Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 juin 2020, Mme B... C..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 mai 2020 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 27 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Vosges de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- c'est à tort que le préfet n'a pas fait application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français entraînera l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a commis une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- la durée de l'interdiction est disproportionnée et n'est pas justifiée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2021, le préfet des Vosges conclut au rejet de la requête.
Il soutient les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née en 1992 et de nationalité albanaise, serait entrée irrégulièrement en France en novembre 2017 selon ses déclarations, accompagnée de son époux et de ses trois enfants mineurs. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 mars 2018 confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 27 septembre 2018. Le 28 janvier 2019, le préfet des Vosges a notifié à Mme C... une mesure d'éloignement qu'elle n'a pas exécutée. Par arrêté du 27 janvier 2020, le préfet l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme C... relève appel du jugement du 26 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 27 janvier 2020.
Sur la légalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français :
2. En premier lieu, Mme C... persistant à réitérer en appel son moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée, il y a lieu de l'écarter par adoption du motif pertinemment retenu par le premier juge.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-12 du même code : " (...) Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l'article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé, sauf si elle résulte du décès du conjoint français. Toutefois, lorsque l'étranger a subi des violences familiales ou conjugales et que la communauté de vie a été rompue, l'autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger et en accorde le renouvellement. En cas de violence commise après l'arrivée en France du conjoint étranger mais avant la première délivrance de la carte de séjour temporaire, le conjoint étranger se voit délivrer, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale". "
4. Il résulte de ces dispositions que la cessation de la vie commune ne peut être opposée à l'étranger victime de violences conjugales de la part de son conjoint français lorsqu'il sollicite la délivrance d'un premier titre de séjour " vie privée et familiale ". Par suite, la requérante ne saurait utilement invoquer ces dispositions à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français prise à la suite du rejet de sa demande d'asile, en se prévalant des violences qu'elle aurait subies de la part de son mari, de nationalité albanaise, qui aurait rejoint leur pays d'origine le 30 octobre 2018.
5. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... était en France depuis deux ans à la date de la décision attaquée, durée résultant pour partie de l'instruction de sa demande d'asile. Si elle se prévaut de la scolarité de ses trois enfants nés en 2010, 2013 et 2016, il n'est pas établi qu'ils ne pourraient pas poursuivre leur scolarité débutante dans leur pays d'origine. La requérante produit notamment un certificat médical du 30 octobre 2018 constatant des hématomes multiples sur son corps à la suite de coups et blessures qu'elle déclare avoir reçus les 23 et 25 octobre 2018. Cependant, ces constats ne suffissent pas à établir que ces blessures seraient imputables à son époux. Mme C... a par ailleurs bénéficié d'une mesure de mise en sécurité avec l'assistance du centre d'information sur les droits des femmes et des familles. Elle a également introduit une procédure de divorce et a déposé plainte pour violences à l'encontre de son mari le 23 décembre 2019. Mme C... est prise en charge médicalement pour des troubles anxieux. En outre, la requérante produit copie de la plainte déposée par ses parents le 11 mai 2019 à l'encontre de leur gendre auprès des autorités albanaises, à la suite de menaces et agressions physiques. Une procédure pénale a été ouverte à l'encontre de M. C... pour des faits de violence familiale tel qu'en atteste le certificat du parquet auprès d'un tribunal de première instance albanais du 27 avril 2020. A supposer même que le contexte de violences conjugales puisse être regardé comme établi, il n'en demeure pas moins que Mme C... ne justifie pas qu'elle serait dans l'impossibilité de s'installer dans une région d'Albanie autre que celle où se trouve son mari ou qu'elle ne pourrait pas bénéficier d'une protection de la part des autorités judiciaires ou policières albanaises. Dans ces conditions, eu égard au court séjour en France de Mme C... et à l'absence d'attache sociale et familiale en France, la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de sa décision sur la situation de Mme C....
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article ".
8. Lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à un étranger, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français. Tel n'est pas le cas de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne prescrivent pas la délivrance d'un titre de plein droit mais laissent à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels dont l'intéressé se prévaut. Le législateur n'a ainsi pas entendu imposer à l'administration d'examiner d'office si l'étranger remplit les conditions prévues par cet article ni, le cas échéant, de consulter d'office la commission du titre de séjour quand l'intéressé est susceptible de justifier d'une présence habituelle en France depuis plus de dix ans. Il en résulte qu'un étranger ne peut pas utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français alors qu'il n'avait pas présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de cet article et que l'autorité compétente n'a pas procédé à un examen d'un éventuel droit au séjour à ce titre.
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... n'a pas présenté de demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que l'obligation de quitter le territoire prononcée à son encontre a été prise à la suite du rejet de sa demande d'asile. Il s'ensuit que la requérante ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
10. En premier lieu, Mme C... se borne à reprendre en appel sans apporter d'élément nouveau son moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée. Il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus à juste titre par le premier juge.
11. En deuxième lieu, compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré, par voie d'exception, de ce que la décision fixant le pays de renvoi est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il établit être légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "
13. Mme C... soutient qu'elle encourrait des risques pour sa vie en cas de retour en Albanie, en raison des violences conjugales subies de la part de son mari. Cependant, comme il a déjà été dit précédemment, l'intéressée n'établit pas l'impossibilité pour elle d'obtenir une protection de la part des autorités albanaises et de vivre éloignée de son ex-mari, dont elle est séparée depuis le mois d'octobre 2018. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :
14. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. _ (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) III. _ L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ".
15. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est entrée en France en novembre 2017. Malgré la mesure d'éloignement prise à son encontre le 28 janvier 2019, elle s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français depuis le rejet définitif de sa demande d'asile le 27 septembre 2018. En outre, la requérante ne fait état d'aucun lien personnel ou familiale en France, étant isolée avec ses trois enfants mineurs. Dès lors, le préfet n'a pas méconnu les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation en prononçant à son encontre une interdiction de retour en France d'une durée d'un an.
16. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... épouse C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet des Vosges.
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N° 20NC01279