Procédure devant la cour :
I- Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02987 le 7 novembre 2018, complétée par des mémoires enregistrés les 29 avril et 9 septembre 2019, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 octobre 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 28 mai 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " et, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de l'arrêté pris dans son ensemble :
- il a été signé par une autorité incompétente ;
S'agissant de la décision de refus de séjour :
- la procédure d'instruction de la demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade est irrégulière ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée, car stéréotypée ;
- le préfet a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est fondée à solliciter l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire en soulevant, par voie d'exception, l'illégalité du refus de titre de séjour ;
S'agissant de la décision fixant un délai de départ volontaire :
- elle est insuffisamment motivée, car elle n'explicite pas les motifs qui font penser que l'intéressée pourrait se soustraire à la décision l'obligeant à quitter le territoire ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant un délai de départ volontaire ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- l'illégalité du refus de séjour, de l'obligation de quitter le territoire et de la décision fixant un délai de départ volontaire entâche d'illégalité la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;
- cette décision est insuffisamment motivée, car elle ne fait pas état de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France ;
- le préfet n'ayant pas pris en compte l'ensemble des critères à examiner, l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ;
- cette décision est entachée d'erreur de fait en ce qu'elle fait état de quatre mesures d'éloignement, alors qu'il n'y en a eu que trois, dont l'une a été annulée ;
- l'interdiction de retour en France pendant deux ans est manifestement disproportionnée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce elle ne constitue pas une menace pour l'ordre public et que son état de santé s'oppose à une telle mesure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2019, complété par un mémoire enregistré le 12 juillet 2019, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Le préfet du Haut-Rhin fait valoir que :
- la requête est irrecevable, car elle ne comporte pas une critique du jugement attaqué ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
II- Par une requête enregistrée sous le n° 19NC01417 le 13 mai 2019, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 octobre 2018 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;
- sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 28 mai 2018 comporte des moyens sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2019, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Le préfet du Haut-Rhin fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme A..., née B..., a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 27 juin 2019.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Favret, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... née B..., ressortissante kosovare née en 1974, est entrée irrégulièrement en France le 25 janvier 2013 selon ses déclarations, pour y solliciter l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides ayant rejeté sa demande d'asile le 27 janvier 2015, elle a demandé son admission au séjour en raison de son état de santé. Par un arrêté du 4 avril 2017, le préfet du Haut-Rhin a rejeté sa demande et l'a obligée à quitter le territoire français. Par un jugement du 20 juillet 2017, devenu définitif, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet du Haut-Rhin de réexaminer la situation de l'intéressée. Par un arrêté du 28 mai 2018, le préfet du Haut-Rhin a de nouveau refusé d'admettre Mme A... au séjour en qualité d'étrangère malade, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour en France d'une durée de deux ans. Mme A... fait appel du jugement du 2 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et elle demande également qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête ...contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. Contrairement à ce que soutient le préfet du Haut-Rhin, la requête d'appel ne se borne pas à reproduire textuellement les moyens soulevés en première instance, mais comporte également une critique du jugement attaqué. Elle n'est donc pas irrecevable.
Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :
4. Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...). ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. Le médecin de l'office peut solliciter, le cas échéant, le médecin qui suit habituellement le demandeur ou le médecin praticien hospitalier. Il en informe le demandeur. Il peut également convoquer le demandeur pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Le demandeur présente au service médical de l'office les documents justifiant de son identité. A défaut de réponse dans le délai de quinze jours, ou si le demandeur ne se présente pas à la convocation qui lui a été fixée, ou s'il n'a pas présenté les documents justifiant de son identité le médecin de l'office établit son rapport au vu des éléments dont il dispose et y indique que le demandeur n'a pas répondu à sa convocation ou n'a pas justifié de son identité. Il transmet son rapport médical au collège de médecins./ Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. En cas de défaut de présentation de l'étranger lorsqu'il a été convoqué par le médecin de l'office ou de présentation des examens complémentaires demandés dans les conditions prévues au premier alinéa, il en informe également le préfet ; dans ce cas le récépissé prévu à l'article R. 311-4 n'est pas délivré. / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. / Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. / Le collège peut demander au médecin qui suit habituellement le demandeur, au médecin praticien hospitalier ou au médecin qui a rédigé le rapport de lui communiquer, dans un délai de quinze jours, tout complément d'information. Le demandeur en est simultanément informé. Le collège de médecins peut entendre et, le cas échéant, examiner le demandeur et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Le demandeur présente au service médical de l'office les documents justifiant de son identité. Il peut être assisté d'un interprète et d'un médecin. Lorsque l'étranger est mineur, il est accompagné de son représentant légal. (...) ".
5. Les dispositions précitées ne prévoient expressément la possibilité pour l'étranger de se faire assister par un interprète que lorsqu'il est convoqué par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Toutefois, eu égard à la portée du rapport médical au vu duquel le collège doit émettre son avis sur l'état de santé de l'étranger, ce dernier, lorsqu'il est convoqué, pour examen, devant le médecin de l'office chargé de la rédaction de ce rapport ne peut être privé de la possibilité, s'il le souhaite, de se faire accompagner, à ses frais, d'un interprète dès lors que l'organisation même d'un tel examen peut conduire le collège à se dispenser d'y procéder également, et qu'en outre, il suppose un degré de compréhension suffisante entre le praticien et le patient, à plus forte raison lorsque, comme en l'espèce, ce dernier est affecté d'une pathologie de nature psychiatrique.
6. Il n'est pas contesté que Mme A..., qui était convoquée le 23 octobre 2017 pour un examen clinique devant le médecin de l'OFII, s'est présentée à cet examen accompagnée d'un interprète assermenté ainsi que de sa fille, qui l'accompagne dans tous les actes de la vie quotidienne, mais que ce praticien, pourtant informé de son insuffisante pratique de la langue française, a catégoriquement refusé que l'entretien se déroule en présence de l'une ou l'autre de ces personnes, alors même que cette demande impliquait nécessairement que l'intéressée acceptait de lever, à l'égard de ces dernières, le secret médical la concernant. Dans ces conditions, eu égard en outre à la pathologie psychiatrique au titre de laquelle l'intéressée a présenté sa demande de titre de séjour, la procédure ayant conduit à l'élaboration du rapport du médecin de l'OFII et, par suite, à l'émission, le 28 février 2018, de l'avis du collège de médecins doit être regardée comme entachée d'une irrégularité qui, eu égard à la garantie dont elle a été ainsi privée, est de nature à justifier l'annulation du refus de titre de séjour qui lui a été opposé par l'arrêté du 28 mai 2018, ainsi que, par voie de conséquence, celle des décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A..., est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 28 mai 2018.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par Mme A..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur la demande de sursis à exécution du jugement :
10. La cour s'étant prononcée sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution du jugement sont devenues sans objet.
Sur les frais liés aux instances :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 19NC01417 de Mme A..., née B....
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 octobre 2018 et l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 28 mai 2018 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Haut-Rhin de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par Mme A..., née B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A..., née B... la somme de 1 500 euros en application des dispositions des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., née B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 18NC02987,19NC01417