Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n°19NC02989 le 18 octobre 2019, M. A... B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 septembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aube du 15 mai 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir.
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me C... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la décision de refus de séjour :
- cette décision est insuffisamment motivée au regard des dispositions des articles L211-2 et L211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2020, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 15 juin 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 9 juillet 2020.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 11 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant albanais né le 22 novembre 2000, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 13 février 2017, selon ses déclarations. Il a été, en sa qualité de mineur non accompagné, pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance le 20 février suivant. Il a sollicité le 14 septembre 2018 la délivrance d'un titre de séjour, sur le fondement de l'article L. 313 -15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de l'Aube a, par un arrêté du 15 mai 2019, refusé de lui délivrer le titre sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. B... fait appel du jugement du 20 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
3. La décision du préfet de l'Aube refusant à M. B... la délivrance d'un titre de séjour mentionne les textes dont elle fait application, notamment l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise que l'intéressé a été pris en charge après l'âge de seize ans par le service de l'aide sociale à l'enfance le 20 février 2017, en sa qualité de mineur non accompagné, et qu'il a sollicité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle relève également que M. B... a été scolarisé au lycée Edouard Herriot en première année de préparation à un CAP dans le domaine de la cuisine, que ses éducateurs ont constaté un manque d'investissement et de sérieux, ainsi que de grandes difficultés liées à l'incompréhension de la langue française, et que l'intéressé n'établit pas qu'il n'a plus de contacts avec sa famille en Albanie. Elle indique au surplus que la décision prise à son encontre ne contrevient pas aux stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que M. B... ne relève d'aucun des cas prévus par l'article L. 311-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle comporte, dès lors, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
4. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Aube n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de M. B... avant d'opposer un refus à sa demande de délivrance d'un son titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le moyen tiré de ce que préfet n'aurait pas procédé à un tel examen doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. "
6. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de "salarié" ou "travailleur temporaire", présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance le 20 février 2017, soit entre l'âge de seize et l'âge de dix-huit ans, par une ordonnance du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Troyes, et qu'à la date de la décision contestée, il suivait depuis plus de six mois une formation en vue d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) dans le domaine de la cuisine. Pour refuser de l'admettre à titre exceptionnel au séjour, le préfet de l'Aube s'est fondé sur la circonstance que les éducateurs de l'intéressé avaient constaté un manque d'investissement et de sérieux, ainsi que de grandes difficultés liées à l'incompréhension de la langue française, et que M. B... n'établissait pas qu'il n'avait plus de contacts avec sa famille en Albanie.
8. Si M. B... soutient qu'il justifie du caractère réel et sérieux de ses études, il ressort des pièces du dossier que ses enseignants font état de grandes difficultés, de résultats globalement très insuffisants, ainsi que de nombreuses heures d'absences injustifiées, le professeur de communication mentionnant ainsi : " Pas vu ce semestre ", et le professeur de physique-chimie indiquant que l'intéressé avait été absent pour les trois évaluations. En outre, le requérant n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où vivent notamment son père et sa mère, ou qu'il n'aurait plus de liens avec eux. Enfin, le requérant ne saurait utilement se prévaloir de la méconnaissance des orientations figurant dans les circulaires du ministre de l'intérieur des 28 novembre 2012 et 25 janvier 2016 relatives aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, qui sont dépourvues de valeur réglementaire. Dans ces conditions, en refusant de l'admettre au séjour, le préfet de l'Aube n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, nonobstant la circonstance que l'intéressé suit des cours de soutien en français au sein du CFA.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré seul en France le 13 février 2017, alors qu'il était encore mineur. Il ne résidait ainsi sur le territoire français que depuis deux ans à la date de la décision préfectorale contestée. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à son arrivée récente en France et où résident notamment ses deux parents. Dans ces conditions et nonobstant sa scolarisation en France, M. B..., célibataire et sans enfant, n'établit pas l'existence de liens personnels ou familiaux en France d'une ancienneté et d'une stabilité telles que le refus de titre de séjour litigieux porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
11. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) "
12. Il ressort des pièces du dossier que M. B... n'a pas sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le préfet n'a pas statué au regard de ces dispositions. Dès lors, le requérant ne peut utilement se prévaloir de cet article. Au surplus, s'il soutient qu'il avait droit à une régularisation de sa situation par l'octroi d'une autorisation de séjour à titre humanitaire sur le fondement de ces dispositions, il ne se prévaut d'aucune circonstance susceptible de constituer des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels au sens des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le préfet de l'Aube, qui n'était pas tenu de convoquer l'intéressé, n'a en tout état de cause pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant son admission exceptionnelle au séjour. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
13. En sixième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 8 et 10 du présent arrêt, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard du pouvoir de régularisation du préfet.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soulever, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision refusant de lui accorder un titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'obligeant à quitter le territoire.
15. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 10 du présent arrêt que le moyen tiré de ce que la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à annuler l'arrêté du préfet de l'Aube du 15 mai 2019. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Aube de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir doivent être rejetées par voie de conséquence.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
18. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de M. B... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.
2
N° 19NC02989