Par un arrêt n° 17MA02009 du 3 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur pourvoi de Mme A..., annulé ce jugement ainsi que la décision du 27 mars 2015, condamné le département des Bouches-du-Rhône à lui verser la somme de 3 000 euros et enjoint au président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de prononcer son agrément en qualité d'assistante maternelle à compter du 27 mars 2015 en l'absence de modification de la situation de fait ou de droit à la date de son arrêt.
Par une décision n° 427621 du 15 juillet 2020, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi formé par le département des Bouches-du-Rhône, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour administrative d'appel de Marseille.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés initialement sous le n° 17MA02009 le 12 mai 2017, le 27 avril 2018 et le 26 novembre 2018 puis, après renvoi par le Conseil d'Etat, par un mémoire complémentaire, enregistré sous le n° 20MA02319 le 20 août 2020, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 mars 2017;
2°) d'annuler la décision du 27 mars 2015 portant retrait de son agrément d'assistante maternelle ;
3°) de condamner le département des Bouches-du-Rhône à lui payer la somme de 25 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal ;
4°) d'enjoindre au président du conseil départemental de rétablir son agrément à la date à laquelle il a été retiré ;
5°) de mettre à la charge de la département des Bouches-du-Rhône la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en accueillant la substitution de motifs sollicitée par le département tenant à ce qu'elle aurait en réalité laissé l'enfant seul à son domicile, le tribunal l'a privée d'une garantie ;
- c'est à tort que le tribunal a accueilli cette substitution de motifs tenant à ce qu'elle aurait en réalité laissé l'enfant seul à son domicile dès lors que la matérialité de ce grief n'est pas établie ;
- la sanction en litige repose sur une appréciation erronée des faits ;
- le manquement reproché tenant à avoir laissé le jeune enfant seul à son domicile sans surveillance est en tout état de cause isolé et ne pouvait ainsi justifier le retrait de son agrément ;
- les autres griefs reprochés sont infondés ;
- elle a subi un préjudice matériel qui doit être indemnisé par la somme de 20 000 euros et un préjudice moral qui doit être réparé par la somme de 5 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré initialement sous le n° 17MA02009 le 24 mai 2018 puis, après renvoi par le Conseil d'Etat, par des mémoires complémentaires, enregistrés sous le n° 20MA02319 le 4 novembre 2020 et le 20 novembre 2020, le département des Bouches-du-Rhône, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a obtenu le 19 janvier 2009 du président du conseil général des Bouches-du-Rhône un agrément en qualité d'assistante maternelle pour accueillir un enfant à son domicile, agrément étendu à l'accueil de trois enfants par décision du 2 mars 2010, et renouvelé par décision du 29 novembre 2013. Après une altercation survenue le 5 janvier 2015 entre Mme A... et le parent d'un enfant qui lui avait été confié, l'autorité départementale a retiré à l'intéressée son agrément par décision du 27 mars 2015. Par jugement du 14 mars 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de cette décision de retrait ainsi qu'à la condamnation du département des Bouches-du-Rhône à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par arrêt du 3 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement ainsi que la décision du 27 mars 2015, a condamné le département à verser à Mme A... la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice et a enjoint à l'autorité départementale d'agréer l'intéressée en qualité d'assistante maternelle à compter du 27 mars 2015 en l'absence de modification de la situation de fait ou de droit à la date de son arrêt. Par décision du 15 juillet 2020, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi du département des Bouches-du-Rhône, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour au motif que le grief invoqué par le département en défense devant le tribunal administratif de Marseille, que le tribunal a substitué à l'un de ceux figurant dans la décision contestée, n'était pas distinct de celui qui a été discuté devant la commission consultative paritaire départementale devant laquelle Mme A... a pu faire valoir ses observations avant que ne soit prise la décision en litige et qu'en conséquence, contrairement à ce qu'a jugé la cour, l'intéressée n'a pas été privée d'une garantie.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 27 mars 2015 du président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône :
2. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. (...) / L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) ". Aux termes de l'article L. 421-6 du même code : " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. (...). ". Aux termes de l'article R. 421-23 de ce code ; " Lorsque le président du conseil départemental envisage de retirer un agrément, (...) il saisit pour avis la commission consultative paritaire départementale mentionnée à l'article [L. 421-6] en lui indiquant les motifs de la décision envisagée. / L'assistant maternel (...) concerné est informé, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des motifs de la décision envisagée à son encontre, de la possibilité de consulter son dossier administratif et de présenter devant la commission ses observations écrites ou orales. (...) ".
3. Il résulte des dispositions citées au point précédent que, s'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément de l'assistant maternel si ces conditions ne sont plus remplies, il ne peut le faire qu'après avoir saisi pour avis la commission consultative paritaire départementale compétente, devant laquelle l'intéressé est en droit de présenter ses observations écrites ou orales, en lui indiquant, ainsi qu'à l'assistant maternel concerné, les motifs de la décision envisagée. La consultation de cette commission sur ces motifs, à laquelle est attachée la possibilité pour l'intéressé de présenter ses observations, revêt ainsi pour ce dernier le caractère d'une garantie. Il en résulte qu'un tel retrait ne peut intervenir pour un motif qui n'aurait pas été soumis à la commission consultative paritaire départementale et sur lequel l'intéressé n'aurait pu présenter devant elle ses observations.
4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'autre partie de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'autre partie d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Il ressort en l'espèce des pièces du dossier que le président du conseil général, après l'altercation qui avait opposé le père du jeune A., âgé de deux ans, à Mme A... le 5 janvier 2015, à la suite de laquelle l'intéressé avait retiré ses enfants de la garde de la requérante et déposé plainte contre celle-ci pour délaissement d'enfant, a décidé de suspendre l'agrément de Mme A... pour une durée de quatre mois. Dans le cadre de cette procédure, celle-ci a fait valoir, notamment dans une lettre du 29 janvier 2015 adressée au président du conseil général, que, contrairement à ce qui lui était reproché par le père de l'enfant, le jeune A. n'était pas resté seul à son domicile pendant qu'elle accompagnait d'autres enfants à l'école, mais avait été confié temporairement par ses soins à un tiers. Si l'avis de la commission consultative paritaire départementale et la décision de retrait d'agrément retiennent que l'intéressée avait confié cet enfant à un tiers, ces motifs ne soulèvent pas de grief distinct par rapport aux faits qui avaient conduit à l'engagement de la procédure, qui tiennent aux conditions dans lesquelles Mme A... avait assuré la garde du jeune A. le 5 janvier 2015. L'intéressée a pu s'expliquer devant la commission consultative paritaire départementale sur les faits en cause, tels qu'ils lui étaient reprochés par le père de l'enfant, et a pu les contester en tant que ce dernier affirmait que l'enfant avait été laissé seul, avant que la commission n'apprécie son comportement. Mme A... n'a ainsi pas été privée de la garantie procédurale tenant à la consultation de la commission consultative paritaire départementale.
6. Il ressort par ailleurs des énonciations du courrier du 24 novembre 2015 adressé au département par le substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille que l'enquête de police diligentée à la suite de la plainte déposée par le père du jeune A. a conclu, s'agissant de l'allégation de Mme A... selon laquelle l'enfant aurait été, à son domicile, sous la surveillance d'une voisine âgée pendant qu'elle-même accompagnait les autres enfants à l'école, que " le témoignage de cette vieille personne est apparu manifestement de complaisance ". Le substitut du procureur de la République a ajouté, dans ce courrier, que les conséquences professionnelles qui résulteraient de ces faits constituaient en elles-mêmes une première sanction. Si, certes, les poursuites diligentées contre Mme A... pour délaissement d'enfant mineur se sont finalement soldées par une décision de classement sans suite faute pour l'infraction d'être apparue suffisamment constituée ou caractérisée, l'enquête n'ayant pas permis de rassembler des preuves suffisantes, tant la conviction des enquêteurs concernant l'authenticité du témoignage de la vieille dame, que la faible vraisemblance des faits tels que les a rapportés Mme A... au service gestionnaire du département par ses courriers des 27 et 31 janvier 2015 tenant à ce que, lorsque le père du jeune A. s'est présenté à son domicile et a de manière violente demandé à récupérer son enfant, vers 8h40, et qu'il a exigé que lui soit prouvé que celui-ci était bien sous la surveillance d'un tiers, la voisine prétendument présente se trouvait alors aux toilettes mais se serait ensuite placée à la fenêtre de sorte qu'il a pu l'apercevoir, ce alors même que l'altercation a duré environ vingt minutes selon l'estimation de l'intéressée et qu'à aucun moment, le père ne soit mis en présence effective de cette personne afin de permettre de désamorcer le conflit, ou encore le caractère peu crédible de l'attestation produite par cette dame, âgée de 77 ans à la date des faits et qui réside à proximité immédiate du domicile de la requérante, selon laquelle elle aurait passé la nuit chez Mme A..., conduisent à tenir pour établi que le jeune A. n'était pas, en réalité, sous la surveillance de cette voisine ce matin-là.
7. Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir la substitution de motifs sollicitée par le département tirée de ce que, eu égard au signalement effectué par le père du jeune A. auprès de ses services ainsi qu'aux déclarations de celui-ci devant les services de police et au rappel à la loi dont a fait l'objet Mme A... pour l'infraction présumée, dont le département a été informé par le courrier du 24 novembre 2015 mentionné au point précédent, cet enfant a en réalité été laissé seul au domicile de l'intéressée.
8. La circonstance selon laquelle le contrat qui lie la requérante avec le père-employeur n'aurait pas été respecté, particulièrement le fait que celui-ci n'aurait pas établi le planning des gardes mentionnant le nombre d'enfants concernés et les horaires, qu'elle ne s'attendait donc pas à ce que le père se présente ce jour-là avec les deux enfants et que c'est devant l'insistance de celui-ci qu'elle aurait accepté de prendre en garde le plus jeune, ne pouvait en aucun cas délivrer Mme A... de ses obligations tenant notamment à la sécurité du jeune A., qu'elle avait accepté de prendre sous sa garde, et est par conséquent sans incidence sur la légalité de la décision contestée.
9. Il ressort des pièces du dossier que le département des Bouches-du-Rhône aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur ce seul motif tiré de la violation par Mme A... de son obligation de surveillance d'un jeune enfant placé sous sa garde.
10. Eu égard à la gravité du manquement ainsi reproché, le fait qu'il serait isolé et que Mme A... justifierait d'évaluations positives de la part des services du département ainsi que de plusieurs parents n'est pas de nature à faire regarder la décision querellée comme étant entachée d'erreur d'appréciation.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme A... et n'appelle ainsi aucune mesure particulière d'exécution au sens des articles L. 911-1 ou L. 911-2 du code de justice administrative. Les conclusions présentées aux fins d'injonction ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
12. Il résulte de ce qui précède que la décision du 27 mars 2015 du président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône ne présente pas un caractère fautif. Dès lors, il y a lieu de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par Mme A....
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des Bouches-du-Rhône, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par le département des Bouches-du-Rhône et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Mme A... versera au département des Bouches-du-Rhône une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au département des Bouches-du-Rhône.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Coutier, premier conseiller,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2021.
2
N° 20MA02319
nl