Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 19NC03338 le 19 novembre 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 16 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 mai 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
s'agissant du refus de séjour :
- le préfet du Bas-Rhin a méconnu les dispositions de l'article L. 311-12 et du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il méconnaît aussi l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi:
- ces décisions illégales, en ce qu'elles sont fondées sur un refus de séjour lui-même illégal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2020, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 19NC03339 le 19 novembre 2019, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 16 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 mai 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
s'agissant du refus de séjour :
- le préfet du Bas-Rhin a méconnu les dispositions de l'article L. 311-12 et du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il méconnaît aussi l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi:
- ces décisions illégales, en ce qu'elles sont fondées sur un refus de séjour lui-même illégal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2020, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
M. et Mme A... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décisions en date du 11 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Goujon-Fischer premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants kosovars, sont entrés en France, selon leurs déclarations, le 13 juillet 2017, accompagnés de leurs deux enfants mineurs, en vue d'y solliciter l'asile. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides des 26 novembre et 3 décembre 2018, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 8 avril 2019. Le 13 juillet 2018, ils ont sollicité du préfet du Bas-Rhin la délivrance d'autorisations provisoires de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en faisant valoir l'état de santé de leurs enfants. Par deux arrêtés du 28 mai 2019, le préfet a refusé de faire droit à leurs demandes, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé leur pays de renvoi. Par deux requêtes, n° 19NC03338 et 19NC03339, qu'il y a lieu de joindre, M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 16 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité des arrêtés du 28 mai 2019 :
En ce qui concerne le refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11 (...) ". Aux termes de l'article L. 313-11, auquel renvoie ces dispositions : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
3. Il ressort des avis émis les 26 novembre et 3 décembre 2018 que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé des deux enfants de M. et Mme A..., B... et Erdon, nés respectivement le 24 janvier 2005 et le 14 janvier 2010, nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner pour eux des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'ils étaient en mesure de bénéficier d'un traitement approprié au Kosovo eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans ce pays. Les requérants produisent à l'instance quatre certificats médicaux datés des 10 avril 2018, 30 août, 22 et 23 octobre 2019 dont il ressort que leurs deux enfants sont atteints d'une encéphalopathie progressive avec un syndrome cérébelleux, associée à une rétinopathie avec baisse de l'acuité visuelle vespérale et une épilepsie myoclonique sévère et pharmacorésistante, l'enfant B... présentant en outre des troubles du rythme cardiaque. Il ressort des mêmes certificats que cette pathologie neurodégénérative, en voie d'aggravation rapide, est de nature à causer une perte progressive d'autonomie dans les gestes de la vie quotidienne et nécessite, outre un traitement médicamenteux, l'aide permanente d'une tierce personne, le recours à des aides à la marche et à un fauteuil roulant, un traitement neurologique complexe devant être régulièrement adapté, un suivi psychiatrique, une prise en charge de kinésithérapie et un soutien orthophonique, que l'enfant B... a besoin d'une coque pour soutenir sa colonne et enfin qu'une scolarisation en centre adapté pluriprofessionnel est recommandée pour les deux enfants.
4. Si le préfet a produit le registre des médicaments disponibles au Kosovo, indiquant que les principes actifs des médicaments administrés aux enfants de M. et Mme A... y sont disponibles, les intéressés produisent quant à eux les rapports d'organisations non gouvernementales d'aide aux réfugiés dont il ressort, au regard des structures de santé présentes au Kosovo, que les enfants des requérants ne pourront y bénéficier d'un accès effectif et régulier aux autres soins particulièrement lourds qu'appellent leurs pathologies et leur évolution rapide. A cet égard, le préfet n'apporte aucun élément précis quant à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans ce pays, de nature à établir que les enfants des requérants pourront effectivement bénéficier des soins nécessaires. Par suite, en refusant de faire droit à la demande d'autorisations provisoires de séjour de M. et Mme A..., le préfet du Bas-Rhin a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes. Il y a lieu, dès lors, d'annuler ce jugement ainsi que les arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 28 mai 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit fait droit aux demandes de M. et Mme A... tendant à la délivrance d'autorisations provisoires de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
8. M. et Mme A... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D..., conseil de M. et Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante à l'instance, le versement à cet avocat d'une somme de 1 000 euros pour chacun des requérants.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905848, 1905849 du 16 octobre 2019 du tribunal administratif de Strasbourg et les arrêtés du 28 mai 2019 par lesquels le préfet du Bas-Rhin a refusé de délivrer à M. et Mme A... des autorisations provisoires de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé leur pays de renvoi sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de délivrer à M. et à Mme A... une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me D... une somme de 1 000 euros, pour chacun des requérants, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Mme E... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 19NC03338, 19NC03339