme C..., enregistrées respectivement sous les nos 17MA03756 et 17MA03758, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt ;
2. Considérant que M. et Mme C..., ressortissants ukrainiens nés respectivement les 25 avril 1973 et 25 juillet 1989, sont entrés en France le 29 août 2016 selon leurs déclarations et ont déposé une demande d'asile le 31 août 2016 ; que, par deux arrêtés du 20 février 2017, le préfet des Alpes-Maritimes a décidé leur remise aux autorités allemandes ; que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés ;
Sur le bien-fondé du jugement et sans qu'il soit besoin de statuer sur sa régularité :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen " ; qu'aux termes de l'article 5 de ce règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque : / (...) b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1 " ; qu'aux termes de l'article 7 de ce règlement : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. / 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre " ; qu'aux termes de l'article 13 du même règlement : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. / 2. Lorsqu'un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l'entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d'au moins cinq mois avant d'introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. / Si le demandeur a séjourné dans plusieurs États membres pendant des périodes d'au moins cinq mois, l'État membre du dernier séjour est responsable de l'examen de la demande de protection internationale " ; qu'aux termes de l'article 18 de ce règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: / a) prendre en charge (...) le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre; / b) reprendre en charge (...) le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre; / c) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre; / d) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre " ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C... ont présenté une demande d'asile le 31 août 2016 ; que la consultation du fichier dit " eurodac " effectuée le même jour a révélé qu'ils avaient présenté une demande d'asile en Pologne le 14 septembre 2014, en Allemagne le 20 mars 2015 et aux Pays-Bas le 6 avril 2016 ; que, le même jour, les services de la préfecture ont remis aux époux C...un formulaire d'observations mentionnant qu'ils étaient susceptibles d'être remis aux autorités allemandes, polonaises ou néerlandaises ; que les requérants, qui font valoir sans être contredits qu'ils ne comprennent pas le français et n'ont jamais été assistés d'un interprète, ont manifesté, par l'intermédiaire d'une personne à la qualité et à l'identité indéterminée, leur désir de rester en France ; qu'il en résulte qu'à la date de la décision attaquée, le préfet des Alpes-Maritimes, qui ne disposait d'aucun élément relatif aux dates et aux conditions dans lesquelles les requérants avaient franchi les frontières polonaise, allemande puis néerlandaise et séjourné dans ces trois Etats, n'était pas en mesure de déterminer l'Etat responsable de l'examen de leur demande d'asile, ce que manifestent d'ailleurs les motifs des arrêtés litigieux, qui remettent les intéressés aux autorités de la République fédérale d'Allemagne, deuxième Etat traversé par M. et Mme C..., en indiquant que, faute de pouvoir déterminer l'Etat responsable, ils doivent être remis au premier d'entre eux en application des dispositions de l'article 3 du règlement, c'est-à-dire la Pologne ; que par suite, le préfet des Alpes-Maritimes, qui ne disposait pas des informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable au seul vu des informations recueillies, ne se trouvait dès lors pas dans le cas visé au b du 2 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 et devait en conséquence conduire l'entretien prévu par le 1 de cette disposition ; qu'il en résulte que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que le premier juge a écarté le moyen tiré de la méconnaissance de cette disposition ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné près le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes ; qu'il y a lieu dès lors, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité de ce jugement, de l'annuler ainsi que les deux arrêtés du 20 février 2017 par lesquels le préfet des Alpes-Maritimes a décidé la remise des requérants aux autorités allemandes ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant que l'annulation des arrêtés contestés implique que la situation de M. et Mme C... soit réexaminée ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à ce réexamen dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi du 10 juillet 1991 :
7. Considérant que M. et Mme C... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Oloumi, avocat des requérants, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Oloumi de la somme de 1 500 euros ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1700967-1700968 du tribunal administratif de Nice du 31 mars 2017 est annulé.
Article 2 : Les arrêtés du préfet des Alpes-Maritimes du 20 février 2017 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de réexaminer la situation de M. et Mme C... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Oloumi une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Oloumi renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Mme A... E...épouseC..., à Me Oloumi et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 16 avril 2018, où siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Steinmetz-Schies, président,
- M. D... Grimaud, premier conseiller,
- M. Allan Gautron, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mai 2018.
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N° 17MA03756-17MA03758