Avant cassation :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 mai 2013 et 25 mars 2014, le préfet du Bas-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement nos 1103996 et 1103997 du 12 mars 2013 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme W...et autres devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Le préfet soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'une note en délibéré, produite par les requérants après l'audience, ne lui a pas été communiquée, en violation du principe du caractère contradictoire de la procédure ; ses motifs et son dispositif sont contradictoires ; le tribunal administratif a méconnu sa compétence en annulant l'article 29 de l'arrêté préfectoral du 11 septembre 1998 alors que ce texte comporte des dispositions législatives ;
- c'est à tort que le tribunal a annulé les décisions attaquées au motif qu'il n'était pas compétent pour édicter les règles qu'il a refusé d'abroger ;
- ces règles ont été édictées en vertu de son pouvoir de police générale, en vue de préserver l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2014, Mme W...et d'autres personnes non identifiées, représentées par MeQ..., concluent au rejet de la requête et à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme W...et autres soutiennent qu'aucun des moyens soulevés par le préfet du Bas-Rhin n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2014, MmeW..., MmeS..., M.AP..., M.AF..., M.V..., M.AG..., M.N..., M.AL..., M. AL..., MmeH..., M.Z..., M. O...et le syndicat des taxis du Bas-Rhin, représentés par MeQ..., concluent au rejet de la requête et à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme S...et autres soutiennent qu'aucun des moyens soulevés par le préfet du Bas-Rhin n'est fondé.
Par un arrêt n° 13NC00877 du 24 mars 2015, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par le préfet du Bas-Rhin contre ce jugement du 12 mars 2013.
Par une décision n° 390601 du 21 février 2018, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour du 24 mars 2015 et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.
Après cassation et renvoi :
Par une lettre du 6 mars 2018, les parties ont été informées du renvoi devant la cour de la requête présentée par le préfet du Bas-Rhin, enregistrée sous le n° 18NC00478, et compte tenu du fait nouveau que constitue la cassation, ont été invitées à produire leurs observations.
Par un mémoire, enregistré le 10 septembre 2018, le préfet du Bas-Rhin conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.
L'instruction a été close le 5 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales,
- le code des transports,
- la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi,
- le décret n° 95-935 du 17 août 1995 portant application de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995,
- la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité,
- l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 11 septembre 1998, le préfet du Bas-Rhin a édicté le règlement départemental des taxis. Par un arrêté du 9 juillet 2008, il en a notamment modifié l'article 29. Les 18 avril et 16 mai 2011, le syndicat des taxis du Bas-Rhin et d'autres demandeurs, d'une part, et Mme W...et autres, d'autre part, ont sollicité du préfet l'abrogation de l'article 29 du règlement départemental des taxis ainsi modifié. Par un jugement du 12 mars 2013, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le préfet du Bas-Rhin sur ces demandes. Par un arrêt n° 13NC00877 du 24 mars 2015, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par le préfet du Bas-Rhin contre ce jugement du 12 mars 2013.
2. Par une décision n° 390601 du 21 février 2018, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour du 24 mars 2015 et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, la note en délibéré produite par Mme W... et autres le 26 février 2013 devant le tribunal administratif de Strasbourg ne présente pas de conclusions nouvelles et se borne à reprendre les moyens déjà développés au cours de l'instruction. En outre, le tribunal ne s'est pas fondé sur les éléments fournis à l'appui de cette note. Dès lors, il n'était nullement tenu de la communiquer au préfet et n'a pas méconnu le caractère contradictoire de la procédure en s'abstenant de le faire avant de procéder à la lecture du jugement.
4. En deuxième lieu, le tribunal administratif de Strasbourg, qui ne pouvait statuer ultra petita, a pu considérer que le préfet du Bas-Rhin était incompétent pour prendre l'arrêté du 11 septembre 1998 et n'annuler cependant que les décisions implicites de rejet des demandes d'abrogation de l'article 29 de cet arrêté, seules attaquées devant lui, sans entacher son jugement de contradiction entre ses motifs et son dispositif.
5. En troisième lieu, le tribunal administratif de Strasbourg n'a pas annulé l'article 29 de l'arrêté préfectoral du 11 septembre 1998, mais uniquement les décisions implicites de rejet des demandes d'abrogation de cet article. Au surplus, la simple transcription de dispositions à caractère législatif dans un acte administratif n'est, de toute évidence, pas de nature à conférer une valeur législative à cet acte. Par suite, le préfet n'est pas fondé à soutenir que le tribunal a excédé sa compétence en annulant les décisions attaquées.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
6. Pour annuler les décisions implicites de rejet des demandes d'abrogation de l'article 29 modifié de l'arrêté préfectoral du 11 septembre 1998 portant règlement départemental des taxis, le tribunal administratif de Strasbourg a considéré que cet arrêté avait été pris par une autorité incompétente.
7. En vertu de l'article L. 2542-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions de l'article L. 2215-1 du même code, qui définissent les pouvoirs de police du maire et du représentant de l'Etat dans les départements, ne sont pas applicables dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Toutefois, le représentant de l'Etat dans l'un de ces départements est compétent pour prendre, en vertu des pouvoirs de police générale dont il dispose sur le fondement du I de l'article 34 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et de l'article 11 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, les mesures qu'il estime nécessaires pour faire respecter l'ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques et qui, eu égard à leur nature et à leur objet, doivent être prises à une échelle qui excède le territoire d'une seule commune.
8. Aux termes de l'article 29 de l'arrêté du 11 septembre 1998, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 9 juillet 2008 : " Pour justifier de cette réservation préalable, les taxis devront disposer d'un carnet numéroté, agenda ou tout autre support dédié à cet effet, sur lequel seront portées les réservations dans l'ordre de réception. Seront mentionnés le mode de réservation, la date et l'heure de prise en charge et la commune de destination. Le nom du client est facultatif. / Ce document devra être présenté dûment rempli lors d'un contrôle. Sur réservation, un taxi ne pourra stationner en attente de son client que 30 minutes préalablement à l'heure de réservation. Toute infraction à ce délai est susceptible d'une sanction disciplinaire ".
9. Il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que le non-respect de l'obligation de stationnement dans la commune de rattachement est de nature, lorsqu'il est habituel, à créer des troubles à l'ordre public du fait des vives tensions que sa généralisation suscite entre les taxis rattachés à la communauté urbaine de Strasbourg et les taxis extérieurs. Dès lors, en rappelant l'obligation de stationnement dans la commune de rattachement et en fixant les conditions dans lesquelles les taxis extérieurs à la communauté urbaine de Strasbourg - désormais Eurométropole de Strasbourg - sont autorisés à y stationner, le préfet a, d'une part, pris une mesure qui ne pouvait l'être qu'à une échelle excédant le territoire d'une seule commune et, d'autre part, poursuivi un but de protection de l'ordre public. Par suite, le préfet a exercé le pouvoir de police générale qui lui appartient.
10. C'est donc à tort que, pour annuler les décisions attaquées, le tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur le moyen tiré de l'incompétence du préfet.
11. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme W... et autres, tant devant le tribunal administratif de Strasbourg que devant la cour en appel.
Sur les autres moyens soulevés par Mme W...et autres :
12. En premier lieu, aux termes de l'article 1 bis de la loi du 20 janvier 1995 susvisée, issu de la loi du 27 février 2002 susvisée et abrogé à compter du 1er décembre 2010 : " Les taxis doivent stationner en attente de clientèle dans leur commune de rattachement. Ils peuvent toutefois stationner dans les communes où ils ont fait l'objet d'une réservation préalable, dont les conducteurs devront apporter la preuve en cas de contrôle, ainsi que dans celles faisant partie d'un service commun de taxis comprenant leur commune ". Aux termes de l'article L. 3121-11 du code des transports, en vigueur depuis le 1er décembre 2010 : " En attente de clientèle, les taxis sont tenus de stationner dans leur commune de rattachement ou dans une commune faisant partie d'un service commun de taxis comprenant leur commune de rattachement. Ils peuvent également stationner dans les communes où ils ont fait l'objet d'une réservation préalable dont les conducteurs doivent apporter la preuve en cas de contrôle ".
13. Il résulte de ces dispositions, auxquelles l'article 29 modifié de l'arrêté préfectoral en litige ne déroge pas, qu'un taxi n'est autorisé à stationner dans une commune extérieure au ressort territorial de son autorisation de stationnement que de manière ponctuelle, lorsqu'il y fait l'objet d'une réservation et seulement pendant la durée de l'éventuelle attente du client qui l'a réservé. En se bornant à soutenir que l'article 29 de l'arrêté préfectoral en litige est plus restrictif que la loi et y ajoute des interdictions, sans indiquer en quoi les modalités de justification des réservations qu'il prévoit seraient de nature à faire obstacle à ces réservations ou à les rendre plus difficiles, ni alléguer que la durée de stationnement en attente de trente minutes qu'il fixe serait insuffisante, les intimés ne démontrent pas que le préfet a, en édictant ces règles, excédé ses pouvoirs.
14. En second lieu, les intimés font valoir que les dispositions en litige portent atteinte aux libertés du commerce et de l'industrie, de la circulation et du stationnement, sans être justifiées par l'intérêt général. Toutefois, ce moyen n'est pas fondé dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 9, ces dispositions ont été édictées dans le but de prévenir des troubles à l'ordre public.
15. En conclusion de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par le préfet du Bas-Rhin, ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions implicites par lesquelles il a rejeté les demandes tendant à l'abrogation de l'article 29 de l'arrêté préfectoral du 11 septembre 1998. Dès lors, le préfet du Bas-Rhin est fondé à solliciter l'annulation de ce jugement et le rejet des demandes présentées devant le tribunal.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme W...et autres demandent au titre des frais exposés par eux en appel et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement nos 1103996 et 1103997 du 12 mars 2013 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme W...et autres et par le syndicat des taxis du Bas-Rhin et autres devant le tribunal administratif de Strasbourg sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à MmeAO... W..., M. AC...AE..., M. AA...AD..., M. AK...A..., M. X...AJ..., M. B...U..., M. AN...AH..., Mme AM...T..., M. I...Y..., M. AI...G..., Mme J...S..., M. R...AP..., M. M...AF..., M. K...V..., M. C...AG..., M. F...N..., M. AB...AL..., M. L...AL..., Mme E...H..., M. D...Z..., M. P...O...et au syndicat des taxis du Bas-Rhin.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 18NC00478