Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistré le 25 février 2018 et le 1er novembre 2018, M. F..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 décembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail de Nanterre du 10 avril 2015 ainsi que la décision implicite de rejet opposée par la ministre du travail à son recours hiérarchique formé contre cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la SAS Armand Thierry la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'inspecteur du travail était territorialement incompétent ;
- l'administration ne pouvait autoriser son licenciement dès lors que, en l'absence de visite médicale de reprise alors qu'il était en congé maladie depuis plus de 21 jours, son contrat de travail était suspendu ;
- en décidant de le dispenser d'activité plutôt que de lui faire bénéficier de la visite médicale de reprise, la SAS Armand Thierry a entendu se soustraire à son obligation de reclassement qui aurait résulté d'une inaptitude éventuelle et prévisible au regard de la dégradation de ses conditions de travail et a ainsi commis un détournement de procédure ;
- la décision d'autorisation querellée est entachée de détournement de pouvoir ;
- elle est entachée d'une erreur dans la qualification des faits reprochés ;
- ces faits n'ont occasionné aucun préjudice pour la société ;
- le licenciement est en lien avec son mandat ;
- il est seul à assurer la représentation du personnel dans la catégorie cadres.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 avril 2018 et le 14 décembre 2018, la SAS Armand Thierry, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. F... la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me B..., représentant M. F..., et de Me D..., substituant Me E..., représentant la SAS Armand Thierry.
Considérant ce qui suit :
1. Par décision du 10 avril 2015, l'inspecteur du travail de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a autorisé la SAS Armand Thierry à procéder au licenciement pour faute de M. A... F..., exerçant les fonctions de directeur du magasin de Perpignan Polygone et détenteur d'un mandat de délégué du personnel catégorie cadre. Saisi par l'intéressé d'un recours hiérarchique contre cette décision, la ministre du travail a laissé naître une décision implicite de rejet de ce recours. M. F... relève appel du jugement du 26 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
2. Les articles L. 2421-3 et R. 2421-10 du code du travail prévoient que la demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. Il résulte de ces dispositions que l'inspecteur du travail compétent pour se prononcer sur une demande d'autorisation de licencier un salarié protégé est celui dans le ressort duquel se trouve l'établissement disposant d'une autonomie de gestion suffisante où le salarié est affecté ou rattaché. A défaut, l'inspecteur du travail compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le siège social de l'entreprise qui emploie le salarié protégé.
3. Il ressort des pièces du dossier que la SAS Armand Thierry dispose d'un comité d'entreprise unique pour l'ensemble des magasins présents sur tout le territoire national, localisé à son siège social à Levallois-Perret dans le département des Hauts-de-Seine et que le pouvoir disciplinaire à l'égard de l'ensemble des salariés de la société est exercé par délégation par le directeur des ressources humaines, rattaché au siège. L'intégralité de la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de M. F... a été conduite par le directeur des ressources humaines et le comité d'entreprise a été consulté sur le projet de licenciement de l'intéressé. Enfin, un règlement intérieur est applicable à l'ensemble de la société et celle-ci emploie une " directrice des ventes chargée de veiller au bon fonctionnement des magasins ". Le fait que les embauches seraient décidées au niveau de chaque magasin, au sein desquels seraient également fixées les règles d'organisation du travail, ne suffit pas à faire regarder le magasin de Perpignan Polygone comme présentant une autonomie de gestion suffisante de nature à caractériser un établissement au sens des dispositions du code du travail mentionnées au point précédent.
4. L'appelant ne saurait utilement invoquer la fiche 1B annexée à la circulaire DGT n° 07/2012 du 30 juillet 2012 relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés qui ne présente pas un caractère réglementaire. Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail de l'unité territoriale des Hauts de Seine de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France n'était pas territorialement compétent pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement de M. F... présentée par la SAS Armand Thierry.
5. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. ". Aux termes de l'article R. 4624-22 du même code : " Le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail : / 1° après un congé maternité, / 2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle, /3° après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel. ".
6. Il ressort des pièces du dossier que la SAS Armand Thierry a eu connaissance le 22 décembre 2014 d'agissements de M. F... de nature à relever d'une procédure disciplinaire, alors que celui-ci se trouvait à cette date en arrêt de travail pour maladie.
7. Ni les dispositions précitées de l'article L. 1226-2 du code du travail, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe, ne faisaient obstacle à ce que la SAS Armand Thierry engage à l'encontre de l'intéressé une procédure disciplinaire durant cet arrêt, lequel a eu pour effet de suspendre son contrat de travail. Est dès lors sans aucune incidence sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail du 10 avril 2015, qui a autorisé la SAS Armand Thierry à procéder au licenciement pour faute de M. F..., la circonstance selon laquelle celui-ci n'aurait pas bénéficié de la visite médicale de reprise prévue à l'article R. 4624-22 du code du travail précité alors même que, s'étant trouvé en arrêt de travail pour maladie du 13 décembre 2014 au 25 janvier 2015, il justifiait d'une absence d'au moins trente jours. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en signifiant à M. F... par lettre du 27 janvier 2015, suite à l'entretien préalable s'étant tenu la veille, portant sur l'infliction d'une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, qu'il était dispensé de l'exercice de ses fonctions et que sa rémunération lui serait normalement maintenue dans l'attente qu'une décision soit prise à son égard, la SAS Armand Thierry aurait entendu se soustraire à l'obligation de reclassement à laquelle elle aurait été tenue dans l'hypothèse où la visite médicale de reprise aurait conclu à l'inaptitude de l'intéressé.
8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'engagement par la SAS Armand Thierry de la procédure disciplinaire à l'origine de la décision autorisant le licenciement de M. F..., qui repose sur le grief de non-respect par un directeur de magasin de procédures d'encaissement, de ventes aux collectivités et d'utilisation de bonifications personnelles, constituerait pour l'employeur une mesure de rétorsion après que l'intéressé a saisi, par lettre du 18 décembre 2014, le conseil de prud'hommes aux fins de voir annuler la sanction de mise à pied de trois jours qui lui a été infligée par décision du 17 octobre 2014 pour comportement inapproprié. Il y a lieu, dès lors, d'écarter le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail, qui n'était au demeurant pas tenu de faire mention dans sa décision de cette saisine de la juridiction prud'homale, aurait entaché cette décision d'une erreur d'appréciation en ne relevant pas que la procédure disciplinaire en cause procédait d'un détournement de pouvoir.
9. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.
10. Il y a lieu d'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal au point 14 du jugement attaqué le moyen tiré de ce que la décision de l'inspecteur du travail serait entachée d'une erreur dans la qualification des faits reprochés et celui tiré de ce que ces faits n'ont occasionné aucun préjudice pour la société.
11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la procédure de licenciement engagée à l'encontre de M. F..., qui repose ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus sur le grief de non-respect par un directeur de magasin de diverses procédures internes, serait en lien avec l'exercice de son mandat syndical, particulièrement avec le fait qu'il a assisté l'un des employés du magasin qu'il dirigeait dans le cadre de la procédure de licenciement engagée par la SAS Armand Thierry à l'encontre de ce salarié, ni que le climat social au sein de l'entreprise serait dégradé.
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement de M. F..., alors même qu'il assurerait seul la représentation des cadres de son secteur géographique comprenant quatre villes, priverait les salariés de la SAS Armand Thierry de toute représentation syndicale. Dès lors, le moyen tiré de ce que ce licenciement méconnaitrait l'intérêt général doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la SAS Armand Thierry, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que M. F... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. F... une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS Armand Thierry et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : M. F... versera à la SAS Armand Thierry une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F..., à la ministre du travail et à la SAS Armand Thierry.
Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président-assesseur,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique le 29 mars 2019.
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N° 18MA00868
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