Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 mars 2018, Mme D..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 14 décembre 2017 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de la Marne du 24 mai 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à Me B...sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme D... soutient que :
- le jugement est irrégulier, le mémoire en défense de première instance ayant été signé au nom du préfet par une autorité incompétente ;
Sur les moyens communs :
- le secrétaire général de la préfecture était incompétent pour signer l'arrêté du 24 mai 2017 ;
- cet arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;
Sur la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
- le préfet a cru à tort être en situation de compétence liée ;
- la décision portant refus de séjour est entachée d'un défaut d'examen de sa situation particulière ;
- elle méconnaît le droit à l'éducation de sa fille garanti par les articles L. 111-5 et L. 122-2 du code de l'éducation et par les articles 28 et 29 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît par suite les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle et familiale ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
Sur la décision fixant le pays d'éloignement :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet de la Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par ordonnance du 14 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 15 octobre 2018.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 20 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'éducation ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Laubriat, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeD..., ressortissante arménienne, fait appel du jugement du 14 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mai 2017 par lequel le préfet de la Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai.
Sur la régularité du jugement :
2. Par un arrêté du 18 juillet 2016, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, le préfet de la Marne a donné délégation à M. Gaudin, secrétaire général de la préfecture, pour signer tous arrêtés décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents relevant des attributions du représentant de l'Etat dans le département, à l'exception des réquisitions de la force armée et des arrêtés de conflits. Par suite, Mme D...n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que le jugement serait irrégulier dès lors que les premiers juges auraient dû, selon elle, écarter des débats le mémoire en défense enregistré le 21 septembre 2017 au greffe du tribunal administratif et signé par M. Gaudin par délégation du préfet.
Sur les moyens communs :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 : " Le préfet de département peut donner délégation de signature : 1° En toutes matières et notamment pour celles qui intéressent plusieurs chefs des services des administrations civiles de l'Etat dans le département, au secrétaire général et aux chargés de mission ; (...) ". Par un arrêté du 18 juillet 2016, régulièrement publié le même jour, le préfet de la Marne a donné délégation à M. A... Gaudin, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous actes relevant de la compétence de l'Etat dans le département, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions prises en matière de police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de ce que M. Gaudin était incompétent pour signer l'arrêté du 24 mai 2017 manque en fait et doit être écarté.
4. En second lieu, l'arrêté attaqué, après avoir visé notamment les articles L. 313-14 et L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, rappelle les éléments de la situation personnelle de MmeD..., indique que malgré ses cinq années de présence sur le territoire français, elle ne maîtrise pas la langue française et que si sa fille est inscrite au lycée professionnel Joliot Curie, sa scolarité est chaotique et, enfin, que la requérante ne peut être regardée comme justifiant de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires de nature à justifier une régularisation exceptionnelle de sa situation. L'arrêté attaqué comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivé au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
Sur la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ".
6. Pour solliciter la délivrance d'une carte de séjour temporaire vie privée et familiale sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, Mme D...s'est prévalue de la scolarisation de sa fille sur le territoire français.
7. Mme D...ne fait toutefois état d'aucune circonstance faisant obstacle à ce que sa fille poursuive sa scolarité en Arménie. Dans ces conditions la seule circonstance que la fille de Mme D...soit scolarisée en France ne constitue pas un motif exceptionnel ou une considération humanitaire justifiant l'admission au séjour en France à titre exceptionnel de sa mère. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que la scolarité de la fille de la requérante, née le 15 novembre 1998, et inscrite au titre de l'année scolaire 2016-2017 au lycée professionnel Joliot Curie à Reims dans le cadre de la mission de lutte contre le décrochage scolaire, est chaotique, avec de très nombreuses absences. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que le préfet, qui a pris en compte l'ensemble des éléments de la situation personnelle de MmeD..., ne s'est senti aucunement lié par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...a déclaré être entrée sur le territoire français le 4 janvier 2012, que sa demande d'admission à la qualité de réfugié a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 25 avril 2012 confirmée par un jugement de la Cour nationale du droit d'asile du 2 mai 2013 et qu'elle s'est maintenue sur le territoire français malgré deux décisions des 29 mai 2012 et 1er avril 2014 lui faisant obligation de quitter le territoire. Si, à la date de la décision attaquée, Mme D...justifiait de cinq ans de séjour sur le territoire français, c'est donc uniquement en raison de son refus de déférer aux décisions d'éloignement prises à son encontre. Par ailleurs, Mme D...n'établit pas disposer en France d'attaches familiales autre que sa fille, âgée, à la date de la décision attaquée, de 19 ans. Le préfet affirme par ailleurs sans être contredit que la mère et la fille ainée de Mme D...vivent toujours en Arménie, pays où elle-même a vécu jusqu'à l'âge de 50 ans. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de séjour en France de MmeD..., la décision du préfet de la Marne du 24 mai 2017 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, Mme D...n'est pas fondée à soutenir que cette décision méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En quatrième lieu, et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle et familiale de MmeD....
12. En cinquième lieu, Mme D...reprend en appel ses moyens de première instance tirés de la méconnaissance des articles 28 et 29 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et des articles L. 111-1 et L. 122-2 du code de l'éducation sans apporter le moindre élément de nature à critiquer les motifs par lesquels le tribunal administratif ne les a pas accueillis. Il y a ainsi lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. Le droit d'être entendu, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne et consacrés par la Charte des droits fondamentaux, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.
14. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour.
15. Dès lors, la seule circonstance que le préfet qui refuse la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour sollicité par l'étranger en assortissant cette décision d'une obligation de quitter le territoire français n'a pas, préalablement à l'édiction de la mesure d'éloignement, de sa propre initiative, expressément informé l'étranger qu'en cas de rejet de sa demande de titre de séjour, il serait susceptible d'être contraint de quitter le territoire français en l'invitant à formuler ses observations sur cette éventualité, n'est pas de nature à permettre de regarder l'étranger comme ayant été privé de son droit à être entendu, notamment énoncé au paragraphe 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il y a lieu, en conséquence, en l'espèce, eu égard notamment aux éléments d'information dont a pu bénéficier la requérante lors de l'instruction de sa demande d'admission au séjour, d'écarter ce moyen.
Sur la décision fixant le pays d'éloignement :
16. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
17. Si Mme D...soutient avoir fait l'objet en Arménie de menaces après la mort de son mari en octobre 1999, elle ne fournit aucun élément de nature à étayer ses allégations. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays d'éloignement méconnaitrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
18. En second lieu, aux termes de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : a) La peine de mort ou une exécution ; b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) S'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ".
19. Si Mme D...soutient qu'elle pourrait bénéficier de la protection subsidiaire, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ait déposé une demande en ce sens auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans ces conditions, elle ne saurait utilement se prévaloir des dispositions précitées de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'encontre de la décision par laquelle le préfet de la Marne a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.
20. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à MmeC... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
Délibéré après l'audience du 7 février 2019, à laquelle siégeaient :
M. Meslay, président de chambre,
Mme Stefanski, président,
M. Laubriat, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2019.
Le rapporteur,
Signé : A. LAUBRIATLe président,
Signé : P. MESLAY
La greffière,
Signé : V. FIRMERY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. ROBINET
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N° 18NC00974