Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2017, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 18 octobre 2017 ;
2°) de rejeter la demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Nice.
Il soutient que :
- les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier en retenant que M. C... avait simplement relayé des articles faisant état de la thèse selon laquelle l'Etat serait à l'origine de l'attentat perpétré à Nice le 14 juillet 2016, alors qu'il s'est également livré à la promotion de la qualité et de la crédibilité de ces articles et formulé une opinion déloyale à l'égard des institutions publiques ;
- la sanction de mise à la retraite d'office n'est pas disproportionnée dès lors que le fonctionnaire a manqué à un strict devoir de réserve, de neutralité et de loyauté, que ces propos sont gravement attentatoires à l'image des services de l'Etat et incompatibles avec le statut d'agent de l'Etat.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2019, M. C... conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- l'arrêté en litige est signé par une autorité incompétente ;
- cet arrêté est insuffisamment motivé ;
- il n'est pas tenu à une obligation stricte de neutralité ; par suite, l'arrêté est entaché d'erreur de droit ; en outre, les propos tenus n'ont pas reçu de publicité ;
- l'arrêté est fondé sur des faits matériellement inexacts ;
- il a déjà fait l'objet d'une sanction pour absentéisme ; par suite, il ne saurait être sanctionné deux fois pour les mêmes faits ;
- la sanction retenue est disproportionnée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. B...,
- et les observations de Me A... représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 17 novembre 2016, le ministre de l'intérieur a prononcé à l'encontre de M. D... C..., technicien de classe normale des systèmes d'information et de communication, affecté au service interministériel départemental des systèmes d'information et de communication, la sanction de mise à la retraite d'office. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 18 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté et lui a enjoint de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, à la réintégration de M. C....
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La circonstance, à la supposer établie, que le jugement serait entaché de dénaturation des pièces du dossier qui affecte le cas échéant le bien-fondé du jugement, demeure sans incidence sur sa régularité. Ainsi, ledit moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. Dans l'exercice de ses fonctions, il est tenu à l'obligation de neutralité. Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s'abstient notamment de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses. Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité. Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité. Tout chef de service peut préciser, après avis des représentants du personnel, les principes déontologiques applicables aux agents placés sous son autorité, en les adaptant aux missions du service. ". L'article 29 de cette loi prévoit que toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. L'article 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dispose que : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Quatrième groupe : la mise à la retraite d'office ; la révocation. (...) ".
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
5. Pour prononcer à l'encontre de M. C... la sanction disciplinaire en litige, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressé a relayé par voie de messagerie professionnelle une théorie selon laquelle l'Etat serait à l'origine de l'attentat perpétré à Nice, le 14 juillet 2016, en méconnaissance de son obligation de neutralité.
6. Il ressort des pièces du dossier que le 1er août 2016, M. C... a exposé à son supérieur hiérarchique sa théorie du complot dans le couloir de la préfecture. Ce dernier a déclaré l'avoir ouvertement réprimandé. M. C... a malgré tout prolongé cette discussion en lui adressant le jour même durant ses heures de service un courriel comportant un lien vers un site internet exposant cette théorie, accompagné de ses commentaires assez confus mais dont l'objet est de soutenir la thèse d'un crime d'Etat développée dans cet article. Le 3 août 2016, M. C... a également adressé à un de ses collègues de service, à partir de sa messagerie professionnelle, un courriel faisant à nouveau allusion à cette théorie dans lequel il soutient que, selon certains témoignages, l'attentat aurait été en réalité commis par deux terroristes. En exposant et en relayant cette théorie auprès de son chef de service et d'un de ses collègues par l'intermédiaire de sa messagerie professionnelle, dans un contexte de crise, M. C... a méconnu l'obligation de neutralité et de réserve qui lui incombe en sa qualité de fonctionnaire. En revanche, les pièces versées par le ministre de l'intérieur, en particulier le rapport disciplinaire rédigé par le chef de service de M. C... qui se base sur des suppositions, ne permettent pas d'établir que l'intéressé aurait exprimé ses opinions en dehors de son service. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la nature de l'emploi occupé par M. C... qui ne comporte aucune fonction d'encadrement et à l'absence de diffusion de ses propos en dehors de son service, le ministre de l'intérieur ne peut se prévaloir de ce que les faits reprochés à l'intéressé constitueraient un trouble objectif pour le fonctionnement des services y rendant impossible son maintien. Il ne saurait davantage faire valoir que ces faits ont été susceptibles de porter atteinte à l'image de l'administration auprès du public. Dès lors, la faute commise n'est pas suffisamment grave pour justifier la mise à la retraite d'office de M. C....
7. Il résulte de tout ce qui précède, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 17 novembre 2016 prononçant à l'encontre de M. C... la sanction de la mise à la retraite d'office.
Sur les frais liés au litige :
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... C....
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2019, où siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme E..., première conseillère,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 avril 2019.
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N° 17MA04867
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