Par un jugement n° 1200850 du 16 avril 2015, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du 18 octobre 2012 et rejeté le surplus des conclusions de la société MDL Menuiserie.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 juin 2015, 31 octobre 2016 et 22 novembre 2016, la société MDL Menuiserie, représentée par MeD..., demande à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 avril 2015 en tant qu'il a rejeté une partie de ses conclusions ;
2°) de condamner solidairement le groupement Guidoni-B... -Berim et le département de la Haute-Corse à lui verser la somme de 414 450 euros ;
3°) de condamner le groupement Guidoni-B... -Berim à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;
4°) de désigner un expert judiciaire à fin de chiffrer ses préjudices ;
5°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge du département de la Haute-Corse et du groupement Guidoni-B... -Berim au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de résiliation et les mises en demeures préalables sont signées par une autorité incompétente pour ce faire ;
- la décision du 18 octobre 2012 méconnaît les stipulations de l'article 46.3.1. du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- la modification du procédé de fixation des bardages a été acceptée par le maître d'oeuvre, par le maître d'ouvrage délégué et par le maître d'ouvrage et est ainsi devenue contractuelle ;
- cette décision méconnaît le principe de loyauté des relations contractuelles ;
- elle n'est pas prise pour un motif d'intérêt général ou d'intérêt public ;
- le maître d'ouvrage a commis une faute dans la direction du chantier ;
- le maître d'oeuvre a également commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité quasi-délictuelle ;
- cette décision est disproportionnée ;
- elle justifie des préjudices résultant des conséquences de cette décision.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 mai 2016, 12 mai 2016 et 7 novembre 2016, le département de la Haute-Corse conclut :
- à titre principal au rejet de la requête et des demandes de la société MDL Menuiserie ;
- à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, dans l'hypothèse de l'annulation de la décision de résiliation, à la condamnation de M. B... à indemniser la société MDL Menuiserie du préjudice résultant de cette décision ;
- au rejet de la demande indemnitaire de la société requérante ou à la désignation d'un expert afin d'évaluer son préjudice ;
- à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société MDL Menuiserie et de M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la société MDL Menuiserie ne sont pas fondés ;
- le maître d'oeuvre a commis une faute en validant la modification du procédé technique de mise en place des bardages sans l'informer et sans respecter les stipulations de l'article 1.10. du cahier des clauses administratives particulières du marché conclu avec la société requérante, de l'article 27 du CCAP du marché de maîtrise d'oeuvre et de l'article 6.1. du CCTP de ce même marché.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 mai 2016, 25 mai 2016 et 3 novembre 2016, M. B...conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société MDL Menuiserie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2016, la société Berim conclut :
- à sa mise hors de cause ;
- par la voie de l'appel provoqué, à ce que M. B... soit condamné à la garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre ;
- à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de toute partie succombante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucune demande n'est dirigée à son encontre ;
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la société MDL Menuiserie tendant à l'annulation de la décision de résiliation du 18 octobre 2012.
La société MDL Menuiserie a répondu le 31 janvier 2017 à ce moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héry,
- les conclusions de M. Thiele, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., représentant la société MDL Menuiserie, et de Me C..., représentant M.B....
1. Considérant que, dans le cadre de la construction de trois bâtiments, le département de la Haute-Corse a confié en août 2010 le lot n° 5 d'un marché de travaux à la société MDL Menuiserie, portant sur les menuiseries extérieures, le bardage des façades et la protection solaire ; que ce marché a été résilié par décision du 18 octobre 2012 ; que par jugement du 16 avril 2015 dont la société MDL Menuiserie relève appel, le tribunal administratif de Bastia a prononcé l'annulation de cette décision et rejeté le surplus de la demande de la société ;
Sur la portée des conclusions du département de la Haute-Corse :
2. Considérant que le département de la Haute-Corse demande à titre principal à la Cour de constater la légalité de la décision du 18 octobre 2012 et de rejeter l'ensemble des demandes présentées par la société MDL Menuiserie ; qu'il doit ainsi être regardé comme concluant, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du 16 avril 2015 en tant qu'il a annulé ladite décision ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de résiliation :
3. Considérant que le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution du contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ; que, toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles ; qu'il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité ;
4. Considérant qu'en application des principes ci-dessus énoncés, il n'appartient pas au juge du contrat de prononcer l'annulation d'une telle mesure mais de statuer sur sa validité et de tirer les conséquences d'une éventuelle invalidité en se prononçant sur la reprise des relations contractuelles ou le droit à indemnité du cocontractant ; que, par suite, les conclusions de la société MDL Menuiserie tendant à l'annulation de ladite décision doivent être rejetées comme irrecevables ;
5. Considérant que, dans cette mesure, le département de la Haute-Corse est fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé cette décision ;
Sur la validité de la mesure de résiliation :
6. Considérant qu'à les supposer établis, les vices de légalité externe entachant selon la société MDL Menuiserie la décision de résiliation du 18 octobre 2012 sont en tout état de cause dépourvus d'incidence sur son éventuel droit à indemnisation ;
7. Considérant que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) prévoyait dans son article 3.3 que le bardage de façade devait être posé sur une " ossature métallique support des plaques de bardage pour fixation invisible par agrafes sur rails " ; que lors de la réunion de chantier du 12 mai 2011, à laquelle assistaient des représentants du maître d'ouvrage et le maître d'ouvrage délégué, la société MDL Menuiserie a proposé de substituer à ce système de fixation des vêtures avec calepinage et une fixation par rivets ; que cette proposition a été acceptée, le compte rendu de chantier mentionnant que la société pourra utiliser une fixation par rivets ou vis, la finition devant être assortie aux panneaux ; que la société MDL Menuiserie a réalisé le bardage du bâtiment C selon ce procédé ; que le bâtiment a fait l'objet d'une réception partielle le 19 avril 2012, assortie de réserves ne portant pas sur la pose du bardage de façade ;
8. Considérant que le 21 juin 2012, le maître d'ouvrage a indiqué au maître d'oeuvre qu'il souhaitait que cette fixation s'effectue conformément aux dispositions contenues dans le CCTP pour les bâtiments A et B restant à réaliser ; que par ordre de service du 26 juin 2012, la société MDL Menuiserie a été invitée à réaliser les travaux en conformité avec le CCTP, ce qu'elle a expressément refusé de faire, par lettre du même jour ; que la société n'a pas non plus déféré aux trois mises en demeure qui lui ont été ensuite adressées les 4 et 18 juillet 2012 puis le 10 septembre 2012 ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 30 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés de travaux : " Le titulaire ne peut, de lui-même, apporter aucun changement aux dispositions techniques prévues par le marché./ Le maître d'oeuvre peut accepter, après accord du représentant du pouvoir adjudicateur, les changements proposés par le titulaire (...) " ; que si le maître d'oeuvre a donné son accord à la modification du système de fixation proposée par la société MDL Menuiserie au cours d'une réunion de chantier à laquelle assistaient des représentants du maître d'ouvrage et si la réception des travaux du bâtiment C n'a pas donné lieu à réserves de la part du maître d'ouvrage sur la pose du bardage de façade, ces circonstances ne sauraient permettre de déduire que le maître d'ouvrage aurait acquiescé à cette modification du contrat, susceptible d'entraîner une variation du prix du marché, dès lors que l'article 1.10 du cahier des clauses administratives particulières prévoit que soient soumis à la signature du représentant du pouvoir adjudicateur " tous les ordres de service pour des travaux de caractère général susceptibles d'entraîner une modification, en plus ou en moins, du montant du marché " ;
10. Considérant que la société MDL Menuiserie a pu considérer de bonne foi que la modification sollicitée par elle avait fait l'objet d'une validation pour l'ensemble des bâtiments objet du marché ; qu'il est toutefois constant que le maître d'ouvrage a explicitement manifesté son opposition à toute modification des stipulations du CCTP que la société s'était contractuellement engagée à respecter ; que comme il a été dit au point 7, cette dernière a expressément refusé de se conformer à l'ordre de service puis aux mises en demeure qui lui ont été adressées ;
11. Considérant que la décision de résilier le marché étant uniquement fondée sur le refus de la société MDL Menuiserie de se conformer aux prescriptions du CCTP mais non sur le fait que cette dernière a réalisé, avec il est vrai l'accord du maître d'oeuvre, des prestations non prévues par le contrat, la société ne peut utilement se prévaloir de la faute du maître d'oeuvre à avoir accepté le principe de la modification de ces prestations ni d'une faute du maître d'ouvrage dans l'exercice de son pouvoir de direction ;
12. Considérant que cette décision ne méconnaît pas non plus le principe de loyauté des relations contractuelles, dans la mesure où la modification du système de pose du bardage de façade n'est pas contractuelle ;
13. Considérant que, dès lors que la résiliation du marché est motivée par une faute commise par le cocontractant, le maître d'ouvrage n'a pas à établir l'existence d'un motif d'intérêt général pour justifier sa décision ;
14. Considérant, enfin, que si la société MDL Menuiserie pouvait penser, compte tenu de l'accord donné par le maître d'oeuvre lors de la réunion de chantier de mai 2011 en présence de représentants du maître d'ouvrage et du maître d'ouvrage délégué puis de la réception partielle du bâtiment C, que la modification proposée par elle était validée pour l'ensemble du marché, il résulte toutefois de l'instruction qu'elle a refusé de se conformer à un ordre de service puis à trois mises en demeure successives de se conformer aux prescriptions du CCTP ; que devant le refus systématique de la société de réaliser la pose du bardage de façade selon les stipulations du marché, le département de la Haute-Corse n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en résiliant ce marché ;
15. Considérant que la mesure de résiliation étant ainsi justifiée, les conclusions à fin de reprise des relations contractuelles et indemnitaires de la société MDL Menuiserie ne peuvent qu'être rejetées ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société MDL Menuiserie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté ses conclusions à fin de reprise des relations contractuelles et à fin d'indemnité ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Haute-Corse, qui n'est pas partie perdante à la présente instance, la somme demandée par la société MDL Menuiserie sur ce fondement ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le département de la Haute-Corse, M. B... et la société Berim ;
D É C I D E :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 avril 2015 est annulé.
Article 2 : La requête de la société MDL Menuiserie, le surplus des conclusions du département de la Haute-Corse et les conclusions de M. B...sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société MDL Menuiserie, au département de la Haute-Corse, à M. A...B...et à la société Berim.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2017, où siégeaient :
- M. Moussaron, président,
- Mme Steinmetz-Schies, président assesseur,
- Mme Héry, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 mars 2017.
2
N° 15MA02666