Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2016, la société le Palandoken, représentée par la SELARL Sophie Sigaud, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 31 mai 2016 ;
2°) d'annuler la décision du 14 avril 2014 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et les deux titres de perception émis à son encontre le 19 mai 2014.
Elle soutient que :
- elle ne pouvait être assujettie aux contributions en litige pour l'emploi de M. B... A..., dans la mesure où celui-ci, associé et cogérant de la société, ne se trouvait pas vis-à-vis de celle-ci dans un rapport de subordination ;
- les titres de perception en litige lui sont inopposables faute pour le comptable de la direction générale des finances publiques d'avoir déclaré les créances de l'OFII au mandataire judiciaire dans les délais légaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2017, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société le Palandoken la somme de 2 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de commerce
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guidal, président,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.
1. Considérant que la société le Palandoken exploite un commerce de " snack glacier et salon de thé " à Marseille ; que lors d'un contrôle conjoint des services de police et de l'URSAFF effectué le 29 mai 2012, les agents ont constaté la présence, en situation de travail pour le compte de la société, de deux ressortissants turcs dépourvus de titre de séjour et d'autorisation de travail ; que le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a, par une décision du 14 avril 2014 et au vu des procès-verbaux établis lors de cette opération de contrôle, mis à la charge de la société le Palandoken la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 34 400 euros ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 2 309 euros ; que le directeur général des finances publiques a émis à son encontre le 19 mai 2014 deux titres de perception pour les mêmes montants ; que la société le Palandoken relève appel du jugement du 31 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et de ces titres de perception ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (... ) / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. / Elle est recouvrée par l'Etat comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine (...)" ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) " ; que selon le I de l'article R. 626-1 du même code : " La contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 est due pour chaque employé en situation irrégulière au regard du droit au séjour. / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui, en violation de l'article L. 8251-1 du code du travail, a embauché ou employé un travailleur étranger dépourvu de titre de séjour (...)" ;
4. Considérant qu'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire mentionnée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'intéressé et leur qualification juridique au regard de ces dispositions ; qu'il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant selon les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur ;
5. Considérant, par ailleurs, que l'emploi d'un travailleur étranger suppose l'existence d'un travail subordonné, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements ; qu'un tel emploi ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni, le cas échéant, de la dénomination qu'elles auraient pu donner à leur convention, mais seulement des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur étranger ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux de constat et d'audition de M. B... A...du 29 mai 2012, qui font foi jusqu'à preuve contraire, que lors de la venue des agents de police sur place, l'intéressé servait les clients et débarrassait les tables ; que selon ses déclarations, il était employé depuis un mois et demi dans l'établissement, trois jours par semaine de 11 heures à 15 heures et percevait une rémunération de quarante à soixante euros payée en espèces chaque jour travaillé ; qu'il est constant que M. B... A...ne disposait ni d'un titre de séjour ni d'une autorisation de travail l'autorisant à exercer une activité salariée en France ; qu'il résulte de l'ensemble de ces circonstances, que M. B... A...exécutait un travail en échange d'une rémunération sous l'autorité et selon les directives de M. D... A..., gérant de la SARL le Palandoken, qui en contrôlait l'exécution ; que la société le Palandoken doit, par suite, être regardée comme l'employeur de ce ressortissant étranger au sens et pour l'application des dispositions précitées des articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
7. Considérant qu'aucune règle ni aucun principe ne s'oppose à ce que l'associé d'une société à responsabilité limitée cumule ses fonctions d'associé avec une activité professionnelle au sein de l'entreprise dans des conditions traduisant l'existence d'un lien de subordination à l'égard de la société, sous réserve que l'exercice de cette activité soit effective ; que s'il est constant que M. B... A...était associé de la SARL le Palandoken avec son cousin M. D... A..., il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 6 qu'il y exerçait également une activité professionnelle, dans des conditions traduisant l'existence, à l'égard de cette société, d'un lien de subordination de nature à caractériser une activité salariée ; que, par ailleurs, s'il soutient y exercer les fonctions de cogérant, ses allégations ne sont pas corroborées par les résultats de l'instruction et notamment par l'extrait de K bis produit au dossier duquel il résulte que la gérance de la société n'était assurée que par le seul M. D... A... ; qu'il suit de là que c'est à bon droit que la SARL le Palandoken a été assujettie à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire pour avoir employé M. B... A...;
8. Considérant qu'aux termes de l'article L 622-21du code de commerce que : " I.-Le jugement d'ouverture [de la procédure de sauvegarde] interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant : 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent(...). II.-Il arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture (...) " ; que selon l'article L. 622-24 du même code : " A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat (...) La déclaration des créances doit être faite alors même qu'elles ne sont pas établies par un titre. Celles dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées sur la base d'une évaluation. Les créances du Trésor public (...) qui n'ont pas fait l'objet d'un titre exécutoire au moment de leur déclaration sont admises à titre provisionnel pour leur montant déclaré. En tout état de cause, les déclarations du Trésor et de la sécurité sociale sont toujours faites sous réserve des impôts et autres créances non établis à la date de la déclaration. Sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours, leur établissement définitif doit, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l'article L. 624-1 " ; qu'enfin, selon l'article L. 622-26 dudit code : " A défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande " ;
9. Considérant que si les dispositions précitées du code de commerce régissent les conditions dans lesquelles peuvent être produites puis payées les créances détenues sur une entreprise qui fait l'objet d'une procédure collective, et font obligation aux personnes publiques comme à tous les autres créanciers de déclarer leurs créances sur les entreprises en état de redressement judiciaire puis de liquidation judiciaire, elles ne font pas obstacle à ce qu'une autorité administrative émette un titre de perception exécutoire, lequel a pour objet de liquider et rendre exigible la dette dont est redevable une personne morale à l'égard d'une personne publique et intervient sans préjudice des suites que la procédure judiciaire, engagée à l'égard du débiteur en application des dispositions dudit code, est susceptible d'avoir sur le recouvrement de la créance en cause ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que si, par jugement du 16 juillet 2012 du tribunal de commerce de Marseille, la société le Palandoken a été placée en redressement judiciaire, le moyen tiré de ce que le directeur général des finances publiques n'aurait pas déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire n'a pas d'incidence sur l'existence de cette créance qui n'est pas éteinte, ni sur la validité des titres exécutoires, dont la légalité s'apprécie à la date à laquelle ils ont été émis ; que le moyen tiré d'une prétendue méconnaissance des dispositions précitées du code de commerce doit, par suite, et en tout état de cause, être écarté comme inopérant ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société le Palandoken n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société le Palandoken la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration en application de ces dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société le Palandoken est rejetée.
Article 2 : La société le Palandoken versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société le Palandoken et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 23 février 2018, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- M. Maury, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 mars 2018.
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N° 16MA02941
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