Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 février 2015, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 16 janvier 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 septembre 2014 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans les trente jours de la notification de la décision à intervenir, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'allouer à son conseil une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'état d'avancement de sa grossesse ;
- c'est à tort que le tribunal a fait abstraction de son mariage, intervenu en 2009, pour se fonder sur une situation de concubinage ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle ne se prévalait d'aucune circonstance particulière faisant obstacle à ce que la vie familiale puisse se poursuivre en Tunisie alors qu'elle avait démontré que son mari vivait en France depuis 2004, qu'il y était détenteur d'une carte de résident et qu'il y occupait d'un emploi salarié ;
- les décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 juillet 2015.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Anne Menasseyre, première conseillère a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme C... épouseA..., de nationalité tunisienne, a sollicité, le 1er août 2014, son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale ; que par arrêté du 23 septembre suivant, le préfet des Alpes-Maritimes a refusé d'accéder à sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans les trente jours ; que Mme A... relève appel du jugement du 16 janvier 2015 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté ;
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
3. Considérant qu'en application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative saisie d'une demande de titre de séjour par un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise ; que la circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé ; que cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure statuant sur le droit au séjour, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A... a épousé, à l'âge de 23 ans, le 7 décembre 2009 à Oued Meliz, soit près de cinq ans avant l'arrêté contesté, un compatriote arrivé en France en 2004 et titulaire d'une carte de résident expirant alors en octobre 2015 ; que son époux a demandé le regroupement familial en sa faveur le 5 mai 2010 et s'est vu opposer un refus le 3 avril 2012, soit près de deux ans plus tard ; qu'un fils, âgé de dix-sept mois à la date du refus critiqué est né de cette union ; qu'il n'est pas contesté que Mme A... vit à Nice depuis décembre 2012 ; qu'elle a versé aux débats les bulletins de salaire démontrant l'exercice par son époux d'une activité salariée de maçon depuis le mois d'octobre 2013 ; qu'il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, Mme A..., enceinte du deuxième enfant du couple, né le 30 octobre 2014, était dans son huitième mois de grossesse ; que, dans ces conditions, compte tenu de la nature des liens familiaux de l'appelante en France, de la durée et des conditions de son séjour, et même si M. A... pourrait solliciter une nouvelle fois le bénéfice d'une mesure de regroupement familial en sa faveur, l'arrêté contesté a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et a, ainsi, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête et notamment sur la régularité du jugement attaqué, il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice, qui s'est d'ailleurs mépris sur sa situation matrimoniale, a rejeté sa demande ; que, par suite, le jugement et l'arrêté doivent être annulés ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la situation de Mme A... depuis l'intervention de l'arrêté du 23 septembre 2014 n'a pas évolué dans des conditions telles que sa demande de titre de séjour serait devenue sans objet ou que des circonstances postérieures à la date de cet arrêté permettraient désormais de fonder légalement une nouvelle décision de rejet ; que l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet des Alpes-Maritimes délivre à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ; que, dès lors, il y a lieu pour la Cour de prescrire au préfet de délivrer à l'intéressée, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, un tel titre de séjour ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " (...) Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. / Si l'avocat du bénéficiaire de l'aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat " ;
8. Considérant que Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, le versement à Me D..., son avocat, d'une somme de 1 500 euros ; que conformément aux dispositions précitées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée, le recouvrement en tout ou partie de cette somme vaudra renonciation à percevoir, à due concurrence, la part contributive de l'Etat ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 16 janvier 2015 et l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 29 septembre 2014 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3: L'Etat versera à Me D... la somme de 1 500 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Me D... renoncera, s'il recouvre cette somme, à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C...épouseA..., à Me D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nice.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2016, où siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Chanon, premier conseiller,
- Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 30 juin 2016.
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N° 15MA00735
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