Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 novembre 2017, 5 avril et 18 septembre 2018, la SNC Ferme éolienne du Clos Serin, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement no 1601450 du 26 septembre 2017 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Meuse du 30 mars 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Meuse de lui délivrer les permis de construire sollicités, ou à défaut de reprendre l'instruction des demandes, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SNC Ferme éolienne du Clos Serin soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal s'est fondé sur des éléments qui n'ont été produits qu'à l'audience, sans qu'il ait rouvert l'instruction, en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- les décisions litigieuses sont insuffisamment motivées ;
- la demande de substitution de motifs présentée par le préfet démontre qu'elles sont entachées d'une erreur de droit ;
- l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme fait obstacle à cette substitution ;
- c'est à tort que le préfet s'est cru lié par l'avis défavorable du ministre de la défense, alors que cet avis, entaché d'une erreur d'appréciation, est illégal ;
- le préfet a méconnu le principe d'égalité, alors que d'autres parcs éoliens ont été autorisés à proximité ;
- les décisions attaquées sont entachées d'erreur d'appréciation au regard de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 mars et 12 septembre 2018, le ministre de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'aviation civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., pour la SNC Ferme éolienne du Clos Serin.
Considérant ce qui suit :
1. La SNC Ferme éolienne du Clos Serin a présenté, les 18 et 19 juin 2015, deux demandes de permis de construire portant sur l'implantation, d'une part, de deux éoliennes sur le territoire de la commune de Noyers-Auzécourt et, d'autre part, de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Brabant-le-Roi. Par deux arrêtés du 30 mars 2016, le préfet de la Meuse a refusé de lui délivrer les permis de construire sollicités.
2. La SNC Ferme éolienne du Clos Serin relève appel du jugement du 26 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement :
3. Conformément au principe du caractère contradictoire de la procédure, le juge administratif est tenu de ne statuer qu'au vu des seules pièces du dossier qui ont été communiquées aux parties.
4. Il ressort du jugement que, pour confirmer le bien-fondé du motif des refus de permis de construire contestés par la SNC Ferme éolienne du Clos Serin, le tribunal s'est fondé sur des documents relatifs au secteur de vols tactiques (VOLTAC) d'Etain dans lequel est implanté le projet de parc éolien en litige. Il est constant que ces documents ont fait l'objet d'une simple présentation lors de l'audience du 5 septembre 2017, sans avoir été préalablement communiqués à la requérante dans le cadre de l'instruction écrite ni, au surplus, avoir été versés au dossier. En se fondant sur ces éléments, le tribunal a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure et a, par suite, entaché son jugement d'irrégularité. Dès lors, la requérante est fondée à demander l'annulation de ce jugement.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SNC Ferme éolienne du Clos Serin.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet s'est fondé sur les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme pour refuser de délivrer les permis de construire sollicités, au motif que, par son implantation et ses caractéristiques, le projet de parc éolien de la requérante est de nature à dégrader la capacité des équipages militaires à s'entraîner au vol à très basse altitude et à porter atteinte à la sécurité des aéronefs en raison des risques de collision.
7. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ". Il appartient à l'autorité d'urbanisme compétente et au juge de l'excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent.
8. Il ressort des pièces du dossier que le projet de parc éolien de la requérante est situé à l'intérieur du secteur de vols tactiques (VOLTAC) d'Etain, lequel constitue un espace permanent dédié à l'entraînement des équipages d'hélicoptères militaires au vol à très basse altitude de jour comme de nuit, à une hauteur inférieure à 150 mètres, ainsi qu'au vol tactique à une hauteur inférieure à 50 mètres. S'il est constant que cet espace d'entraînement ne constitue pas une servitude aéronautique opposable aux tiers et ne fait ainsi pas, par lui-même, obstacle à l'implantation d'éoliennes, cette implantation ne doit pas être de nature à porter atteinte à la sécurité publique, en particulier au regard des risques de collision avec des aéronefs.
9. D'une part, la présence d'éoliennes est nécessairement connue et cartographiée, et les éoliennes en litige seront en outre soumises, en particulier en dehors des zones grevées de servitudes aéronautiques, à des obligations réglementaires de balisage lumineux d'obstacle, de jour comme de nuit. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, en particulier des cartes produites par le ministre, qu'un espace dégagé de tout obstacle d'environ 10 kilomètres sur 15 sépare le parc éolien en litige du parc éolien le plus proche, sans qu'à l'inverse, il ressorte des pièces du dossier que ce couloir serait insuffisamment large pour permettre aux hélicoptères d'effectuer leurs exercices de manoeuvres sans risquer une collision avec les éoliennes. Compte tenu notamment de la largeur de cet espace dégagé, il ne ressort pas des éléments apportés par le ministre ou des autres pièces du dossier que la présence du parc éolien en litige aurait pour conséquence de priver les hélicoptères de la possibilité de rejoindre " l'itinéraire mauvaise météo sud " que, au demeurant, le ministre présente lui-même comme étant seulement l'un des itinéraires possibles de dégagement en cas de mauvaises conditions météorologiques. Le ministre ne peut pas non plus utilement invoquer les accidents causés par des lignes électriques, ces installations ne présentant pas les mêmes caractéristiques que les éoliennes. Dans ces conditions, la SNC Ferme éolienne du Clos Serin est fondée à soutenir qu'en estimant que les éoliennes litigieuses présentent un risque d'atteinte à la sécurité publique, le préfet de la Meuse a commis une erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
10. D'autre part, à supposer que le projet en litige ait effectivement pour conséquence de dégrader la capacité des forces aériennes militaires à réaliser certains entraînements, cette dégradation ne constitue pas, en elle-même, une atteinte à la sécurité publique au sens des dispositions précitées.
11. En second lieu, pour établir que les décisions attaquées étaient légales, le ministre reprend la demande de substitution de motif formulée par le préfet en première instance. Devant le tribunal, ce dernier a soutenu qu'en application de l'article R. 425-9 du code de l'urbanisme et de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile, il était en situation de compétence liée pour rejeter les demandes de permis de construire.
12. Aux termes de l'article R. 425-9 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet porte sur une construction susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou le permis d'aménager tient lieu de l'autorisation prévue par l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile dès lors que la décision a fait l'objet d'un accord du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense ". Aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense ".
13. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 18 août 2015, le ministre de la défense a refusé d'accorder son autorisation au projet de la requérante, au motif qu'il était de nature à dégrader la capacité de ses forces à réaliser des entraînements au vol à très basse altitude dans l'espace permanent VOLTAC d'Etain et à porter atteinte à la sécurité des aéronefs y évoluant.
14. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 9, il ne ressort pas des pièces du dossier que les éoliennes litigieuses présentent un risque pour la sécurité des aéronefs, notamment pour les hélicoptères militaires évoluant à très basse altitude.
15. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le secteur VOLTAC d'Etain comporte une superficie totale de 863 512 hectares, dont 647 539 effectivement utilisables, et qu'un espace résiduel dégagé de tout obstacle d'environ 10 kilomètres sur 15 sépare le parc éolien en litige du parc éolien le plus proche. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la largeur de ce couloir est insuffisante pour permettre à un ou plusieurs hélicoptères d'y évoluer, même à très basse altitude. Si les éléments apportés par le ministre font apparaître que cet espace est moins vaste que celui dont bénéficient actuellement les forces aériennes militaires dans cette zone du secteur VOLTAC d'Etain pour leurs entraînements à basse altitude, le ministre ne démontre pas que cet espace est insuffisant pour continuer à réaliser ces entraînements de manière utile et dans les mêmes conditions de sécurité qu'auparavant, en particulier, ainsi qu'il a été dit au point 9, s'agissant des itinéraires de dégagement en cas de mauvaises conditions météorologiques. Le ministre n'apporte aucun autre élément de nature à établir le caractère insuffisamment large de cet espace résiduel et la cour ne saurait tenir compte des documents couverts par la mention " diffusion restreinte " qu'il évoque à ce sujet, dès lors qu'ils ne figurent pas au dossier et qu'ils n'ont pas été soumis au débat contradictoire entre les parties. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet d'implantation des éoliennes en litige serait susceptible de constituer un obstacle à la navigation aérienne dans le secteur d'Etain.
16. Dès lors, la SNC Ferme éolienne du Clos Serin est fondée à soutenir que la décision du ministre de la défense du 18 août 2015 est entachée d'illégalité. Par suite, les refus de permis de construire contestés ne pouvaient pas être légalement fondés sur cette décision.
17. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens invoqués par la requérante n'est, en l'état du dossier soumis à la cour, susceptible d'entraîner l'annulation des arrêtés litigieux.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
18. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
19. Lorsque le juge annule un refus d'autorisation d'urbanisme après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme demeurent.applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date de la décision juridictionnelle y fait obstacle
20. Il ne résulte pas de l'instruction que les dispositions en vigueur à la date des décisions annulées interdisaient la délivrance des permis de construire litigieux pour un autre motif que ceux que le présent arrêt censure. Il ne résulte pas non plus de l'instruction qu'un changement dans les circonstances de fait se soit produit depuis l'édiction des décisions annulées, ni à plus forte raison que la situation de fait existant à la date du présent arrêt fasse obstacle à la délivrance des permis de construire litigieux. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Meuse de délivrer à la SNC Ferme éolienne du Clos Serin les permis de construire qu'elle a sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
21. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".
22. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la SNC Ferme éolienne du Clos Serin au titre de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement no 1601450 du 26 septembre 2017 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : Les arrêtés du 30 mars 2016 par lesquels le préfet de la Meuse a refusé de délivrer à la SNC Ferme éolienne du Clos Serin les deux permis de construire qu'elle avait sollicités en vue de l'implantation d'un parc de 5 éoliennes et d'un poste de livraison sur les territoires des communes de Noyers-Auzécourt et de Brabant-le-Roi sont annulés.
Article 3 : Il est ordonné au préfet de la Meuse de délivrer les permis de construire sollicités à la SNC Ferme éolienne du Clos Serin dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la SNC Ferme éolienne du Clos Serin une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par la SNC Ferme éolienne du Clos Serin est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC Ferme éolienne du Clos Serin et au ministre de la cohésion des territoires et au préfet de la Meuse.
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N° 17NC02833