Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés les 27 mai et 30 août 2019 et le 7 août 2020, la commune de Catllar, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) de rejeter le jugement du 28 mars 2019 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de rejeter la demande de Mme E... ;
3°) de condamner Mme E... à lui payer, à titre reconventionnel, la somme de 14 859 euros au titre des travaux de viabilisation réalisés par ses soins ;
4°) de mettre à la charge de Mme E... la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- Mme E... n'a pas formé de réclamation préalable tendant à lui verser une somme correspondante au coût de réfection du canal d'arrosage ;
- la demande indemnitaire de Mme E... est prescrite ;
- la demande de Mme E... tendant au versement de frais d'huissier qui a fait l'objet d'une décision explicite de rejet avec mention des voies et délais de recours est forclose, et ne pouvait pas être reprise dans la demande indemnitaire ;
- les conclusions aux fins d'injonction de réfection du canal sont irrecevables ;
- c'est à tort que le tribunal a regardé Mme E... comme un tiers à l'ouvrage d'aménagement des voies et réseaux, alors qu'elle justifie de la qualité d'usager de cet ouvrage ;
- il n'a pas été empiété sur le terrain de Mme E... et pas suite, le comblement du canal ne peut pas engager sa responsabilité ;
- c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable ses conclusions tendant à faire payer à Mme E... la participation pour voirie et réseaux d'un montant de 14 859 euros ;
- Mme E... n'a subi aucun préjudice moral ;
- la commune ne saurait être condamnée aux dépens.
Par trois mémoires en défense enregistrés le 1er août 2019 et les 22 juin et 29 juin 2020, Mme C... E..., représentée par Me D..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures, de rejeter la requête et de mettre à la charge de la commune de Catllar la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la commune de Catllar sont infondés et que la requête d'appel est irrecevable faute de justification d'une délibération, autorisant le maire à ester en justice.
Une ordonnance du 1er juillet 2020 a clos l'instruction au 30 septembre 2020 à
12 heures.
Un mémoire enregistré le 30 septembre 2020, présenté pour Mme E..., n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la commune de Catllar.
Une note en délibéré, présentée pour la commune de Catllar, a été enregistrée le
29 janvier 2021.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Catllar fait appel du jugement n° 1704458 du 28 mars 2019, par lequel le tribunal administratif de Montpellier l'a condamnée à verser la somme de 3 600 euros à Mme E..., a mis à sa charge les dépens pour une somme de 10 978,98 euros ainsi qu'une somme de 1 500 euros de frais de justice, et a rejeté le surplus de la requête de Mme E....
Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Catllar :
2. Premièrement, en vertu de l'article R. 421-1 du code de justice administrative alors en vigueur : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".
3. D'une part, dès lors que Mme E... n'a pas formé une réclamation préalable auprès de la commune de Catllar tendant à faire réaliser les travaux de réfection du canal d'arrosage, ses conclusions visant à enjoindre à cette commune de réaliser lesdits travaux présentées directement devant le tribunal sont, comme l'a justement dit celui-ci, irrecevables.
4. D'autre part, dès lors que Mme E... a demandé le 20 juin 2017 à la commune de Catllar de l'indemniser des dommages subis, alors même que le quantum des préjudices invoqués par l'intéressée a évolué entre sa réclamation préalable et la saisine du juge administratif, les conclusions portant sur le préjudice matériel lié à la perte du canal d'arrosage sont, comme l'ont dit les premiers juges, recevables.
5. Deuxièmement, il résulte du point 15 du jugement attaqué ainsi que de son dispositif, que les premiers juges n'ont pas mis à la charge de la commune de Catllar, les frais d'huissier de 1 010,08 euros réclamés par Mme E.... Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que cette somme n'a pas été demandée dans la réclamation préalable, est sans portée au présent litige. Par suite, elle doit être rejetée.
Sur la responsabilité de la commune de Catllar :
Sur la prescription quadriennale :
6. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis... ". En vertu de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : (...) tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force jugée ".
7. Il résulte de l'instruction que le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Perpignan a rendu une ordonnance du 20 décembre 2012 sur la saisine de Mme E... relative au litige l'opposant à la commune de Catllar s'agissant de l'empiètement de 33 m² sur sa propriété et de la démolition du canal d'arrosage. Par application du 2° de l'article 776 du code civil qui fixe le délai d'appel de cette décision à quinze jours, cette décision, passée en force jugée courant 2013, a ainsi interrompu la prescription pour quatre ans à compter de cette année. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la commune, au 20 septembre 2017, date à laquelle Mme E... a saisi le tribunal administratif d'une demande de condamnation de la commune de Catllar, la prescription n'était pas acquise. Il s'ensuit que la commune n'est pas fondée à soutenir que la créance de Mme E... est prescrite. Par voie de conséquence, sa fin de non-recevoir doit être rejetée.
Sur le principe de la responsabilité de la commune :
8. La responsabilité du maître d'un ouvrage public peut être engagée, même sans faute, à l'égard des demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage public. Les personnes mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir la preuve que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse être utilement invoqué le fait d'un tiers. La victime doit toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'elle allègue avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et lesdits préjudices, qui doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial.
9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la convention signée
le 12 décembre 2003 entre la commune de Catllar et Mme E... porte sur une participation pour voirie et réseaux pour une somme de 14 859 euros à raison de l'aménagement de la zone du Figuerals. Il s'agit d'une contribution, prévue par les articles L. 332-11-1 et L. 332-11-2 du code de l'urbanisme, alors applicables, et mise à la charge des riverains en vue de participer au financement des voies publiques. Or, les dommages dont Mme E... demande réparation ne sont pas liés à un préjudice né du versement de cette participation,
mais aux travaux nécessités par la viabilisation de la voie qui dessert sa parcelle.
Par ailleurs, Mme E... ne peut être regardée comme ayant participé à l'exécution des travaux litigieux en raison de sa qualité de signataire de cette convention. Dès lors, contrairement à ce que soutient la commune de Catllar, le litige ne porte pas sur l'exécution de cette convention mais sur des dommages de travaux publics, résultant des travaux entrepris par la commune et donc indépendants, à la suite de la réalisation de cette voie, à l'égard de laquelle Mme E... a la qualité de tiers et non d'usager.
10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 12 juin 2008, lequel n'est pas contesté de manière probante par la commune, que les travaux réalisés afin de permettre la viabilisation de la voie desservant des terrains riverains de la rue Cul de Sac de la Figuera dont fait partie le terrain non bâti de Mme E..., ont empiété sur sa propriété sur une surface de 33 m², surface déterminée par un géomètre-expert sapiteur de l'expert, à la suite d'un bornage contradictoire. Par ailleurs, l'expert indique que le rec d'arrosage longeant la propriété de Mme E..., d'une largeur de 80 cm et d'une profondeur de 40 cm, constituait en son milieu, la limite mitoyenne entre cette dernière et la propriété communale et a été recouvert par l'enrobé de la voie sur une largeur de 4 mètres tout le long de la rue au droit de la clôture du terrain de l'intéressée, ce canal ayant pour fonction de faire cheminer les eaux d'arrosage et de servir à l'évacuation des eaux pluviales. Il ajoute, sans avoir été sérieusement contesté, que cette branche secondaire du ruisseau " Rec del dalt ", perpendiculaire au fossé longeant la RD 25 étant comblée, les eaux sont susceptibles de provoquer des ravines vers le terrain de Mme E.... Il résulte ce qui vient d'être dit que les dommages subis par la parcelle de Mme E..., qui comme il l'a été dit, a la qualité de tiers par rapport à l'opération de travaux publics, affectent spécialement sa propriété et présentent un caractère anormal.
Sur les préjudices :
11. En l'absence d'extinction du droit de propriété, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité moindre d'immobilisation, réparant le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l'intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.
12. D'une part, s'il résulte de l'instruction que l'empiètement précité d'une surface de 33 m² est situé à l'extérieur de la clôture de Mme E... et que cette partie est inexploitable, cette dernière subit néanmoins un préjudice de jouissance. Par suite, la commune de Catllar n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a accordé à Mme E... une indemnité de 1 000 euros à ce titre.
13. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'en raison de la suppression du canal, les eaux d'arrosage et les eaux pluviales ne s'écoulent plus en aval de la route départementale. Ce préjudice a été justement évalué par les premiers juges à la somme de 2 600 euros qui correspond à un devis actualisé fourni par Mme E... pour la mise en place de 12 mètres linéaires de canal. Il s'ensuit que la commune de Catllar n'est pas fondée à demander la suppression de ce chef de préjudice.
Sur la demande reconventionnelle de la commune de Catllar tendant au paiement de la somme de 14 859 euros :
14. Si la commune de Catllar demande, à titre reconventionnel, que Mme E... lui verse la somme de 14 859 euros au titre des travaux de viabilisation qu'elle a réalisés en application de la convention du 12 décembre 2003, cette demande qui se rattache à l'exécution de cette convention n'est pas liée au présent litige de travaux publics, et alors que la commune dispose du pouvoir de prendre elle-même la mesure demandée au juge par l'émission d'un titre exécutoire. Par suite, ces conclusions sont irrecevables et doivent être rejetées comme telles.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de
non- recevoir opposée en défense, que la commune de Catllar n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué et à soutenir que c'est à tort qu'elle a été condamnée à verser à Mme E... les sommes mises à sa charge de 3 600 euros au titre des préjudices subis et de 10 978,98 euros, au titre des dépens.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme E... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Catllar la somme de 2 000 euros à verser à
Mme E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Catllar est rejetée.
Article 2 : La commune de Catllar versera une somme de 2 000 euros à Mme E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et à la commune de Catllar.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
N° 19MA02406 2