Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 avril 2016 et le 21 avril 2016, M. et Mme C..., représentés par Me B..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 mars 2016 ;
2°) d'annuler les décisions préfectorales du 22 janvier 2016 et du 10 février 2016 ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de l'Aude de procéder effectivement à l'examen de la demande d'admission présentée par Mme C... au titre de l'asile, à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 10 février 2016 le temps que le préfet se prononce sur le recours gracieux qu'ils ont a formé ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à leur conseil en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que leur conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Ils soutiennent que :
- la compétence du signataire des décisions contestées n'est pas établie ;
- ces décisions sont insuffisamment motivées ;
- l'arrêté portant remise aux autorités tchèques est entaché d'un vice de procédure ;
- le préfet aurait dû faire application des clauses humanitaires du règlement Dublin III qui l'autorisent à examiner les demandes d'asile même si un autre Etat membre pourrait être compétent ;
- les décisions attaquées sont entachées d'erreur d'appréciation ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2016, le préfet de l'Aude conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que le courrier du 22 janvier 2016 n'est pas une décision faisant grief et, s'agissant de l'arrêté du 10 février 2016, qu'aucun des moyens n'est fondé.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coutier a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M. et Mme C..., ressortissants arméniens, relèvent appel du jugement du 10 mars 2016 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur leurs conclusions dirigées contre la décision du 22 janvier 2016 par laquelle le préfet de l'Aude aurait implicitement refusé de d'admettre au séjour Mme C... au titre de l'asile et a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 février 2016 par lequel cette même autorité a décidé la remise de l'intéressée aux autorités tchèques en vue de l'examen de sa demande d'asile ;
S'agissant de la lettre du 22 janvier 2016 :
2. Considérant que, par la lettre du 22 janvier 2016 adressée à Mme C..., le préfet de l'Aude s'est borné à informer l'intéressée que les autorités tchèques avaient donné leur accord pour sa réadmission sur le territoire de ce pays et l'a invitée à se présenter en préfecture pour se voir remettre l'arrêté de remise ; que cette invitation est, par elle-même, dépourvue de caractère contraignant ; qu'il suit de là que la lettre du 22 janvier 2016 ne peut être regardée comme une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que les conclusions de première instance présentées par Mme C... tendant à l'annulation de cette prétendue décision sont, par suite, irrecevables ;
S'agissant de l'arrêté du 10 février 2016 :
3. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté contesté a été signé par Mme Bernard, secrétaire générale de la préfecture de l'Aude, laquelle disposait d'une délégation de signature consentie par le préfet en date du 4 août 2015, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, à l'effet notamment de signer " tous arrêtés, décisions, circulaires relevant des attributions de l'Etat dans le département de l'Aude (...) ", à l'exception de certains actes, limitativement énumérées, au nombre desquelles ne figurent pas les actes tels que l'arrêté en litige ; que, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme C..., cette délégation n'avait pas à désigner précisément les décisions de remise aux autorités d'un pays membres de l'Union ; qu'il y a lieu, dès lors, d'écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet arrêté, qui manque en fait ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le préfet mentionne, dans l'arrêté attaqué, les textes applicables à la situation de Mme C..., particulièrement le règlement (UE) n° 604/2013, indique que les autorités Tchèques ont donné leur accord pour la reprise en charge de l'intéressée et fait état de l'examen qu'il a fait de la situation de la requérante au regard des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ledit arrêté est suffisamment motivé ;
5. Considérant, en troisième lieu, que Mme C..., ainsi qu'en attestent sa signature et les mentions manuscrites qui y ont été apposées, s'est vu remettre le 16 novembre 2015, jour du dépôt de sa demande d'asile à la préfecture de l'Hérault, deux guides du demandeur d'asile, comportant une brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et une brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", rédigées en langue arménienne ; que par suite, le moyen tiré de ce qu'elle n'aurait pas été informée par écrit dans une langue qu'elle comprend des conditions d'application du règlement dit " Dublin III " manque en fait et doit être écarté ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre ; que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre ; que selon le même règlement, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement ; que, toutefois, si le paragraphe 2 de cet article 17 prévoit qu'un Etat membre peut, même s'il n'est pas responsable en application des critères fixés par le règlement, " rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels ", la présence sur le territoire d'un Etat de l'Union des membres de la famille du demandeur n'est pas un critère prioritaire pour déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile et la faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile ;
7. Considérant que la seule invocation, par M. et Mme C..., des risques de maltraitance, voire de mort, que l'intéressée dit encourir en cas de retour en Arménie, très peu étayée, n'est pas de nature de nature à démontrer que le préfet de l'Aude, en n'exerçant pas la faculté laissée aux autorités françaises par les dispositions précitées d'examiner la demande de protection internationale présentée par l'intéressée, aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
8. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
9. Considérant que Mme C... a déclaré être entrée en France le 9 novembre 2015 ; que sa famille réside en Arménie ; qu'elle ne peut justifier ni d'une insertion particulière dans la société française, ni l'ancienneté et la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France ; que les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué, au regard des buts poursuivis par l'administration, porte au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ; que par suite, cet arrêté ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
10. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : /1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; /2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; /3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. /Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " ; que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;
11. Considérant que M. et Mme C... indiquent que celle-ci s'est enfuie de son pays pour se marier avec un autre homme que celui que la famille lui avait choisi et qu'en cas de retour en Arménie, elle est exposée à des risques de maltraitance, voire de mort ; que, toutefois, les requérants n'établissent aucunement dans la présente instance la réalité ces risques ; qu'en tout état de cause, l'arrêté attaqué n'a ni pour objet, ni pour effet, de reconduire l'intéressée dans son pays d'origine ; que par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande ; qu'il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter leurs conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., à M. C..., à Me B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222 26 du code de justice administrative,
- M. Chanon, premier conseiller,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 mars 2017.
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N° 16MA01505