Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 août 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 30 avril 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2018 du préfet de l'Hérault ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour comportant la mention " vie privée et familiale " sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande dans un délai de deux mois sous peine de la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au bénéfice de Me C... en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, cette demande emportant renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- l'examen de sa demande d'autorisation de travail est entaché de défaut d'examen particulier et d'erreur sur l'appréciation de la régularité de séjour pour l'application de l'article R. 5221-14 du code du travail ;
- les décisions de refus de titre de séjour et portant obligation de quitter le territoire sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaissent tant les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le préfet de l'Hérault n'a pas procédé à un examen réel et complet de sa situation dans son pays d'origine et la décision fixant le pays de destination est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il a exposé les risques encourus dans son pays d'origine ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2019, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendus au cours de l'audience publique le rapport de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 15 novembre 2018, le préfet de l'Hérault a rejeté la demande de titre de séjour que lui avait présentée le 19 juin précédent M. D..., ressortissant russe, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. D... fait appel du jugement du 30 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du15 novembre 2018 :
En ce qui concerne les moyens communs au refus de séjour et à l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : (...) 2° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée ou dans les cas prévus aux article L. 1261-1 et L. 1262-2 du même code, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 dudit code. (...) Elle porte la mention " travailleur temporaire " (...) ". Aux termes de l'article L. 313-2 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle mentionnée aux articles L. 313-20, L. 313-21, L. 313-23 et L. 313-24 sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1. (...) ". L'article L. 311-5 du même code dispose que : " La délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, d'un récépissé de demande de titre de séjour (...) n'a pas pour effet de régulariser les conditions de l'entrée en France, sauf s'il s'agit d'un étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire en application du livre VII. ".
3. Il est constant que le requérant s'est vu délivrer un récépissé de demande de titre de séjour. Toutefois, ce document n'a pas eu pour effet de régulariser les conditions de son entrée en France. En l'absence de production d'un visa de long séjour et dès lors que l'intéressé était entré en France de façon irrégulière, le préfet qui a procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé avant d'adopter les mesures contestées a pu, sans commettre d'erreur de droit, rejeter la demande de M. D... pour obtenir la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ", au seul motif que celui-ci ne présentait pas un visa de long séjour, sans examiner sa demande d'autorisation de travail.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. ".
5. La demande présentée par un étranger sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas à être instruite dans les règles fixées par le code du travail relativement à la délivrance de l'autorisation de travail mentionnée à son article L. 5221-2. Il suit de là que le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet devait examiner sa demande d'autorisation de travail.
6. En deuxième lieu, la circonstance que M. D... soit titulaire d'une promesse d'embauche dans le cadre d'un contrat à durée déterminée pour un poste d'homme de toute main ne constitue pas un motif exceptionnel au sens et pour l'application de l'article L. 313-14 précité.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " et aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : ... 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". L'article R. 313-21 du même code dispose : " Pour l'application du 7º de l'article L. 313-11, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de la vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine. ". Par ailleurs, il appartient au préfet, saisi d'une demande de titre de séjour par un étranger en vue de régulariser sa situation, de vérifier que la décision de refus qu'il envisage de prendre ne comporte pas de conséquences d'une gravité exceptionnelle sur la situation personnelle de l'intéressé et n'est pas ainsi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
8. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. D... n'était entré sur le sol français que depuis trois ans à la date de l'arrêté en litige et que son épouse est également en situation irrégulière sur le sol national. Par ailleurs, l'intéressé ne justifie pas d'une insertion socio-économique dans la société française. Les circonstances que le couple dispose d'un bail pour l'appartement qu'ils occupent, que leurs enfants sont scolarisés, que son épouse est enceinte de leur quatrième enfant et que le requérant bénéficie d'une promesse d'embauche ne suffisent pas à conférer au requérant un droit automatique au séjour. En outre, le droit à une vie privée et familiale ne saurait s'interpréter comme comportant pour un État contractant l'obligation générale de respecter le choix par des couples mariés de fixer leur domicile commun sur son territoire. En l'espèce, M. D... n'invoque aucun élément faisant obstacle à ce que sa vie privée et familiale se poursuive hors de France. Enfin, si les parents et le frère de M. D... résident régulièrement en France, il n'est pas établi que son père, qui a des problèmes de santé, et son frère gravement handicapé ne pourraient recevoir l'aide nécessaire par un autre membre de leur famille et notamment la mère de l'intéressé. Dans ces conditions, le préfet de l'Hérault, en prenant les décisions contestées, n'a, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, pas porté une atteinte au respect de sa vie privée et familiale disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont a été prises, et n'a, par suite, méconnu ni les dispositions précitées de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas entaché lesdites décisions d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
9. En dernier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces dispositions, qui peuvent utilement être invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les enfants du requérant, nés respectivement en 2002, 2009 et 2014 ne pourraient pas suivre en Russie, pays dont ils ont la nationalité, une scolarité normale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Ces dispositions font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.
12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Hérault a procédé à un examen particulier de la situation de M. D... avant le fixer le pays à destination duquel il pourra être éloigné.
13. En second lieu, si le requérant, dont la demande d'asile a d'ailleurs été rejetée le 16 juin 2011 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA),décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 23 mai 2012, soutient qu'il a été victime de violences dans son pays d'origine du fait de ses origines juives et fait l'objet d'une procédure criminelle, les pièces qu'il produit sont insuffisantes pour établir la réalité de ses allégations et ainsi les risques qu'il encourrait en cas de retour en Russie. Ainsi, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet de l'Hérault a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2018. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., au ministre de l'intérieur et à Me C....
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2020, où siégeaient :
- M. Chazan, président,
- Mme A..., président assesseur,
- M. B..., première conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2020.
N° 19MA04126 6