Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 février et 5 septembre 2018, la commune de Pauvres, représentée par la SCP Choffrut-Brener, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 30 janvier 2018 en tant qu'il a annulé la délibération du 14 mars 2016 seulement en tant que cette délibération avait un effet rétroactif ;
2°) d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune de Saulces-Champenoises du 14 mars 2016 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saulces-Champenoises le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Pauvres soutient que :
- à supposer que la délibération du 14 mars 2016 constitue une décision de résiliation unilatérale d'un contrat comme le prétend la commune de Saulces-Champenoises, cette circonstance ne rendait pas sa demande de première instance tardive et donc irrecevable, dès lors que ladite délibération ne lui a pas été notifiée ;
- la délibération du 14 mars 2016 est une décision de retrait de la délibération du 29 octobre 2013 et non une décision de résiliation unilatérale d'un contrat ;
- la délibération adoptée par le conseil municipal de la commune de Saulces-Champenoises le 29 octobre 2013, qui prévoyait seulement de l'indemniser de la gêne provoquée par l'implantation de quatre éoliennes à proximité immédiate de son territoire, n'avait pas pour objet d'organiser un transfert illégal de produits fiscaux ;
- la délibération du 29 octobre 2013 est une décision créatrice de droits qui ne pouvait, en l'absence de toute modification des conditions ayant justifié l'avantage octroyé, être retirée que dans le délai de quatre mois ;
- à supposer que la délibération du 14 mars 2016 constitue une décision de résiliation unilatérale d'un contrat, cette résiliation était injustifiée, aucun vice n'affectant le prétendu contrat conclu en 2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2018, la commune de Saulces-Champenoises, représentée par la Selas Devarenne Associés Grand Est, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la commune de Pauvres sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Saulces-Champenoises soutient que :
- la délibération du 14 mars 2016 constitue une décision de résiliation unilatérale d'un contrat et non une décision de retrait de la délibération du 29 octobre 2013 ;
- dans ces conditions, la demande présentée par la commune de Pauvres devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit être regardée comme tendant à la reprise des relations contractuelles ;
- la demande de la commune de Pauvres ainsi requalifiée était irrecevable car tardive ;
- le contrat conclu avec la commune de Pauvres, qui organise un transfert illégal de ressources fiscales, est affecté d'un vice d'une particulière gravité justifiant sa résiliation ;
- à supposer que la délibération du 29 octobre 2013 soit une décision créatrice de droits, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que cette décision, illégale, soit abrogée, dès lors que, en l'absence de fixation d'un terme, elle n'a pu créer de droits au maintien de ces dispositions pour l'avenir.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la demande présentée par la commune de Pauvres devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui doit être regardée comme tendant à la reprise des relations contractuelles, est un recours de plein contentieux et non un recours pour excès de pouvoir et que le tribunal s'est ainsi mépris sur l'étendue de sa compétence.
Par ordonnance du 26 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 10 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la commune de Pauvres, ainsi que celles de Me B..., représentant la commune de Saulces-Champenoises.
Considérant ce qui suit :
1. La Sarl Energie du Partage 2 entend réaliser un parc éolien sur le territoire de la commune de Saulces-Champenoises comprenant deux lignes de quatre aérogénérateurs. L'une de ces deux lignes devant être implantée à proximité immédiate du territoire de la commune de Pauvres, cette commune a tenté de s'opposer à la réalisation du projet, en refusant au futur exploitant l'utilisation d'une voie dite " ancienne voie des Romains " appartenant au moins en partie à son domaine public. L'Etat est intervenu pour tenter de régler le conflit entre les deux communes. Lors d'une réunion qui s'est tenue à la sous-préfecture le 1er octobre 2013, la commune de Saulces-Champenoises a accepté de partager avec la commune de Pauvres les rentrées fiscales résultant de l'implantation des quatre éoliennes mitoyennes entre les deux communes. Par une délibération du 29 octobre 2013, le conseil municipal de la commune de Saulces-Champenoises a ainsi décidé l'attribution, chaque année, à la commune de Pauvres de la moitié de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseau (IFER) qu'elle est destinée à percevoir à raison de la seconde ligne d'aérogénérateurs. Parallèlement, le conseil municipal de la commune de Pauvres a adopté le 3 décembre 2013 une délibération par laquelle la commune a accepté la compensation proposée. Enfin, une convention a été signée entre les deux communes et le futur exploitant du parc éolien autorisant ce dernier à utiliser l'ancienne voie des Romains. Après l'entrée en service du parc éolien en août 2014, le conseil municipal de la commune de Saulces-Champenoises a, par une délibération du 14 mars 2016, décidé de retirer sa délibération du 29 octobre 2013. La commune de Pauvres fait appel du jugement du 30 janvier 2018 par laquelle le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la délibération du 14 mars 2016 seulement en tant qu'elle a un effet rétroactif.
2. Il résulte de l'instruction, notamment du compte rendu de la réunion à la sous-préfecture du 1er octobre 2013, des délibérations adoptées par les conseils municipaux des communes de Saulces-Champenoises, le 29 octobre 2013, et de Pauvres, le 3 décembre 2013, ainsi que de la convention d'autorisation de survol et de passage conclue avec l'exploitant du parc éolien, que les deux communes de Saulces-Champenoises et Pauvres ont entendu se lier par des obligations réciproques. Dès lors, la délibération du 14 mars 2016 par laquelle le conseil municipal de la commune de Saulces-Champenoise a retiré sa précédente délibération du 29 octobre 2013 doit être regardée comme une décision de résiliation unilatérale du contrat la liant à la commune de Pauvres. Par suite, la demande dont la commune de Pauvres a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit être regardée comme tendant à la reprise des relations contractuelles.
Sur la régularité du jugement :
3. La demande de la commune de Pauvres tendant à la reprise des relations contractuelles relève du plein contentieux. Il ressort toutefois des termes mêmes du jugement attaqué du 30 janvier 2018 que le tribunal administratif s'est estimé saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre la délibération du 14 mars 2016. Il appartient au juge d'appel de relever d'office l'erreur ainsi commise par le tribunal sur l'étendue de ses pouvoirs. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la commune de Pauvres devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Sur le bien fondé de la mesure de résiliation :
5. Il incombe en principe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, de rechercher si cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé et, dans cette hypothèse, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité.
6. Toutefois, dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, qui le conduirait, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles.
7. L'article 1379 du code général des impôts dispose : " I. - Les communes perçoivent, dans les conditions déterminées par le présent chapitre : (...) 9° Une fraction de la composante de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux relative aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent (...).Pour l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux relative aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, cette fraction est égale à 20 %. (...) ". Aux termes du 4 du III de l'article 1609 quinquies C du code général des impôts : " L'établissement public de coopération intercommunale verse à la ou aux communes dont tout ou partie du territoire est situé à l'intérieur d'une zone de développement de l'éolien ou, en l'absence de zone de développement de l'éolien, aux communes d'implantation des installations mentionnées au II et aux communes limitrophes membres de l'établissement public de coopération intercommunale une attribution visant à compenser les nuisances environnementales liées aux installations utilisant l'énergie mécanique du vent. Cette attribution ne peut être supérieure au produit de la cotisation foncière des entreprises et de la taxe prévue à l'article 1519 D perçues sur ces installations. (...) ".
8. Il résulte des termes mêmes des délibérations des 29 octobre et 3 décembre 2013 ainsi que du contexte dans lequel ces délibérations ont été adoptées que les communes de Saulces-Champenoises et Pauvres sont convenues de se partager par moitié les ressources fiscales résultant du fonctionnement des quatre aérogénérateurs mitoyens des deux communes. Ces deux communes n'étant pas membres du même établissement public de coopération intercommunale, ni les dispositions précitées de l'article 1609 quinquies C du code général des impôts, ni aucune autre disposition législative ou règlementaire n'autorisait un tel transfert de ressources fiscales au profit de la commune de Pauvres. Ce partage de recettes fiscales, objet du contrat conclu entre les deux communes, était ainsi illicite. La nature de cette irrégularité conduirait le juge, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation ou l'annulation de ce contrat. Par suite, la demande présentée par la commune de Pauvres tendant à la reprise des relations contractuelles ne peut, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité, qu'être rejetée.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Saulces-Champenoises, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Pauvres demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Pauvres le versement de la somme que la commune de Saulces-Champenoises demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 30 janvier 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la commune de Pauvres devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ainsi que ses conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Saulces-Champenoises présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Pauvres et à la commune de Saulces-Champenoises.
Délibéré après l'audience du 7 février 2019, à laquelle siégeaient :
M. Meslay, président de chambre,
Mme Stefanski, président,
M. Laubriat, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2019.
Le rapporteur,
Signé : A. LAUBRIATLe président,
Signé : P. MESLAY
La greffière,
Signé : V. FIRMERY
La République mande et ordonne au préfet des Ardennes en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. ROBINET
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N° 18NC00495