Procédure devant la cour :
I - Par un recours du 6 mai 2015 n° 15NC00865, le ministre des finances et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 mars 2015 ;
2°) de rétablir les impositions litigieuses ;
3°) de réformer en ce sens le jugement entrepris.
Il soutient que :
- l'article 109-1-1° du code général des impôts institue une présomption de distribution à l'égard de tous les bénéfices qui ne sont pas investis dans l'entreprise et ce, quelle que soit la qualité du bénéficiaire ; M.B..., directeur salarié de la Sarl Financière Hôtel de Bruxelles, a effectivement appréhendé la somme de 160 000 euros litigieuse, sans que ce désinvestissement ait été justifié ;
- l'existence d'un détournement de fonds n'a jamais été invoquée ni établie par l'administration ;
- si la cour devait néanmoins admettre l'existence d'un détournement de fonds, il lui serait alors demandé de faire application des dispositions des articles 92.1 et 158.7 du code général des impôts et de considérer que la somme litigieuse constitue un revenu taxable au titre des bénéfices non commerciaux ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2015, M. et Mme B...concluent au rejet de la requête et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- ils ont expressément refusé le rehaussement notifié, la somme perçue correspondant à l'indemnité transactionnelle due à la suite du licenciement économique de M.B... ; en vertu du principe d'indépendance des impositions, la circonstance que la Sarl Financière Hôtel de Bruxelles ait accepté le redressement dont elle a fait l'objet ne lui est pas opposable ;
- les documents produits attestent l'accord de la société quant à l'octroi de l'indemnité transactionnelle litigieuse ; les dénégations des époux A...s'expliquent en raison de fortes dissensions familiales ; le détournement de fonds n'est pas établi ;
- la substitution de base légale sollicitée par l'administration est impossible, dès lors que la mise en oeuvre de la nouvelle base légale conduirait à priver le contribuable d'une garantie de procédure à laquelle il aurait eu droit si cette nouvelle base légale avait été retenue dès l'origine, en l'espèce la saisine de la commission départementale des impôts ;
Par un mémoire du 2 mars 2016, M. et Mme B...concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures par les mêmes moyens ;
Ils soutiennent en outre que :
- M. B...ne saurait être regardé comme le gérant de fait de la société, dès lors qu'il ne disposait d'aucune participation dans la société ni d'aucun pouvoir en dehors de ceux inhérents à ses fonctions de directeur financier ; le véritable maître de l'affaire était en réalité
M.A... ;
- il n'a pas été mis en examen dans le cadre de la plainte déposée au pénal contre lui par les épouxA... ;
II - Par une requête enregistrée le 20 mai 2015, M. et Mme B...demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant seulement qu'il a omis de statuer sur les contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de
l'année 2008 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- le jugement litigieux ne s'est pas prononcé sur la demande de décharge des contributions sociales supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008 ; ces dernières doivent également faire l'objet d'une décharge en conséquence de l'annulation des cotisations supplémentaires d'imposition sur le revenu au même titre ;
Par un mémoire enregistré le 24 août 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit ; l'article 109-1-1° du code général des impôts institue une présomption de distribution à l'égard de tous les bénéfices qui ne sont pas investis dans l'entreprise et ce, quelle que soit la qualité du bénéficiaire ; M.B..., directeur salarié de la Sarl Financière Hôtel de Bruxelles, a effectivement appréhendé la somme de 160 000 euros litigieuse, sans que ce désinvestissement ait été justifié ;
- l'existence d'un détournement de fonds n'a jamais été invoquée ni établie par l'administration ;
- si la cour devait néanmoins admettre l'existence d'un détournement de fonds, il lui serait alors demandé de faire application des dispositions des articles 92.1 et 158.7 du code général des impôts et de considérer que la somme litigieuse constitue un revenu taxable au titre des bénéfices non commerciaux ;
Par un mémoire enregistré le 18 novembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;
Il soutient en outre que :
- M. B...doit être regardé comme gérant de fait de la société dès lors qu'il disposait de la signature sociale et assurait seul la gestion courante ; les détournements commis par un dirigeant, même s'il n'est pas associé de la société, ne peuvent être réputés avoir été commis à l'insu de la personne morale dès lors que ce dirigeant détient le pouvoir de l'engager vis-à-vis des tiers ; l'imposition de la somme litigieuse dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers est dès lors fondée ;
- à défaut, la substitution de base légale au profit de l'article 92 du code général des impôts ne fait perdre aucune garantie au contribuable dès lors que le litige est exclu du champ de compétence de la commission départementale des impôts ; seul est en cause le caractère imposable de la somme, ce qui constitue une question de droit pour laquelle la commission n'est pas compétente ;
Par un mémoire enregistré le 2 mars 2016, M. et Mme B...concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ;
Ils soutiennent en outre que :
- M. B...ne saurait être regardé comme le gérant de fait de la société, dès lors qu'il ne disposait d'aucune participation dans la société ni d'aucun pouvoir en dehors de ceux inhérents à ses fonctions de directeur financier ; le véritable maître de l'affaire était en réalité
M.A... ;
- il n'a pas été mis en examen dans le cadre de la plainte déposée au pénal contre lui par les épouxA... ;
Vu :
- les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Didiot,
- les conclusions de Mme Peton-Philippot, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant M. et MmeB....
1. Considérant que la Sarl Financière Hôtel de Bruxelles, dont M. B...exerçait les fonctions de directeur salarié du 1er mai 1989 au 31 janvier 2008, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008 ; qu'il a été constaté lors des opérations de contrôle qu'elle avait porté dans ses charges de personnel au cours de l'année 2008 diverses dépenses exposées au profit de M. B...liées à son licenciement, dont une " indemnité transactionnelle " de 160 000 euros ; qu'estimant cette charge injustifiée, l'administration, après l'avoir réintégrée dans le résultat imposable de la société au titre de l'exercice 2008, a informé M. B...par une proposition de rectification du
8 novembre 2010, de son intention de procéder à l'imposition de cette somme dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, en tant que revenu distribué sur le fondement des dispositions de l'article 109-1-1° du code général des impôts ; que par une requête enregistrée le
24 décembre 2011, M. et Mme B...ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008 et des majorations correspondantes ; que par un jugement n° 1106448 du 24 mars 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge des seules cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu litigieuses ; que par son recours enregistré sous le numéro 15NC00865, le ministre des finances et des comptes publics demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande des requérants et sollicite le rétablissement des impositions et majorations dont le tribunal a prononcé la décharge ; que par leur requête enregistrée sous le numéro 15NC00974, M. et Mme B...demandent à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant seulement qu'il a omis de statuer sur les contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, et de prononcer la décharge desdites impositions ;
2. Considérant que les requêtes susvisées n° 15NC00865 et 15NC00974 présentées par le ministre des finances et des comptes publics et par M. et Mme B...concernent les mêmes impositions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt ;
Sur le recours du ministre :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. " ; qu'aux termes de l'article 92 du même code : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que M.B..., alors directeur financier de la Sarl Financière Hôtel de Bruxelles, a perçu de cette dernière une somme de 160 000 euros au cours de l'année 2008, correspondant selon ses dires à une " indemnité transactionnelle " dans le cadre de son licenciement économique ; que MmeA..., gérante de la société, et tante de l'intéressé, dément toutefois avoir donné son aval au versement de la somme en cause ; que si M. B...justifie ces dénégations par un contexte de fortes dissensions familiales, les pièces et témoignages qu'il produit ne permettent pas d'établir l'accord de la gérante quant à l'octroi de l'indemnité transactionnelle en cause, à tout le moins quant à son montant ; qu'en effet, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la confrontation de la transaction produite par M.B..., signée selon ses dires par la gérante, avec le projet de transaction remis par la société, n'a pas permis d'établir l'authenticité de l'acte prétendument signé ; que ce document, qui n'a été ni enregistré ni homologué, n'a pas date certaine ; que les signatures figurent de manière isolée sur une troisième page alors que le projet de transaction n'en comptait que deux, ces dernières différant par ailleurs des paraphes reportés sur les autres pages et ne correspondant pas en tout état de cause à la signature de
MmeA... ; qu'il est d'ailleurs constant que les épouxA..., respectivement gérante et second associé de la société, ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du tribunal de grande instance de Strasbourg contre M. B...pour " abus de confiance et abus de faiblesse, abus de pouvoir par un gérant de société, faux et usage de faux en écriture ", en cours d'instruction ; que dans ces circonstances, la somme ainsi appréhendée sans l'aval de la gérante et de l'autre associé doit être regardée, ainsi que l'a jugé le tribunal, comme un détournement de fonds ;
5. Considérant que M. B...était salarié de la Sarl Financière Hôtel de Bruxelles et n'en était pas associé ; que s'il n'est pas contesté qu'en sa qualité de directeur financier, il était détenteur d'une procuration bancaire et des chèques de la société, le chèque correspondant à la somme litigieuse de 160 000 euros ayant d'ailleurs été établi par ses soins, ces seules circonstances ne suffisent pas à le faire regarder comme un dirigeant investi de la qualité de mandataire social de la société ; que la seule attestation en ce sens émise par Mme A...est dépourvue de valeur probante, eu égard aux relations conflictuelles entretenues avec l'intéressé ; qu'il n'est pas établi ni même allégué que le détournement de fonds en cause n'aurait été rendu possible que par un comportement délibéré ou une carence manifeste des dirigeants de la
société ; que, dans ces conditions, le détournement doit être réputé avoir été commis à l'insu de la Sarl Financière Hôtel de Bruxelles ; que par suite, la somme litigieuse de 160 000 euros, qui constitue une charge déductible pour le calcul des bases d'imposition de la société, doit être regardée comme un profit ne pouvant faire l'objet d'une imposition pour son bénéficiaire qu'en vertu de l'article 92 précité du code général des impôts au titre des bénéfices non commerciaux et non, comme l'a fait l'administration, dans la catégorie des revenus distribués ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que, si l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, une telle substitution ne saurait avoir pour effet de priver le contribuable de la faculté, prévue par les articles L 59 et L 59 A du livre des procédures fiscales, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque celle-ci est compétente pour connaître du différend relatif à une question de fait dont la solution commande le bien-fondé du nouveau motif invoqué par l'administration ;
7. Considérant qu'en l'espèce, la base légale initialement retenue par l'administration pour fonder le redressement relevait de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu'ainsi le litige n'entrait pas dans le champ de la compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; qu'en revanche, en ce qui concerne la nouvelle base légale d'imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, invoquée par le ministre devant la cour, le contribuable aurait été en droit de demander que cette commission soit saisie, le cas échéant, d'un désaccord sur le montant de ces bénéfices, en vue notamment d'apprécier les éléments de fait quant à la réalité d'un accord de la société sur le montant de l' " indemnité " que s'est octroyée le requérant ; qu'il est constant que les époux B...n'ont pu bénéficier de la faculté de demander la saisine de ladite commission ; que par suite, il ne peut être fait droit à la substitution de base légale sollicitée en appel par l'administration ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ont été assujettis les époux B...au titre de l'année 2008 ; que par suite le recours du ministre doit être rejeté ;
Sur la requête présentée par les épouxB... :
9. Considérant qu'il est constant que le jugement attaqué a omis de se prononcer sur la demande de décharge des contributions sociales supplémentaires au titre de l'année 2008 présentée par les épouxB... ; qu'il y a lieu de l'annuler dans cette seule mesure ;
10. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer partiellement et de statuer immédiatement sur cette demande ; qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment aux points 4 à 8 que les époux B...sont fondés à solliciter, outre la décharge des impositions supplémentaires au titre de l'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008, celle des contributions sociales mises à leur charge au titre de la même année ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par les intéressés et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le recours présenté par le ministre des finances et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 mars 2015 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur la demande de décharge des contributions sociales supplémentaires dues au titre de l'année 2008.
Article 3 : Il est accordé à M. et Mme B...la décharge des contributions sociales supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008.
Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme B...une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B...et au ministre de l'économie et des finances.
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N° 15NC00865, 15NC00974