Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 13 juillet 2015, M. A..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 29 juin 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 juin 2015 par lequel la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et a prononcé son placement en rétention administrative ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de Me B..., la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier et a été rendu en méconnaissance de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où il n'a pu disposer d'un interprète en langue pachtou ;
- le jugement attaqué est également irrégulier dans la mesure où l'absence d'observations écrites ou orales du préfet valait acquiescement aux faits ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée, méconnaît l'article 41 de la charte européenne des droits fondamentaux et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision ordonnant son placement en rétention est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la mesure portant obligation de quitter le territoire français et est entachée de détournement de pouvoir ;
- la décision relative au pays de destination est illégale du fait de son absence de forme et de motivation, est entachée d'un vice de procédure et méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... a été rejetée par une décision du 21 octobre 2015.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Gautron.
1. Considérant que M. A..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1995 selon ses déclarations, a fait l'objet le 25 juin 2015 d'une interpellation par les services de la police aux frontières du Pas-de-Calais ; que par un arrêté du même jour, la préfète du Pas-de Calais a obligé M. A... à quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, et a ordonné son placement en centre de rétention ; que M. A... relève appel du jugement du 29 juin 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 776-23 du code de justice administrative : " Dans le cas où l'étranger, qui ne parle pas suffisamment la langue française, le demande, le président nomme un interprète qui doit prêter serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience. Cette demande peut être formulée dès le dépôt de la requête introductive d'instance. Lors de l'enregistrement de la requête, le greffe informe au besoin l'intéressé de la possibilité de présenter une telle demande. " ;
3. Considérant; que le jugement attaqué mentionne que " malgré les diligences du tribunal, il n'a pas été possible de mettre à disposition de M. A... un interprète en langue pachtou et qu'une partie des débats a donc eu lieu en langue anglaise et par le truchement d'un compatriote de M. A... " ; que toutefois il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ce compatriote aurait prêté préalablement serment ou qu'il aurait présenté les garanties requises permettant l'exercice des fonctions d'interprète ; que, dès lors, M. A... dont il est constant qu'il avait besoin d'un interprète et qu'il en avait formulé la demande et alors même qu'il a pu bénéficier de l'assistance d'un avocat, est fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu sur une procédure irrégulière et à demander en conséquence son annulation ;
4. Considérant, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de régularité invoqué par M. A..., qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur sa demande présentée devant le tribunal administratif de Montpellier ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. Considérant, en premier lieu, que la décision attaquée, qui n'a pas pour objet de fixer le pays à destination duquel il sera reconduit, mentionne, outre son identité ainsi que sa nationalité et son âge déclarés, M. A... est démuni de tout document d'identité comme de tout document transfrontalier en cours de validité et n'a pas déclaré le lieu de sa résidence ; que cette décision se réfère par ailleurs à la procédure établie le 25 juin 2015 par les services de la police aux frontières du Pas-de-Calais à la suite de son interpellation, procédure durant laquelle le requérant a déclaré vouloir se rendre en Grande Bretagne ; que la décision litigieuse ne peut être regardée comme insuffisamment motivée en fait et comme ayant été prise sans examen particulier de la situation de l'intéressé ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour ; qu'il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement ; qu'en l'espèce, M. A... a été entendu préalablement à l'édiction de la mesure contestée, comme en témoigne son procès-verbal d'audition du 25 juin 2015 signé par l'intéressé dans le cadre de la procédure de retenue instituée par les dispositions de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'à cette occasion, assisté d'un interprète en langue pachtou il a été informé de ce qu'une mesure d'éloignement était susceptible d'être prise à son encontre et il a pu présenter toutes les observations qu'il jugeait utiles ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire et de l'article 41 de la charte sur les droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté ;
7. Considérant, en dernier lieu, que la préfète du Pas-de-Calais a pris en compte la situation personnelle de M. A... avant de prononcer à son encontre une obligation de quitter le territoire français ; que la circonstance que l'arrêté réserve le pays de destination n'établit pas l'erreur manifeste dont se prévaut le requérant dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision de placement en rétention administrative :
8. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que la décision obligeant M. A... à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire n'est pas entachée d'illégalité ; que, par suite, M. A... ne peut se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité de cette décision pour demander l'annulation de la décision de placement en rétention administrative ;
9. Considérant, en second lieu, que le moyen tiré de ce que le placement en rétention serait entaché de détournement de pouvoir " tenant à la pratique annuelle du préfet du Pas-de-Calais " n'est pas assorti des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé de même que l'erreur de droit et l'erreur manifeste d'appréciation qui ne sont qu'alléguées ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
10. Considérant qu'en application de l'article L. 513-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision fixant le pays de destination constitue une décision distincte de la mesure d'éloignement elle-même ; qu'en l'espèce, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas déterminé à ce stade le pays à destination duquel M. A... pourra être reconduit ; que dès lors les moyens tirés d'une absence de motivation, d'un vice de procédure et d'une erreur de droit invoqués à l'encontre d'une décision fixant le pays de destination ne peuvent qu'être écartés ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 25 juin 2015 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et placement en rétention administrative ; que ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 15003576 du tribunal administratif de Montpellier du 29 juin 2015 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montpellier et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré à l'issue de l'audience du 21 novembre 2016, où siégeaient :
- M. Moussaron, président,
- Mme Steinmetz-Schies, président-assesseur,
- M. Gautron, conseiller.
Lu en audience publique, le 12 décembre 2016.
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N° 15MA02850