Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 21 avril 2017 sous le n° 17NC00958, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif ;
2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A...D....
Il soutient que :
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit dès lors que, pour l'application de l'article L. 313-11 11°, il lui appartenait, contrairement à ce qu'il a jugé, d'apprécier l'existence de structures de soins appropriés à l'état de santé de M. B... D... ;
- il ressort des pièces du dossier que M. D...pourra bénéficier d'un traitement adapté dans son pays d'origine et qu'il pourra voyager sans risques ;
- il n'y a pas d'atteinte à la vie privée et familiale normale, dès lors que la cellule familiale aura vocation à se réunifier au Kosovo ;
- il s'en remet à ses observations de première instance pour les autres moyens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2017, MmeD..., représentée par MeC..., conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce soit mis à la charge de l'Etat le paiement à Me C...d'une somme de 1 800 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation du refus de titre de séjour opposé à M. D...;
- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que n'ont pas été pris en compte l'ensemble des éléments de sa situation ;
- le refus de titre de séjour est entaché d'insuffisance d'examen, faute de prise en compte des éléments ayant trait à la situation globale de Mme D...;
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée au regard de l'article L. 511-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que n'est pas mentionné l'alinéa applicable à l'espèce ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- il n'y a pas eu examen de la situation particulière ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;
- l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est méconnu ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 17NC00959 le 21 avril 2017, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. B...D....
Il soutient que :
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit dès lors que, pour l'application de l'article L. 313-11 11°, il lui appartenait, contrairement à ce qu'il a jugé, d'apprécier l'existence de structures de soins appropriés à l'état de santé de M. B... D... ;
- il ressort des pièces du dossier que M. D...pourra bénéficier d'un traitement adapté dans son pays d'origine et qu'il pourra voyager sans risques ;
- il n'y a pas d'atteinte à la vie privée et familiale normale, dès lors que la cellule familiale aura vocation à se réunifier au Kosovo ;
- il s'en remet à ses observations de première instance pour les autres moyens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2017, M. D...représenté par Me C...conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce soit mis à la charge de l'Etat le paiement à Me C...d'une somme de 1 800 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'annulation prononcée par le tribunal administratif au regard de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est justifiée dès lors qu'il n'existe pas de traitement approprié à son état de santé au Kosovo ;
- il justifie de circonstances humanitaires exceptionnelles lui ouvrant droit au séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de renouvellement du titre de séjour est entaché d'erreur de droit dès lors que le préfet s'est cru en situation de compétence liée par l'avis du médecin de l'agence régionale de santé ;
- l'arrêté contesté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'annulation du refus de titre opposé à Mme D...doit entraîner l'annulation par voie de conséquence du refus de titre de séjour de M. D...;
- l'obligation de quitter le territoire français se fonde sur un refus de titre de séjour lui-même illégal ;
- elle est entachée de défaut d'examen de la situation de M. D...;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Mme D...et son fils ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 28 août 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Stefanski, président,
- et les observations de Me C...pour Mme A...D...et M. B... D....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 17NC00958 et 17NC00959 du préfet du Haut-Rhin sont dirigées contre un même jugement, sont relatives aux membres d'une même famille et présentent à juger des questions interdépendantes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
2. Mme A...D..., son fils ArmendD..., alors âgé de 28 ans et sa fille Ardita D...alors âgée de 26 ans, ressortissants kosovars, sont entrés irrégulièrement en France selon leurs déclarations en juillet 2012. Après rejets des demandes d'asile de chacun des membres de la famille, M. D...a demandé un titre de séjour pour raisons de santé et, après avis favorables du médecin de l'agence régionale de santé, a obtenu un titre valable à compter du 20 octobre 2014 qui a été renouvelé jusqu'en septembre 2016. Sa mère a bénéficié d'autorisations provisoires de séjour durant la même période. Le 16 août 2016, M. D...a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le même fondement tandis que sa mère a demandé, par courrier du même jour, le renouvellement de son autorisation provisoire de séjour. Par arrêtés du 10 octobre 2016, après avis défavorable du médecin de l'agence régionale de santé du 4 septembre 2016, le préfet du Haut-Rhin a opposé des refus aux deux intéressés. Par jugement du 28 mars 2017 le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les deux arrêtés. Le préfet du Haut-Rhin interjette appel de ce jugement.
Sur le refus de titre de séjour opposé à M. D...:
3. Aux termes du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) ".
4. Il ressort de l'avis du 4 septembre 2016 du médecin-inspecteur de la santé publique, que si l'état de santé de M. D...nécessite une prise en charge médicale et que si le défaut de cette prise en charge pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressé pourra toutefois bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine vers lequel il pourra voyager sans risques.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et notamment des certificats établis par le psychiatre du Groupe hospitalier de la région de Mulhouse et sud Alsace qui le suit depuis son entrée en France, que M. D...souffre de sévères troubles psychologiques comportant des symptômes importants et une anxiété constante qui l'empêche de sortir seul de chez lui et qu'il bénéficie d'un traitement médicamenteux lourd. Si le psychiatre indique que l'état de M. D... s'améliore grâce aux traitements entrepris, le dernier certificat du 6 juillet 2016, continue à faire état de troubles très importants.
6. Dans ce certificat, le spécialiste du groupe hospitalier, mentionne, comme il l'avait fait dans des termes proches dans les certificats précédents qui avaient conduit à un avis favorable à la délivrance d'un titre de séjour à M.D... : "il est à craindre qu'une prise en charge similaire ne puisse pas être organisée dans son pays. En outre, l'existence d'un très net syndrome de répétition conduit à penser qu'un retour dans son pays, qui est le lieu où l'agression constituant le grave traumatisme initial a eu lieu, conduirait inévitablement à une grave rechute symptomatique réduisant à néant le fragile équilibre obtenu actuellement".
7. Si le préfet du Haut-Rhin soutient que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce seul certificat médical, dont le médecin de l'agence régionale de santé avait eu connaissance, pour annuler le refus de titre de séjour opposé à M.D..., aucun autre élément du dossier ne permet de connaître les raisons qui ont conduit le médecin de l'agence régionale de santé à conclure en 2016 que l'intéressé disposerait d'un traitement approprié dans son pays d'origine vers lequel il pourrait voyager sans risques, alors que ce certificat est rédigé dans des termes comparables à ceux qui avaient précédemment conduit à un avis de sens opposé. En particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que les possibilités de soins au Kosovo auraient évolué notamment pour des pathologies aussi lourdes que celle dont souffre M.D.... Si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la cour nationale du droit d'asile ont émis des doutes sur la réalité des évènements traumatiques que M. D...indiquait avoir subis au Kosovo et si le certificat médical du psychiatre hospitalier qui suit l'intéressé, mentionne seulement qu'une "agression dans son pays serait à l'origine des troubles", il ressort cependant de ce certificat que le retour de M. D...au Kosovo serait de nature à compromettre les quelques améliorations obtenues. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le refus de titre de séjour opposé à M. D...et, par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination dont il est assorti.
Sur la légalité de l'arrêté concernant Mme D...:
8. Le préfet du Haut-Rhin admet explicitement qu'en cas d'octroi d'un titre de séjour à M.D..., un refus opposé à sa mère porterait une atteinte disproportionnée au droit de celle-ci à une vie privée et familiale normale. Dans ces conditions et compte tenu de ce qui est dit ci-dessus, ainsi que des éléments du dossier qui démontrent que Mme D...apporte à son fils une assistance qui lui est indispensable et que seules sa fille et elle sont en mesure de lui apporter, le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé le refus opposé à Mme D...sur le fondement de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Haut-Rhin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les refus opposés aux demandes de M. et MmeD....
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. M. et Mme D...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à MaîtreC... de la somme de 3 000 euros.
Par ces motifs,
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes n°17NC00958 et 17NC00959 sont jointes.
Article 2 : Les requêtes du préfet du Haut-Rhin sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à MeC... la somme de 3 000 (trois-mille) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme A...D...et à M. B... D....
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 17NC00958, 17NC00959