Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 avril 2018, le préfet du Doubs demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de MmeA....
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les traitements nécessaires pour soigner le fils de Mme A...n'étaient pas disponibles au Kosovo. Il ressort de trois notes du médecin de l'agence régionale de santé référents auprès du directeur général des étrangers en France, qui se fondent sur le registre de l'agence du médicament au Kosovo, que la lévothyroxine, la venlafaxine et la rispéridone sont disponibles au Kosovo. Si le séresta ne figure pas dans la liste des médicaments qui y sont disponibles, tel est le cas de produits de substitution. Dans l'une de ses trois notes, ce praticien indique que des traitements relatifs au suivi de la transplantation en matière d'immunosuppression, en matière d'épilepsie, d'hépatite C et de prévention des infections par le pneumocystis carinii chez les immunodéprimés sont disponibles au Kosovo, comme l'atteste la fiche Medcoi BMA 8207. Une de ces notes indique que l'enfant, atteint d'un syndrome de West, doit bénéficier d'un traitement anti épileptique et que les trois médicaments nécessaires à son état de santé, le lévétiracétam, le topiramate et la rispéridone sont disponibles au Kosovo. S'agissant des séquelles neurologiques et neuropsychologiques de l'enfant, il est possible au Kosovo de maintenir l'état fonctionnel du patient grâce à des techniques de kinésithérapie pratiquées au centre clinique universitaire du Kosovo. Aucune circonstance humanitaire ne justifie l'admission au séjour de Mme A...et de son fils.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2018, MmeA..., représentée par Me Bertin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) d'enjoindre, à titre principal, au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt ;
2°) d'enjoindre, à titre subsidiaire, au préfet du Doubs de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt dans l'attente du réexamen de son droit au séjour, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, faute pour le préfet du Doubs de justifier que M. B...bénéficiait d'une délégation pour signer la requête d'appel ;
- le médecin de l'agence régionale de santé a rendu un avis favorable à sa demande de titre de séjour ; les documents produits par le préfet du Doubs l'ont déjà été en première instance et ont été établis par une personne qui ne connait pas le dossier médical de son fils ; le registre de l'agence du médicament n'est pas traduit en français ; les fiches Medcoi sont dénuées de valeur probante ; les soins requis pour traiter son fils sont inaccessibles au Kosovo ;
- l'arrêté du 17 octobre 2017 est contraire aux dispositions de l'article L. 311-12 et à celles du 11° de l'article L. 313-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est contraire aux stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- il est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- le premier avis du médecin de l'agence régionale de santé est daté du 15 mars 2015 et l'arrêté contesté du 17 octobre 2017 ; par conséquent, le préfet du Doubs aurait dû l'inviter à actualiser son dossier médical ;
- la décision fixant le pays de destination est contraire aux dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nancy du 19 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C...Dhers a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., ressortissante kosovare née le 10 juin 1983, a déclarée être entrée en France le 20 octobre 2014 avec son concubin et leurs deux enfants, Redon, né le 14 avril 2009, et Riola, née le 11 juillet 2012. Elle a demandé le 17 septembre 2015 au préfet du Doubs de l'admettre au séjour en qualité de parent d'enfant malade. Par une décision du 19 mai 2016, le préfet du Doubs a refusé de faire droit à cette demande. Par un jugement du 7 août 2017, devenu définitif, le tribunal administratif de Besançon a annulé cette décision. Mme A...a également sollicité l'asile. Par des décisions des 22 juin 2016 et 10 janvier 2017, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ont rejeté ces demandes. A la suite de ces décisions, le préfet du Doubs a, par un arrêté du 17 octobre 2017, refusé de délivrer un titre de séjour à MmeA..., notamment sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination. Par un jugement du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Besançon a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet du Doubs de délivrer une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " à Mme A...dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet du Doubs interjette appel de ce jugement.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour peut être délivrée à l'un des parents étranger de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, sous réserve qu'il justifie résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) ". Aux termes de l'article L. 313-11 du même code, dans sa rédaction applicable à l'arrêté contesté : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
4. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces du dossier que le fils de Mme A...est atteint d'un syndrome de West, caractérisé par une épilepsie grave lésionnelle accompagnée d'une hémiparésie droite et d'un retard des acquisitions psychomotrices, avec un taux d'incapacité d'au moins 80 %. Il doit être traité par les médicaments valium, lévétiracétam, topiramate, risperdal, epitomax, keppra et dilantin. Par un avis rendu le 15 décembre 2015, le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que l'état de santé du fils de la requérante nécessitait une prise en charge médicale de longue durée dont le défaut pouvait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pouvait pas disposer d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Le préfet du Doubs n'établit pas par les pièces qu'il produit, à savoir des courriels du médecin de l'agence régionale de santé référent auprès du directeur général des étrangers en France, le registre de l'agence du médicament au Kosovo, rédigé en langue albanaise, et des données issues de la fiche pays extraite de la base de données MedCOI que l'epitomax (topiramate) et le dilantin (phénytoïne) seraient disponibles au Kosovo.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par MmeA..., que le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé son arrêté du 17 octobre 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Doubs de délivrer à Mme A...une autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt, sous réserve de changement des circonstances de fait ou de droit.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Bertin, avocate de MmeA..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bertin de la somme de 1 000 euros.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Doubs est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à Mme A...une autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt, sous réserve de changement des circonstances de fait ou de droit.
Article 3 : L'Etat versera à Me Bertin, avocate de MmeA..., une somme de 1 000 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D...A.... Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
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N° 18NC01337