Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 20NC00160 le 20 janvier 2020, Mme A... représentée par Me D... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 décembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision n° DCL/88-2019-IR-DDV-17 du 11 septembre 2019 par lesquelles le préfet des Vosges lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an ;
3°) d'enjoindre au préfet des Vosges de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours suivant la notification du jugement à intervenir et de supprimer l'inscription et le signalement dans le système d'information Schengen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- aucune mesure d'interdiction de retour sur le territoire français ne pouvait être édictée avant que sa demande de titre de séjour pour raisons de santé n'ait été examinée ;
- la non communication de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ne permet pas de s'assurer que la procédure de consultation médicale a été respectée ;
- les premiers juges ne répondent pas au moyen tiré de ce qu'une mesure d'éloignement ne peut être édictée, et a fortiori être exécutée, lorsque l'état de santé de l'étranger résident habituellement en France nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, au sens du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'interdiction de retour est insuffisamment motivée et méconnait l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le tribunal n'a pas répondu à ce moyen ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée ;
- l'interdiction de retour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le tribunal n'a pas répondu à ce moyen ;
- l'interdiction de retour méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2020, le préfet des Vosges conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 14 mai 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Goujon-Fischer premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante albanaise, est entrée en France le 1er février 2018 en compagnie de son époux et de leur enfant mineur. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 17 avril 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 21 septembre 2018. Par un arrêté du 19 octobre 2018, dont le tribunal administratif de Nancy a confirmé la légalité par un jugement du 26 décembre 2018, le préfet des Vosges lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé son pays de renvoi. Le 9 avril 2019, elle a sollicité le bénéfice du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en faisant valoir son état de santé. Par une décision du 11 septembre 2019, prise sur avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le préfet des Vosges a rejeté sa demande et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Mme A... relève appel du jugement du 19 décembre 2019, par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Au point 11 du jugement attaqué, les premiers juges ont indiqué que le courrier de Mme A... du 9 avril 2019 ne constituait pas une demande de titre de séjour mais une demande de protection contre l'éloignement prévue par le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que la circonstance que le préfet ait informée l'intéressée de la suite réservée à cette demande était sans influence sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français. Au point 12 du jugement, le tribunal a en outre écarté le moyen tiré de ce que cette décision méconnaissait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait omis de répondre à ces moyens.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, en se bornant à soutenir que la non communication de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne lui a pas permis de s'assurer de la régularité de la procédure de consultation de ce collège, sans préciser sur quels points cette procédure aurait été irrégulière, Mme A... ne met pas la cour en mesure d'apprécier le bien-fondé du moyen qu'elle invoque.
4. En deuxième lieu, si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
5. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts.
6. Enfin, selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.
7. Il ressort des pièces du dossier que la décision faisant interdiction de retour sur le territoire français à Mme A... a été prise à la suite du courrier du 9 avril 2019 dans lequel celle-ci a sollicité le bénéfice de la protection prévue par le 10° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en faisant valoir son état de santé et de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Ainsi, Mme A... n'ayant pas été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents susceptible d'influer sur le contenu de la décision, elle n'est pas fondée à se prévaloir d'une atteinte à son droit d'être entendue.
8. En troisième lieu, par son courrier du 9 avril 2019, Mme A... a sollicité le bénéfice des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vertu desquelles ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français l'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Ce courrier n'a pas eu pour effet de saisir le préfet d'une demande de titre de séjour. Par suite, le moyen tiré par Mme A... de ce qu'aucune mesure d'interdiction de retour sur le territoire français ne pouvait être édictée avant l'examen de sa demande de titre de séjour ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France en 2018 à l'âge de 21 ans, en compagnie de son époux et de leur enfant mineur. Elle n'établit ni même n'allègue que son époux bénéficierait d'un droit au séjour en France. Rien ne fait obstacle à ce que la vie familiale se poursuive dans le pays d'origine de M. et Mme A... et à ce que leur fils y continue sa scolarité. Dès lors, compte tenu des circonstances de l'espèce, notamment de la durée et des conditions du séjour en France de l'intéressée, il ne ressort pas des pièces dossier que l'interdiction de retour sur le territoire français porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été décidée. Par suite, elle n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette décision, qui n'a pour effet ni de séparer la famille, ni de faire obstacle à la poursuite de la scolarité du fils de la requérante, ne méconnait pas l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
10. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, dans son avis du 2 septembre 2019, que si l'état de santé de Mme A... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle pouvait en revanche bénéficier effectivement dans son pays d'origine d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans ce pays. Mme A... produit le certificat médical d'un médecin psychiatre indiquant qu'elle fait l'objet d'un suivi spécialisé et que son état de santé ne lui permet pas de s'occuper seule de son fils et exige l'aide et la présence de son mari. Toutefois, ni ce certificat, ni aucune autre pièce versée au dossier ne permet de remettre en cause les conclusions du collège de médecins quant à l'existence dans le pays d'origine de Mme A... d'un traitement approprié à son état de la santé et, comme il a été dit ci-dessus, la requérante n'établit ni même n'allègue que son époux demeurerait légalement en France. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, le préfet des Vosges l'exposerait à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A....
Sur les frais liés à l'instance :
13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
14. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au conseil de Mme A... d'une somme au titre des frais exposés pour l'instance et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Adela B... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
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N° 20NC00160