Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 décembre 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 juillet 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 février 2019 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivré un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer durant ce réexamen une autorisation provisoire de séjour.
Il soutient que :
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- le signataire de la décision contestée était incompétent ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 313-14 et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est insuffisamment motivée.
Sur la décision fixant le pays de destination :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense du 24 février 2020, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 19 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme E..., présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant iranien, est entré régulièrement en France le 25 janvier 2017, sous couvert d'un visa Schengen. Il a déposé une demande tendant au bénéfice du statut de réfugié qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 13 octobre 2017, refus confirmé par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 8 octobre 2018. Le 19 décembre 2018, M. D... a sollicité son admission exceptionnelle au séjour au titre du travail, sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 4 février 2019, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit. M. D... fait appel du jugement du 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, le préfet du Haut-Rhin a, par arrêté du 20 septembre 2016 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 21 septembre suivant, donné délégation à M. Christophe A..., secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires relevant des attributions de l'État dans le département du Haut-Rhin, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions prises en matière de séjour et d'éloignement des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. A..., signataire de la décision contestée, doit être écarté.
3. En deuxième lieu, le préfet, après avoir rappelé les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment celles de l'article L. 313-14 et du 7° de l'article L. 313-11 de ce code, indique les motifs de fait pour lesquels sa demande de titre de séjour a été rejetée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du refus de titre de séjour ne peut qu'être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
5. Monsieur D... se prévaut de sa présence sur le territoire français depuis deux ans à la date de la décision attaquée et de deux promesses d'embauche. Il fait également valoir qu'il fréquente régulièrement une église évangélique. A cet égard, il résulte des attestations produites par le requérant que les membres de cette église le soutiennent activement. Toutefois, ces circonstances ne suffisent pas à démontrer une intégration particulière de M. D... dans la société française. En outre, l'intéressé est célibataire et sans enfant. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Haut-Rhin a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 ".
7. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant par là-même des motifs exceptionnels exigés par la loi. Il appartient en effet à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger, ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
8. Monsieur D... fait valoir qu'il bénéficie de deux promesses d'embauche, la première, datée du 23 novembre 2018, pour un contrat à durée déterminée d'un an en tant qu'employé polyvalent dans la restauration rapide, la seconde, datée du 3 décembre 2018, pour contrat à durée déterminée de deux mois en tant qu'ouvrier agricole. Toutefois, le requérant ne justifie d'aucune qualification ou expérience particulière dans ces secteurs, alors qu'au demeurant ces métiers ne sont pas au nombre de ceux pour lesquels la difficulté à pourvoir les emplois vacants créerait une situation exceptionnelle. Enfin, si M. D... se prévaut de son implication au sein d'une communauté religieuse, cet élément ne justifie pas une admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour en France et du droit d'asile ne peut être accueilli.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré (...). La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I (...) ".
10. Il résulte de ces dispositions que, dès lors que le refus de titre de séjour est lui-même motivé, la motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français se confond avec celle de la décision de refus de séjour. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 3, la décision de refus de titre de séjour est suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'obligation de quitter le territoire manque en fait.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
12. Le requérant faire valoir qu'il encourt des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, eu égard à sa conversion au christianisme. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier d'un certificat de baptême daté du 21 avril 2017 et de plusieurs attestations établies par les membres d'une association cultuelle évangéliste que M. D... s'est effectivement converti au christianisme qu'il pratique assidûment. A considérer même que la conversion de M. D... soit intervenue postérieurement à son arrivée en France, cette circonstance ne suffit pas à la faire regarder comme insincère. Par ailleurs, il résulte des pièces du dossier mais également de sources documentaires librement accessibles sur l'Iran, et notamment du rapport du rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en République islamique d'Iran publié le 17 mars 2017 et du rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en Iran publié le 30 mars 2017, librement accessibles sur le site internet des Nations Unies, que, si la liberté de pensée, de conscience et de religion est un droit fondamental de portée universelle reconnu et protégé par plusieurs instruments internationaux, et notamment par l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel est partie la République islamique d'Iran, le fait pour un ressortissant iranien de confession musulmane de se convertir à une autre religion est regardé comme constitutif d'un crime d'apostasie, pour lequel est encourue la peine capitale. Il ressort en outre de ces mêmes rapports que l'apostasie est considérée comme une question de sécurité nationale en Iran et que les musulmans convertis au christianisme continuent de faire l'objet d'arrestations, de harcèlements et de détentions extra judiciaires, et sont souvent accusés de crimes contre la sécurité nationale tels que celui d'" agir contre la sécurité nationale " ou faire de la " propagande contre l'État ". Dans ces conditions, il est établi que les convertis au christianisme font l'objet, de manière systématique, de violentes persécutions en Iran. Ainsi, l'intéressé se trouverait exposé à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête, la décision fixant le pays de destination doit être annulée.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant son pays de renvoi.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
14. Le présent arrêt, qui se borne à annuler la décision fixant le pays de renvoi de M. D... et rejette le surplus de ses conclusions à fin d'annulation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La décision du 4 février 2019 du préfet du Haut-Rhin fixant le pays de renvoi est annulée.
Article 2 : Le jugement du 4 juillet 2019 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision mentionnée à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 19NC03723