Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 26 juin 2018, Mme A...E..., représentée par la SCP Dessalces, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 février 2018 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour sans délai à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à défaut, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois sous peine de la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier comme entaché d'une insuffisance de motivation ;
- l'administration aurait dû soumettre son cas à la commission du titre de séjour dès lors qu'il justifie de plus de dix ans de résidence habituelle en France ;
- la décision méconnaît son droit au respect de sa vie familiale et privée ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2018, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête sont infondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. d'Izarn de Villefort pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coutel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante marocaine née en 1964 à Tinghir au Maroc, serait, d'après ses déclarations, entrée en France en 2004. Elle a fait l'objet d'une décision de refus de séjour assortie d'une invitation à quitter le territoire le 8 mars 2005. Une nouvelle décision de refus de séjour a été prise à son égard le 16 avril 2013. Par un arrêté du 24 mars 2014, le préfet de l'Hérault a de nouveau refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Un jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 16 septembre 2014 et un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 1er avril 2016 ont confirmé la légalité de cette dernière décision. L'intéressée a ensuite fait l'objet d'un nouveau refus de séjour du préfet du Val d'Oise en date du 9 mars 2016, assorti d'une obligation de quitter le territoire français. Cette ressortissante étrangère s'est mariée à Montpellier le 14 novembre 2017 avec M. E..., ressortissant marocain titulaire d'une carte de résident en cours de validité. Mme E... a alors déposé auprès des services de la préfecture de l'Hérault, le 30 janvier 2018, une demande d'admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par un arrêté du 12 février 2018, le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. Par jugement en date du 14 juin 2018 dont l'intéressée interjette appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. L'administration n'est tenue de saisir la commission du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions pour obtenir un titre de séjour de plein droit, notamment en application de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions. En revanche, pour l'application de l'article L. 313-14 du code précité, l'administration est tenue de saisir la commission du titre de séjour dès lors que l'étranger justifie d'une résidence habituelle de dix ans au moins à la date de la décision attaquée.
3. Il ressort des visas et des motifs de la décision de refus de séjour en litige que Mme E... doit être regardée comme ayant sollicité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Toutefois, les premiers juges, s'ils ont écarté le moyen tiré du défaut de saisine de la commission du titre de séjour au regard de la circonstance que la requérante ne pouvait prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour, n'ont pas répondu au moyen tiré du défaut de consultation de cette commission, en application du deuxième alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Le jugement attaqué, qui a omis de répondre à un moyen qui n'était pas inopérant, est irrégulier. Il y a lieu par suite de l'annuler et de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande de Mme E... devant le tribunal administratif de Montpellier.
Sur le refus de séjour :
5. L'arrêté contesté du 12 février 2018 est signé par M. B... C..., sous-préfet, secrétaire général de la préfecture de l'Hérault. Par arrêté n° 2017-I-1318 du 17 novembre 2017, publié au recueil des actes administratifs de l'État, le préfet de l'Hérault a accordé une délégation de signature à M. B... C..., à l'effet de signer " tous les actes administratifs et correspondances relatifs au séjour et à la police des étrangers ". Cette délégation donnait dès lors compétence à M. C... pour signer l'arrêté en litige. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait l'acte d'un fonctionnaire sans qualité pour la signer doit être écarté.
6. Si Mme E... soutient qu'elle réside habituellement sur le territoire depuis l'année 2005, toutefois, elle ne produit que quelques pièces pour l'année 2005 dont la nature et le caractère ponctuel et épars ne traduit pas une résidence habituelle. L'intéressée ne verse aucun commencement de preuve pour l'année 2007 et les deux pièces pour l'année 2008 ne sauraient, compte tenu également de leur caractère purement ponctuel, établir davantage un séjour habituel entre leur date d'émission et pour l'année 2008 jusqu'au mois de juillet 2009. Par suite, Mme E..., qui n'est pas fondée à soutenir qu'elle justifie d'une résidence habituelle de dix ans au moins à la date de la décision attaquée, n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues en ce que l'administration n'aurait pas consulté la commission du titre de séjour.
7. Aux termes de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit (...) à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) " ;
8. Dès lors que Mme E..., mariée à un ressortissant marocain titulaire d'une carte de résident en cours de validité, relève de la catégorie des étrangers qui peuvent prétendre au bénéfice de la procédure de regroupement familial, elle ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Compte tenu notamment de ce qui a été dit au point 6 et des conditions de séjour de Mme E... qui ne justifie pas d'une insertion particulière dans la société durant la période dont elle se prévaut, la circonstance qu'elle s'est mariée le 14 novembre 2017 à l'âge de 53 ans avec un compatriote titulaire d'une carte de résident, n'est pas davantage de nature à ce que l'intéressée soit regardée comme ayant transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux en France. Par suite, la décision en litige, qui n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation, n'est pas davantage constitutive d'une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de Mme E.... Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. Eu égard à ce qui vient d'être dit aux points précédents, le moyen tiré par voie d'exception de l'illégalité du refus de séjour à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9, l'obligation faite à Mme E... de quitter le territoire français n'est pas intervenue en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté attaqué doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée, n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite les conclusions à fin d'injonction de la requête doivent être rejetées.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme qu'il réclame au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 14 juin 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme E... devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... épouse E..., au ministre de l'intérieur et à la SCP Dessalces.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2019, où siégeaient :
- M. d'Izarn de Villefort, président,
- M. Jorda, premier conseiller,
- M. Coutel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 janvier 2019.
N° 18MA03062 5