M. A...E...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2016 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 1700003 du 22 mars 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I.) Par une requête, enregistrée sous le n°17NC01843, le 24 juillet 2017, Mme D..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 octobre 2016 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
2°) d'annuler cet arrêté du 25 octobre 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous une astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur le refus d'admission au séjour :
- la décision est insuffisamment motivée et le préfet n'a pas sérieusement examiné sa demande ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en considérant qu'elle constituait une menace pour l'ordre public et qu'elle ne faisait pas preuve d'intégration ;
- le préfet a méconnu le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2018, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D...ne sont pas fondés.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 juin 2017.
II.) Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés sous le n°17NC01844, les 24 juillet 2017 et 20 février 2018, M.E..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 octobre 2016 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
2°) d'annuler cet arrêté du 25 octobre 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous une astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- le préfet a violé le secret médical en sollicitant le médecin agréé qu'il avait choisi pour établir une attestation énonçant la date à laquelle il a adressé son rapport au médecin de l'agence régionale de santé ;
- le préfet n'apporte aucun élément contredisant l'avis favorable du médecin de l'agence régionale de santé ;
- le préfet s'est fondé à tort sur les circonstances qu'il constituerait une menace pour l'ordre public et qu'il ne ferait pas preuve d'intégration ; il a également commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet a méconnu le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a méconnu le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2018, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés.
M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 juin 2017.
Vu :
- les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de New York relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lambing,
- et les observations de M.E..., lequel a été autorisé par le président de la formation de jugement à s'exprimer sur certains éléments de fait.
1. Considérant que les requêtes n° 17NC01843 et n° 17NC01844 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt ;
2. Considérant que Mme D...et M.E..., de nationalité arménienne, nés respectivement en 1987 et 1988, sont entrés en France le 30 octobre 2011 ; qu'ils ont déposé des demandes d'asile qui ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides par décisions du 29 mars 2013, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 7 novembre 2013 ; que M. E...s'est vu délivrer un titre de séjour en raison de son état de santé le 20 janvier 2014, qui a été prolongé jusqu'au 8 mars 2015 ; qu'il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour ; que par arrêté du 25 octobre 2016, le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ; que par arrêté du même jour, le préfet du Bas-Rhin a pris les mêmes décisions à l'encontre de MmeD... ; que Mme D...et M. E...relèvent appel des jugements du 22 mars 2017 par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé " ;
4. Considérant qu'il appartient au juge administratif d'apprécier, au vu des pièces du dossier, si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle ;
5. Considérant que la partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour ; que, dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que dans son avis rendu le 10 mai 2016, le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que l'état de santé de M. E... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ; que le préfet du Bas-Rhin, qui n'était pas lié par cet avis, a refusé de délivrer le titre de séjour demandé par M.E..., qui n'avait pas alors levé le secret médical, au motif qu'un traitement approprié à l'état de santé du requérant était en réalité disponible en Arménie ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces produites par M. E...qui, pour la première fois en appel, a levé le secret médical, que ce dernier est suivi depuis mai 2013 par un psychiatre en raison d'une névrose post-traumatique associée à un état dépressif secondaire ; que l'intéressé suit un traitement médicamenteux composé du bromazepam, un anxyiolitique, et du nuctalon, un hypnotique, tous deux appartenant à la classe des benzodiazépines ; que pour remettre en cause la présomption d'indisponibilité des soins en Arménie résultant de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, le préfet du Bas-Rhin a produit une note actualisée de l'ambassade de France en Arménie du 5 octobre 2015, qui est la traduction d'une note du 2 octobre 2015 du ministère des affaires étrangères de la République d'Arménie, relative à la prise en charge des pathologies d'ordre psychiatrique en Arménie ; que cette note indique que plusieurs centres spécialisés en psychiatrie existent en Arménie et que le médicament bromazepam est disponible sur le marché arménien ; qu'il est également fait état d'un autre médicament, non prescrit à M.E... ; que si le préfet justifie ainsi de la disponibilité d'un des deux médicaments prescrits à M.E..., il n'est pas établi que ce dernier pourrait bénéficier d'un traitement équivalent en Arménie en remplacement du nuctalon qui lui est également administré en France ; qu'ainsi, le seul document produit par le préfet ne saurait suffire à établir la disponibilité du traitement particulier requis par l'état de santé de l'intéressé et remettre en cause l'avis rendu par le médecin de l'agence régionale de santé ; que dans ces conditions, M. E...est fondé à soutenir que le préfet a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour ; qu'il y a lieu, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, d'annuler cette décision ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation, au requérant, de quitter le territoire français et fixant le pays de destination ;
8. Considérant que selon les termes mêmes de l'arrêté refusant un titre de séjour à Mme D..., que ce refus est exclusivement motivé par le refus de séjour en qualité d'étranger malade opposé à son époux ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 7 que ce motif est illégal ; qu'ainsi et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, le refus de séjour dont Mme D...a fait l'objet doit également être annulé de même par suite que la décision portant obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...et Mme D...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Considérant qu'eu égard au motif d'annulation des décisions, le présent arrêt implique seulement d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de réexaminer les demandes de renouvellement de carte de séjour temporaire présentées par M. E...et Mme D...dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;
12. Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions précitées, de mettre à la charge de l'État, une somme globale de 1 000 euros à verser à MeB..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle ;
D E C I D E :
Article 1er : Les jugements du tribunal administratif de Strasbourg n° 1606792 et n°1700003 du 22 mars 2017 et les arrêtés du 25 octobre 2016 du préfet du Bas-Rhin sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de réexaminer les demandes de renouvellement de carte de séjour temporaire présentées par M. E...et Mme D...dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me B...une somme globale de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D..., à M. A...E...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 17NC01843,17NC01844