Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 juin 2018, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 8 février 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet du Doubs du 16 août 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de résident dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'intervalle, de lui remettre sous dix jours une autorisation provisoire de séjour ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Doubs de réexaminer son droit à une carte de résident dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer durant le temps de ce réexamen une carte de séjour visiteur dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de séjour visiteur dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui remettre sous dix jours une autorisation provisoire de séjour ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me A... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B... soutient que :
- le préfet, en lui refusant la délivrance d'une carte de résident au motif de l'insuffisance de ses ressources, s'est cru, à tort, en situation de compétence liée ;
- l'arrêté attaqué en tant qu'il lui refuse la délivrance d'une carte de résident méconnaît les dispositions combinées des articles L. 314-8 et R. 314-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le retrait de son droit au séjour, acquis sans fraude, est illégal en l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait ;
- l'arrêté attaqué en tant qu'il lui refuse le renouvellement de sa carte de séjour portant la mention " visiteur " méconnaît les dispositions de l'article L. 313-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté attaqué porte à son droit au respect dû à sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et méconnaît ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de son arrêté sur sa situation personnelle et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2018, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 26 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 22 janvier 2019.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 17 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Laubriat, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant turc, fait appel du jugement du 8 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 août 2017 par lequel le préfet du Doubs a rejeté ses demandes tendant à la délivrance d'une carte de résident et de renouvellement de la carte de séjour portant la mention " visiteur " dont il bénéficiait jusqu'alors.
Sur le refus de délivrance d'une carte de résident :
2. Aux termes de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " Une carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " est délivrée de plein droit à l'étranger qui justifie : 1° D'une résidence régulière ininterrompue d'au moins cinq ans en France au titre de l'une des cartes de séjour temporaires ou pluriannuelles ou de l'une des cartes de résident prévues au présent code, à l'exception de celles délivrées sur le fondement des articles L. 313-7, L. 313-7-1, L. 313-7-2 ou L. 313-13, du 3° de l'article L. 313-20, des articles L. 313-23, L. 316-1 ou L. 317-1 ou du 8° de l'article L. 314-11. (...) / 2° De ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses besoins. Ces ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance. Sont prises en compte toutes les ressources propres du demandeur, indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles ainsi qu'aux articles L. 5423-1, L. 5423-2, L. 5423-3 et L. 5423-8 du code du travail. (...) : 3° D'une assurance maladie. : Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article ". L'article R. 314-1-1 du même code dans sa rédaction alors applicable dispose : " L'étranger qui sollicite la délivrance de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " doit justifier qu'il remplit les conditions prévues aux articles L. 314-8, L. 314-8-1 ou L. 314-8-2 en présentant, outre les pièces mentionnées aux articles R. 311-2-2 et R. 314-1, les pièces suivantes : 1° La justification qu'il réside légalement et de manière ininterrompue en France depuis au moins cinq ans, sous couvert de l'une des cartes de séjour mentionnées aux articles L. 314-8 et L. 314-8-2 ou sous couvert d'un des visas mentionnés aux 4°, 5°, 7°, 8°, 9°, à l'exception de celui conférant les droits attachés à la carte de séjour pluriannuelle du 3° de l'article L. 313-20, et 11° de l'article R. 311-3 ; les périodes d'absence du territoire français sont prises en compte dans le calcul des cinq années de résidence régulière ininterrompue lorsque chacune ne dépasse pas six mois consécutifs et qu'elles ne dépassent pas un total de dix mois. (...) / 2° La justification qu'il dispose de ressources propres, stables et régulières, suffisant à son entretien, indépendamment des prestations et des allocations mentionnées au 2° de l'article L. 314-8, appréciées sur la période des cinq années précédant sa demande, par référence au montant du salaire minimum de croissance ; lorsque les ressources du demandeur ne sont pas suffisantes ou ne sont pas stables et régulières pour la période des cinq années précédant la demande, une décision favorable peut être prise, soit si le demandeur justifie être propriétaire de son logement ou en jouir à titre gratuit, soit en tenant compte de l'évolution favorable de sa situation quant à la stabilité et à la régularité de ses revenus, y compris après le dépôt de la demande. / 3° La justification qu'il bénéficie d'une assurance maladie. (...) ".
3. Pour rejeter la demande de délivrance d'une carte de résident présentée par M. B..., le préfet du Doubs s'est exclusivement fondé dans son arrêté du 16 août 2017 sur l'insuffisance de ses ressources. Dans son mémoire en défense de première instance, le préfet a également motivé sa décision au regard de l'absence de résidence régulière de l'intéressé en France.
4. En premier lieu, il ressort des mentions figurant sur son passeport que si M. B... a bien séjourné en France en 2013, 2014, 2015 et 2016, il a été absent du territoire français neuf mois chaque année en 2014 et 2015, sept mois en 2016 et deux mois en 2017. Les périodes d'absence de M. B... du territoire français dépassant six mois consécutifs en 2014, 2015 et 2016 ainsi qu'un total de dix mois sur les cinq dernières années précédant sa demande, il ne remplissait pas la condition fixée aux articles L. 314-8 et R. 314-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de résidence régulière ininterrompue d'au moins cinq ans en France. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision du préfet du Doubs lui refusant la délivrance d'une carte de résident méconnaitrait les dispositions de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En deuxième lieu, le motif tiré de l'absence de résidence régulière ininterrompue de M. B... en France justifiant à lui seul le refus opposé à sa demande de carte de résident, la circonstance - à la supposer établie- que le préfet aurait commis une erreur d'appréciation en lui opposant l'insuffisance de ses ressources sans prendre en compte la circonstance qu'il est hébergé par son fils lors de ses séjours en France est sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté.
6. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Doubs, qui a pris en compte les éléments de la situation particulière de M. B..., ne s'est pas cru tenu d'opposer un refus à la demande de délivrance d'une carte de résident présentée par M. B... au regard de la seule insuffisance de ses revenus.
Sur le refus de renouvellement de la carte de séjour portant la mention " visiteur " :
7. Aux termes de l'article L. 313-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " La carte de séjour temporaire délivrée à l'étranger qui apporte la preuve qu'il peut vivre de ses seules ressources et qui prend l'engagement de n'exercer en France aucune activité professionnelle porte la mention " visiteur " ".
8. Aux termes de l'article L. 313-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La carte de séjour pluriannuelle n'est pas délivrée à l'étranger titulaire de la carte de séjour temporaire mentionnée aux articles L. 313-6 ... ". L'article L. 313-1 du même code dispose : " La durée de validité de la carte de séjour temporaire ne peut être supérieure à un an (...) ".
9. Il ressort de la combinaison de ces dispositions que la carte de séjour temporaire " visiteur " ne permet pas d'accéder à la carte de séjour pluriannuelle prévue à l'article L. 313-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La durée maximale de validité d'une carte de séjour temporaire " visiteur " étant limitée à un an par application de l'article L. 313-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, son titulaire ne peut prétendre à son renouvellement que s'il continue de remplir les conditions requises. M. B... ne disposant pas d'un droit automatique au renouvellement de sa carte, y compris lorsque les circonstances de fait ou de droit demeurent inchangées, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet, en refusant de lui renouveler la carte de séjour portant la mention " visiteur " dont il bénéficiait depuis près de seize ans, aurait procédé au retrait de son droit au séjour et que ce retrait serait illégal en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait.
10. En revanche, il est constant que les ressources propres de M. B..., constituées de pensions de retraite versées en France et en Turquie, s'élèvent à environ 500 euros par mois. Par ailleurs, il ressort de l'attestation figurant au dossier que le fils aîné de M. B... s'est engagé à assurer l'hébergement à titre gracieux de son père lors de ses séjours en France, M. B... apportant ainsi la preuve qui lui incombe de ce qu'il peut vivre de ces seules ressources, il est fondé à soutenir que la décision du 16 août 2017 par laquelle le préfet du Doubs lui a refusé le renouvellement de sa carte de séjour portant la mention " visiteur " est entachée d'erreur d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 août 2017 seulement en tant que cet arrêté porte rejet de sa demande de renouvellement de sa carte de séjour portant la mention " visiteur ".
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité procède au renouvellement de la carte de séjour portant la mention " visiteur " de M. B.... Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet du Doubs de délivrer à M. B... une carte de séjour pourtant la mention " visiteur " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui remettre dans l'intervalle une autorisation provisoire de séjour.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A..., avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 8 février 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. B... dirigées contre l'arrêté du préfet du Doubs du 16 août 2017 en tant que cet arrêté a refusé le renouvellement de sa carte de séjour portant la mention " visiteur ", ensemble l'arrêté du préfet du Doubs du 16 août 2017 en tant que cet arrêté a refusé ce renouvellement.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " visiteur " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui remettre dans l'intervalle une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me A..., avocat de M. B..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet du Doubs.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montbeliard.
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N° 18NC01708