Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 juin 2018, M. et Mme B..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 29 mai 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du préfet de Meurthe-et-Moselle du 16 mars 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de leur délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de leur remettre dans l'intervalle une autorisation provisoire de séjour ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer leur situation administrative dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous la même astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me C... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. et Mme B... soutiennent que :
- les arrêtés contestés sont entachés d'incompétence ;
- leur droit à être entendus préalablement à l'édiction des décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français a été méconnu ;
- ils n'ont pas été assistés d'un interprète lors de la notification de ces décisions ;
- les décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français sont insuffisamment motivées au regard des dispositions des articles L. 511-1 I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- ces décisions méconnaissent les dispositions de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions fixant le pays à destination duquel ils pourront être reconduits méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Le préfet soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 1er février 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 22 février 2019.
M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 10 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Laubriat, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., ressortissants albanais, font appel du jugement du 29 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 16 mars 2018 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office à l'expiration de ce délai.
Sur le moyen commun :
2. M. et Mme B... reprennent en appel leur moyen de première instance tiré de ce que les arrêtés du 16 mars 2018 seraient entachés d'incompétence sans apporter le moindre élément de nature à critiquer les motifs par lesquels le tribunal administratif ne l'a pas accueilli. Il y a ainsi lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
Sur les moyens propres aux décisions portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, les arrêtés contestés du 16 mars 2018 visent les articles L. 313-13 et L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, rappellent les éléments de la situation personnelle de M. et Mme B..., indiquent que la qualité de réfugié leur a été refusée par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 22 septembre 2017, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 23 janvier 2018 et qu'ils ne peuvent se prévaloir d'une vie privée et familiale en France. Les décisions contestées comportent ainsi l'énoncé des circonstances de droit et de fait qui les fondent et sont par suite suffisamment motivées au regard des dispositions des articles L. 511-1 I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
4. En deuxième lieu, si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
5. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
6. Dans le cas prévu au 6° de l'article L. 511-1 I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant obligation de quitter le territoire français est prise après que la qualité de réfugié ait été définitivement refusée à l'étranger. Or, l'étranger est conduit, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnue la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux.
7. En outre, si, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour, il n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. En l'espèce, M. et Mme B... ont pu présenter les observations sur leurs situations qu'ils estimaient utiles dans le cadre de l'examen de leurs demandes d'asile. Ils n'allèguent pas avoir sollicité en vain un entretien auprès des services préfectoraux, ni même avoir été empêchés de présenter des observations avant que ne soient prises les décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français. De plus, M. et Mme B... ne pouvaient ignorer que, depuis les rejets devenus définitifs de leurs demandes d'asile, ils étaient susceptibles de faire l'objet de mesures d'éloignement. Dès lors, M. et Mme B... ne peuvent être regardés comme ayant été privés de leur droit à être entendus garanti par le droit de l'Union européenne.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 512-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel un délai de départ volontaire est imparti peut demander que les principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées en application de l'article L. 511-1 lui soient communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend ".
9. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. et Mme B..., qui bénéficient d'un délai de départ volontaire, auraient demandé à ce que les principaux éléments des arrêtés contestés du 16 mars 2018 leur soient notifiées dans une langue qu'ils comprennent. Par ailleurs, aucune disposition législative ou règlementaire n'impose que les ressortissants étrangers soient assistés d'un interprète lorsque l'autorité administrative leur notifie des décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français. Par suite, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés du 16 mars 2018 seraient entachés de vice de procédure.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
11. Si Mme B... fait valoir qu'elle a des problèmes de santé à la suite de l'accouchement de sa fille en janvier 2018, elle n'établit pas par les seules pièces versées au dossier que son état de santé nécessiterait une prise en charge dont le défaut pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'elle ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
Sur les moyens propres aux décisions fixant le pays d'éloignement :
12. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". L'article 3 de cette convention stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
13. M. et Mme B... se bornent à soutenir que les décisions fixant le pays à destination duquel ils pourront être reconduits méconnaissent les textes précités, sans fournir aucun élément de nature à établir qu'ils sont personnellement exposés à des risques d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Albanie. Au demeurant, il est constant que leurs demandes d'asile ont été rejetées tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que par la Cour nationale du droit d'asile. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
2
N° 18NC01717