Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2019, le préfet des Vosges demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 1er octobre 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 512-1, du second alinéa de l'article L. 512-3 et du second alinéa de l'article L. 513-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en considérant que l'exécution forcée des arrêtés portant obligation de quitter le territoire français est une décision distincte qui peut faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir ; les conclusions formées par les époux C... contre l'exécution forcée des mesures d'éloignement prises à leur encontre sont irrecevables ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en considérant que le préfet ne peut pas, dans l'hypothèse où le délai de recours contentieux n'a pas expiré, exécuter d'office l'obligation de quitter le territoire sans placement en rétention ; seule l'introduction d'un recours juridictionnel suspend l'exécution de la mesure d'éloignement ;
- conformément aux dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence de recours contentieux introduit par les requérants devant le tribunal administratif à la date du 14 juin 2019, les mesures d'éloignement demeuraient exécutoires et pouvaient faire l'objet d'une exécution d'office dès lors que le délai de départ volontaire de trente jours était expiré ;
- les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal administratif doit être regardé comme réputé saisi d'un recours contentieux du seul fait du dépôt, par les requérants, dans le délai de recours contentieux, d'une demande d'aide juridictionnelle visant à contester les obligations de quitter le territoire français en litige ; une demande d'aide juridictionnelle a pour seul effet de suspendre les délais de recours à l'encontre des décisions contestées mais pas de suspendre leur effet exécutoire ;
- le tribunal administratif a méconnu les termes de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 qui prévoit que la juridiction compétente doit être saisie d'une requête dans le nouveau délai de recours contentieux ouvert après la notification de la décision d'aide juridictionnelle ;
- en obligeant le préfet à placer l'étranger en rétention si le délai de recours n'est pas expiré, les premiers juges ont ajouté une condition non prévue par l'article L. 512-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal administratif a détourné l'objet même du placement en rétention administrative qui, selon les termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est conditionné à l'impossibilité d'exécuter une mesure d'éloignement ; l'assignation à résidence et le placement en rétention ne conditionnent pas la régularité de l'exécution de l'éloignement et ne sont pas nécessairement un préalable à son exécution ;
- contrairement à ce qu'affirment les requérants, il n'a pas méconnu les stipulations des articles 5-4 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les moyens invoqués relatifs aux conditions d'interpellation et à la violation de domicile sont inopérants devant le juge administratif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2020, M. et Mme C..., représentés par Me A..., concluent :
1°) au rejet de la requête du préfet des Vosges ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce qu'il soit enjoint au préfet des Vosges d'organiser leur retour sur le territoire français dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir.
3°) à ce qu'une somme de 1500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors que la décision litigieuse leur fait grief ; si la décision litigieuse n'a pas été formellement matérialisée, elle a été révélée par l'intervention des forces de police à leur domicile le 14 juin 2019 ; l'exécution forcée d'une mesure d'éloignement est une décision distincte de la mesure d'éloignement elle-même ; la décision attaquée doit pouvoir faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir en raison du droit à un recours effectif garanti par l'article 13 et 5§4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la juridiction administrative est compétente dès lors que la décision relève d'une opération de police administrative ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions du II de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'autorité administrative n'a pas justifié avoir demandé au juge de la liberté et de la détention de l'autoriser à requérir les forces de l'ordre pour qu'ils visitent leur domicile et les autorisent à les appréhender ; ils auraient dû être assignés à résidence ou le cas échéant placés en rétention avant d'être effectivement reconduits à la frontière ;
- l'administration a méconnu leur droit à contester une obligation de quitter le territoire français qui n'est pas devenue définitive puisque les délais de départ volontaire et de recours contentieux contre la mesure d'éloignement ont été interrompus par la demande d'aide juridictionnelle qu'ils ont régulièrement déposée.
M. et Mme C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nancy du 11 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public,
- et les observations de Me A... pour M. et Mme C....
Une note en délibéré présentée par Me A... pour M. et Mme C... a été enregistrée le 13 octobre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... et Mme D... épouse C..., ressortissants de nationalité albanaise, sont entrés irrégulièrement en France le 7 janvier 2016, accompagnés de leurs enfants mineurs. Ils ont sollicité le statut de réfugié qui leur a été refusé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par deux décisions du 31 janvier 2018, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 28 août 2018. M. C... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé et son épouse a sollicité un titre en qualité d'accompagnant d'un étranger malade. Par deux arrêtés du 26 novembre 2018, le préfet des Vosges a refusé de faire droit à leurs demandes de titre de séjour et les a, en outre, obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel ils pourront être renvoyés d'office. Le 14 juin 2019, le préfet des Vosges a procédé à l'exécution d'office de ces mesures d'éloignement en demandant aux forces de police d'intervenir au domicile des époux C... pour les emmener à l'aéroport en vue de leur éloignement vers l'Albanie. Le préfet des Vosges relève appel du jugement du 1er octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé " la décision " du 14 juin 2019 qui aurait été révélée par l'action de police administrative menée le 14 juin 2019.
Sur la recevabilité des conclusions présentées devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de la " décision " du 14 juin 2019 :
2. Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " I. _ L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 (...) et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 (...) peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant./L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle au plus tard lors de l'introduction de sa requête en annulation. (...)". Aux termes de l'article L. 512-3 de ce code : " (...) L'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration du délai de départ volontaire (...) ni avant que le tribunal administratif n'ait statué s'il a été saisi (...) ". Aux termes de l'article L. 513-1 du même code : " (...) L'obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire, qui n'a pas été contestée devant le tribunal administratif dans les délais prévus aux I et I bis du même article L. 512-1 ou qui n'a pas fait l'objet d'une annulation, peut être exécutée d'office à l'expiration du délai de départ volontaire ".
3. Le préfet des Vosges soutient que c'est à tort que le tribunal a admis la recevabilité des conclusions dirigées contre " la décision " du 14 juin 2019 qui aurait été, selon les premiers juges, " révélée " par l'action de police administrative menée le 14 juin 2019 qui a permis le renvoi des époux C... vers l'Albanie. Il relève à cet effet que cette intervention des forces de police, menée pour exécuter d'office les mesures d'éloignement édictées à l'encontre de M. et Mme C..., ne saurait être regardée comme révélant une décision distincte de ces mesures d'éloignement, susceptible de faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir.
4. Il est constant que, comme le prévoit les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les deux arrêtés du 26 novembre 2018 en litige mentionnaient, dans leurs articles 3 et 4, la possibilité pour le préfet de procéder à l'exécution forcée des mesures d'éloignement prises à l'encontre des époux C..., à l'expiration du délai de départ volontaire de trente jours qui leur avait été accordé pour retourner dans leur pays d'origine. Or, l'exécution forcée d'une mesure d'éloignement n'est en principe pas constitutive d'une décision distincte de cette décision d'éloignement dont elle a pour objet d'assurer l'exécution sauf si cette exécution excède par ses effets, du fait notamment d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, le cadre qu'implique normalement la mise en exécution de la décision d'éloignement. Compte tenu du délai dans lequel a été assurée cette mise en exécution, d'environ sept mois, cette exécution d'office ne peut, en l'espèce, être regardée comme une décision distincte de la mesure d'éloignement et susceptible de faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir, alors même que le requérant fait valoir le caractère illégal des conditions dans lesquelles s'est opérée cette exécution d'office.
5. Il s'ensuit que le préfet des Vosges est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé la prétendue décision du 14 juin 2019 révélée par l'intervention des forces de l'ordre au domicile des requérants à cette même date.
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. et Mme C... par la voie de l'appel incident :
6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées, par la voie de l'appel incident, par M. et Mme C... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet des Vosges d'organiser leur retour sur le territoire français dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ne peuvent qu'être rejetées, alors qu'au demeurant, par un jugement du 1er octobre 2019 devenu définitif, le tribunal administratif de Nancy a confirmé la légalité des arrêtés du 26 novembre 2018 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français pris à l'encontre des intéressés.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
8. L'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, ne saurait être condamné à verser à l'avocat de M. et Mme C... une somme en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1901907 du tribunal administratif de Nancy du 1er octobre 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.
Article 3 : Les conclusions d'appel incident de M. et Mme C... ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et Me F... D... épouse C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
N° 19NC03057 2