Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 mai 2016, MmeB..., représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 juillet 2015 du tribunal administratif de Besançon ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 22 juin 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour avec autorisation de travail, à défaut de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens de l'instance, soit 13 euros de droits de plaidoirie ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros, à verser à son conseil, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la décision de refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée dès lors que le préfet n'a pas indiqué en quoi les considérations invoquées ne constituaient pas des circonstances humanitaires ou des motifs exceptionnels au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet n'a pas vérifié l'existence de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance d'un titre de séjour sur ce fondement ; les circonstances liées à son statut de réfugiée en Allemagne, son mariage avec un réfugié français, la naissance de leur premier enfant et l'attente du deuxième sont constitutives de tels motifs ;
- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; elle n'a plus d'attaches dans son pays d'origine qu'elle a quitté avec sa famille à l'âge de six ans, alors qu'elle justifie d'importantes attaches en France, notamment son mari et sa belle-famille chez qui elle réside ; sa fille âgée de quelques mois n'a pas vocation à être séparée de ses parents compte tenu de son jeune âge ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision doit être annulée en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît le droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne du droit de la défense et de bonne administration, défini à l'article 41-2 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet aurait dû saisir les autorités allemandes d'une demande de réadmission ;
- le préfet a commis une erreur de droit au regard des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 6 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 et s'est estimé en situation de compétence liée ;
- cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale et méconnaît ainsi les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :
- cette décision doit être annulée en conséquence de l'illégalité des décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation en ne lui accordant pas un délai de départ volontaire supérieur à trente jours ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle méconnaît les dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle ne peut être renvoyée en Allemagne, faute pour le préfet d'avoir engagé la procédure de réadmission et ne peut retourner dans son pays d'origine en raison de son statut de réfugiée ;
Sur la décision portant obligation de pointage :
- cette décision doit être annulée en conséquence de l'illégalité des décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle souffre d'un défaut de base légale compte tenu de l'inconventionnalité des dispositions de l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant la mise en oeuvre des obligations de pointage dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français, au regard des dispositions des articles 7, 8 et 14 de la directive 2008/115/CE ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle présente des garanties de représentation et n'a jamais tenté de prendre la fuite ;
Par un mémoire en défense enregistré le 7 juin 2016, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête ;
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé ;
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle de Nancy du 31 mars 2016.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 dont les dispositions ont été notamment reprises par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Didiot.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
1. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...) " ;
2. Considérant que la circonstance qu'un étranger puisse prétendre au bénéfice du regroupement familial ne dispense pas le préfet de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'une décision refusant un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ne porte pas une atteinte excessive, eu égard à la situation concrète de l'intéressé, à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations précitées ;
3. Considérant qu'il est constant que les époux B...sont parents d'une petite fille âgée d'à peine trois mois à la date de la décision attaquée ; que, compte tenu de son jeune âge, il ne saurait être sérieusement envisagé de la séparer de sa mère le temps de la période d'instruction d'une demande de regroupement familial ; que son époux, qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié en France, n'a pas vocation à quitter le territoire national ; que le refus de séjour litigieux entraîne ainsi l'éclatement de la cellule familiale et la séparation de l'enfant d'avec son père, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la requérante s'est mariée avec son époux le 15 novembre 2014 et qu'ils résident ensemble depuis cette date ; qu'il s'ensuit que, dans les circonstances particulières de l'espèce, alors même que la séparation ne serait que temporaire, la décision contestée a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et portant obligation de pointage ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande en annulation ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Considérant qu'il y a lieu, eu égard aux motifs de l'annulation susmentionnée, d'enjoindre au préfet du Doubs de délivrer à Mme B...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt ;
Sur les dépens :
6. Considérant qu'aucun dépens n'a été exposé durant la présente instance ; que les droits de plaidoirie ne sont pas au nombre des dépens énumérés par l'article R. 761-1 du code de justice administrative ; que, par suite, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;
8. Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à MeA..., conseil de la requérante, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1501126 du 31 juillet 2015 du tribunal administratif de Besançon est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 22 juin 2015 par lequel le préfet du Doubs a refusé de délivrer à Mme B...un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a astreinte à des obligations de pointage est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à Mme B...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me A...une somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...B...et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Doubs.
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N° 16NC00847